Asile

Sauce hollandaise

d'Lëtzebuerger Land vom 04.03.2004

Un voisin, comme par hasard candidat socialiste aux élections législatives, dit s'inquiéter surtout pour le bien-être des futurs habitants de cette halle, qui avait abrité des ateliers du Centre de formation professionnelle continue jusqu'à son déménagement à Esch. Et pour leurs conditions de vie, «et puis la proximité du grand centre commercial Concorde ne manquera pas de provoquer des tensions!» spécule Paul Hammelmann au micro de RTL Tele Lëtzebuerg. On se souvient alors que lorsque les réfugiés yougoslaves fuyaient la guerre du Kosovo en 1999 et que le gouvernement luxembourgeois les logeait dans l'urgence provisoirement dans les halls des Foires internationales, le directeur du centre commercial voisin avait même écrit une lettre aux commerçants de prendre garde devant ces voisins douteux, tous stigmatisés voleurs potentiels. D'autres riverains de la rue de la forêt à Bertrange s'inquiètent plus directement, bien qu'en off seulement, des retombées de ce futur voisinage - qui n'est visiblement pas le bienvenu - sur la valeur de leur immobilier. Pour calmer les esprits, la ministre de la Famille Marie-Josée Jacobs (CSV) saute dans la brèche : «Bien sûr, nous devrons assurer une surveillance 24 heures sur 24!, explique-t-elle à RTL Tele Lëtzebuerg. Et ce aussi bien pour la sécurité vers l'intérieur, pour les habitants du centre, que vers l'extérieur, pour les voisins.» Dans le pire des cas, cela équivaudra probablement à des patrouilles de police régulières et une surveillance intérieure outsourcée à une société de gardiennage privée, comme l'année dernière pour le centre d'accueil des sans-abris. En tout cas, le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot n'a pas encore été approché pour intervenir d'une manière ou d'une autre. Le maire de la commune, Paul Geimer (DP), avait annoncé lundi que, dans un élan de solidarité, il avait répondu positivement à la circulaire conjointe de Marie-Josée Jacobs avec le ministre de l'Intérieur, Michel Wolter (CSV), demandant aux 118 communes de participer à l'effort national pour trouver des structures de logement décentralisées pour les demandeurs d'asile. Selon DNR, les communes de Bettembourg et de Dudelange seraient aussi en train de chercher une solution commune pour implanter une structure d'accueil de taille moyenne chez eux. À Bertrange, la halle est en cours de réaménagement, dans une première phase une cinquantaine de demandeurs d'asile y seront logés.  Dans quelques mois, ce nombre pourrait être doublé. Il s'agit actuellement de trouver d'urgence des logements pour les nouveaux réfugiés et demandeurs d'asile qui sont célibataires - comme tous les ouvriers des vagues successives des immigrants du XXe siècle, Allemands, Italiens, Portugais, venaient toujours d'abord tenter leur chance seuls, avant de faire venir leurs (éventuelles) familles -, en provenance notamment de la Serbie-Monténégro, d'Afrique et de Russie. Car les structures existantes sont saturées, surtout peuplées de familles, les grandes comme le Home Don Bosco au Limpertsberg (160 personnes) ou Héliar à Weilerbach (268 personnes) ont besoin de réfection urgente. Les petites structures décentralisées ne sont pas assez nombreuses et la population célibataire comporte un potentiel de tension plus élevé que les familles avec enfants, jugées plus calmes. L'idée lancée par le Premier ministre Jean-Claude Juncker (CSV) de faire construire un grand hall d'accueil semble être remise à plus tard. Le gouvernement agit actuellement dans une situation d'extrême urgence, la gestion de la situation semble lui avoir glissé des mains. Les services du ministère de la Famille sont cruellement sous-équipés et n'ont pas de moyens, ni humains - ils ne sont que quatre dans le service, pour plus de 2300 lits à gérer -, ni en infrastructure. Peu de structures supplémentaires ont été créées, celles existantes ont par la force des choses été négligées, à tel point qu'elles frisent l'insalubrité. Alors tout le monde semble dépassé par la situation. Lorsqu'une famille, comme récemment à Weilerbach, refuse de suivre l'obligation de tâches ménagères communes dans le foyer, elle est «punie» par l'interdiction de nourriture! Un vrai malaise s'est installé. Ce qui étonne, c'est que le gouvernement n'ait guère investi dans ce domaine depuis 1998/99 - alors que les chiffres ont atteint, avec 1549 demandes en 2003, un niveau plus ou moins équivalent à celui de 1992. Le pic s'étant situé en 1999, durant la guerre du Kosovo, avec presque 3000 demandes. L'évolution n'est donc pas si spectaculaire. Le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot demande depuis des mois la création d'un centre de premier accueil pour quelque 300 personnes, qui devrait se situer sur le territoire de la Ville de Luxembourg et abriter surtout les demandeurs venant d'arriver. Mais les ONG revendiquent aussi un véritable encadrement des demandeurs d'asile sur place, non pas par la police mais des travailleurs sociaux, qui, plutôt que d'intimider, les aident à s'organiser. L'accès au marché du travail pourrait les sortir de l'oisiveté et de l'isolement. Mais voilà, le gouvernement luxembourgeois ne veut surtout donner aucun signal qui pourrait être interprété comme si les demandeurs d'asile qui viennent chercher refuge au Luxembourg étaient les bienvenus. Luc Frieden explique depuis deux, voire trois ans, que les Monténégrins et les Serbes devaient rentrer chez eux, comme la guerre est finie, que le Luxembourg a besoin de la place pour accueillir «les prochains demandeurs d'asile» nécessitant de la protection. Ainsi, plus de 700 demandeurs furent expulsés l'année dernière. En janvier, Luc Frieden a trouvé un accord avec ses collègues de Belgique et des Pays-Bas pour lancer un «projet pilote européen»: des charters conjoints de retour des demandeurs déboutés. Ce qui réduirait forcément les frais pour chacun. Parallèlement, il vient de visiter mardi, avec Marie-Josée Jacobs, le centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Rijsbergen aux Pays-Bas afin de s'en inspirer. Comme l'ADR, le ministre de la Justice veut également réformer la procédure de demande d'asile afin de l'accélérer. Il a annoncé le dépôt d'un projet de loi allant dans ce sens avant Pâques. On sait qu'il veut abolir le deuxième recours contre la décision de refus du statut, il voulait déjà le faire durant la précédente réforme. Or, dans la logique d'égalité devant la loi, tous les citoyens ont actuellement le droit de faire deux recours dans n'importe quelle affaire, pourquoi les demandeurs d'asile auraient-ils là encore moins de droits? Une enquête du Sesopi a prouvé qu'un demandeur attend en moyenne 620 jours avant d'avoir une première décision à sa demande du statut de réfugié selon l'accord de Genève - notamment en raison du manque de personnel administratif. L'Association de soutien aux travailleurs immigrés (Asti) affirme que les recours devant les juridictions administratives sont de loin les procédures les plus rapides dans le curriculum d'un demandeur d'asile au Luxembourg, avec quelque quatre mois pour les deux recours en moyenne. La demande de papiers d'identité et de voyages pour l'expulsion des demandeurs déboutés par contre est autrement plus longue. Mardi aux Pays-Bas, Luc Frieden s'est aussi informé sur leurs procédures accélérées. Or, la politique du gouvernement hollandais est fortement critiquée. Hier soir devait avoir lieu une manifestation devant son ambassade au Luxembourg pour protester contre l'expulsion annoncée de quelque 26000 demandeurs d'asile déboutés de Hollande. Au Luxembourg, on peut d'ailleurs aussi s'attendre à une reprise des retours forcés après l'hiver. Car, alors que beaucoup de pays européens durcissent leurs législation sur l'immigration et l'asile, le Grand-Duché a une peur bleue d'avoir des procédures et des conditions d'accueil jugées plus tolérantes ou ouvertes pour les demandeurs d'asile - comme si c'était une honte - et d'attirer par conséquent tous ceux qui seraient découragés en Allemagne, aux Pays-Bas, en Suède ou ailleurs. Le ministère de la Justice interprète les chiffres croissants des nouveaux arrivants selon cette grille - 131 en janvier, 193 en février, écrit La Voix. Or, la Commission européenne vient de publier les chiffres recueillis durant sa première année de fonctionnement par la base de données centrale Eurodac (dont le siège se trouve au Luxembourg), qui stocke les empreintes digitales des demandeurs d'asile afin d'éviter qu'ils ne posent une demande dans plusieurs pays conjointement. En 2003, seuls sept pour cent des demandeurs d'asile auraient ainsi introduit des demandes parallèles et donc abusé de la procédure. Ce qui est loin de la légende de l'asylum shopping qu'aimaient à proférer les ministres de la Justice ou de l'Intérieur pour justifier l'instauration de ce système de contrôle. Les personnes concernées furent ramenées dans le pays de leur première demande, supposé être celui de leur arrivée en Europe, selon la procédure de Dublin.

josée hansen
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