Entre Belgrade et Podgorica, il y a eu « accord sur le désaccord » la semaine dernière, remarque laconiquement le Service information et presse du gouvernement dans un communiqué, et que pour faire part de ce désaccord entre les deux pays associés dans la République fédérale de Yougoslavie, le ministre des Affaires étrangères du Monténégro, Branko Lukovac, avait rendu visite mercredi 7 novembre à son homologue luxembourgeoise, Lydie Polfer. Le texte n'en dit pas plus. Il aurait pu mentionner les raisons et les conséquences de ce désaccord, ou que tout indique désormais que l'indépendance du Monténégro devient de plus en plus probable, ce qui aurait aussi des incidences sur la stabilité de la région et donc, forcément, des implications sur la politique que le Luxembourg pratique à son encontre.
Le soir, à la télévision, le ministre monténégrin implora par journaliste interposé les réfugiés originaires du Monténégro d'avoir « un peu de patience » avant de revenir, que l'économie monténégrine était encore trop faible pour accueillir un retour de masse. Or, si quelque 3 500 des 5 000 réfugiés et demandeurs d'asile qui vivent actuellement au Luxembourg sont originaires du Monténégro, ils ne veulent justement pas y retourner volontairement mais acceptent les conditions de vie déplorables que le Luxembourg leur offre parce qu'un retour leur semble encore pire. D'espoir de régularisation en désillusion - la majorité d'entre eux sont arrivés en 1999, trop tard pour profiter de la régularisation one-shot proposée par le gouvernement PCS/PDL - ils restent malgré tout. Sans avoir le droit de travailler, parqués dans des abris de fortune depuis plus de deux ans, toujours en attente, craignant que la police viennent les chercher à la fin de la procédure de demande d'asile pour les expulser de force. Ils n'ont pas accepté l'aide financière au retour du gouvernement et n'ont pas contacté Caritas pour un retour assisté. Peut-être parce qu'au Monténégro, qu'ils ont souvent quitté il y a plusieurs années - la majorité sont des bochniaques du Sandjak, au Nord du pays -, ils voient encore moins de perspectives, notamment pour leurs enfants.
Tout en refusant catégoriquement les retours forcés, Caritas a néanmoins toujours affirmé sa volonté d'assister les volontaires au retour dans leurs démarches. Pour cela, l'ONG catholique a ouvert un bureau à Berane, dans le Sandjak, il y a un an. Après que les réfugiés aient discuté de leurs projets de retour avec la responsable à Caritas Luxembourg, Ana-Marija Soric, Pascal Arnold accueille les candidats au retour au Monténégro. Ils étaient moins d'une centaine à profiter des aides au retour volontaire cette année. Michael Feit, un des coordinateurs de Caritas Luxembourg est pourtant persuadé que très peu de ces demandeurs d'asile ont de véritables perspectives d'une intégration au Luxembourg, « alors nous leur montrons les opportunités qu'il y a actuellement de commencer une nouvelle vie là-bas. » Pour cela, Caritas investit une grande partie de l'argent pour le compte du ministère de la Coopération dans des projets de rénovation d'écoles, dont vingt millions par exemple pour une école à Podgorica, la capitale. « Ainsi, poursuit Michael Feit, nous pouvons assurer de meilleures conditions d'enseignement aux enfants. » Ailleurs, une usine textile est en train d'être réhabilitée, tout cela parallèlement aux autres projets luxembourgeois, gérés par Lux Development, comme celui d'une laiterie (d'Land 31/01).
Mercredi, parallèlement à la visite de Branko Lukovac chez Caritas, trois jeunes femmes monténégrines discutaient dans un autre bureau rue Michel Welter. Aleksandra Kecojevic, Dragana Terzic et Majda Skrijelj, la trentaine tout au plus, sont trois des sept membres de Remorker, une petite ONG fondée en début d'année, qui gère pour Caritas le projet des micro-crédits.
Ayant travaillé dans différentes ONG internationales - « il y en a au moins deux mille qui sont officiellement enregistrées, mais seulement deux ou trois fonctionnent vraiment, » regrette Majda Skrijelj, coordinatrice de la recherche de fonds - estimant avoir acquis un know-how suffisant et connaître nettement mieux la région que les expatriés des ONG, elles ont donc décidé de se lancer, de devenir indépendantes. Et d'encourager d'autres compatriotes à faire pareil.
Car le système des micro-crédits, très prisé actuellement dans le domaine de l'aide au développement, encourage l'esprit d'entreprise des autochtones dans des régions délaissées par les investissements étrangers. « Personne n'investit au Monténégro, » constate Aleksandra Kecojevic, la directrice de Remorker, et qu'il y aurait d'abord d'importants travaux en infrastructures à faire de la part du gouvernement avant que le pays ne redevienne attractif pour les investisseurs. Mais les trois femmes ne cachent guère leur scepticisme vis-à-vis du gouvernement. Restant néanmoins optimistes, elles voient dans le système des micro-crédits actuellement le seul, donc forcément aussi le meilleur moyen de faire redémarrer l'économie de proximité.
Financé à hauteur de dix millions de francs par Caritas, et donc le gouvernement luxembourgeois, le système est simple : les réfugiés qui retournent du Grand-Duché au Monténégro arrivent souvent déjà avec un business-plan en tête ou même sur papier ou peuvent se faire aider par Remorker à Berane. Suite à plusieurs entretiens et une évaluation du projet d'établissement par un comité consistant de Remorker et Caritas, l'ONG accorde un crédit pouvant aller jusqu'à 7 500 DM à rembourser sur 24 mois avec un taux d'intérêt de 0,125 pour cent par mois, soit 1,5 pour cent par an. Les remboursements doivent commencer après un mois, « et ils le font, ce qui veut dire que nos projets leur permettent non seulement de vivre avec leur famille, mais en plus de rembourser leurs traites, » constate, non sans satisfaction Majda Skrijelj.
Afin de ne pas défavoriser les Monténégrins sur place, ceux qui sont restés, afin de ne pas créer de discrimination positive, Remorker accorde aussi des crédits d'établissements aux habitants du Nord du pays, là où seuls trente pour cent de la population auraient un emploi, selon l'UNOCHA. Même si les conditions de ces crédits-là sont nettement moins avantageuses : entre mille et 4 000 marks doivent être remboursés sur une période allant de quatre à douze mois avec un taux d'intérêt nettement plus élevé, 0,5 pour cent par mois, soit six pour cent sur un an. Mais comme aucune banque n'accorde de crédit au Monténégro, l'offre reste attractive. Ainsi, Remorker a accordé 29 crédits pour réfugiés rentrants et 85 à des projets locaux. Majda Skrijelj poursuit : « Nous ne nous attendons pas à ce que nos clients deviennent riches, mais au moins, nous les aidons à s'assurer une source de revenus, à devenir indépendant de l'aide sociale internationale ».
Les projets peuvent aller du salon de coiffure en passant par la réparation automobile, un service de taxi au petit commerce ou au stand de légumes sur le marché, tout dépendra au cas par cas. Remorker toutefois essaie d'orienter les projets de façon à ce qu'ils soient aussi diversifiés que possible. Le commerce est le secteur le plus attractif, 36 pour cent des crédits des réfugiés rentrants et 42 pour cent des crédits pour les résidents se situent dans ce secteur, les gains y étant plus rapides. Remorker toutefois conseille souvent à ses clients d'investir dans l'agriculture s'ils sont issus de régions plus rurales, « mais en principe, nous encourageons tout, pourvu que ce soit légal, » ajoute Dragana Terzic.
Alors, est-ce vraiment un argument pour retourner au Monténégro, est-ce vraiment une perspective ? Les femmes de Remorker se méfient des questions politiques, mais mettent néanmoins en garde que le retour est très difficile, notamment pour ceux qui n'ont plus rien sur place, ni maison ni aucune autre possibilité de se loger. Et que l'hiver est très dur au Monténégro. La situation politique toutefois, sans être stable, est jugée sans danger imminent, la menace d'une nouvelle guerre semblant s'éloigner.
Mais la méfiance vis-à-vis du gouvernement persiste : « De manière générale, je crois que c'est une énorme erreur des États de confier tous leurs fonds d'aide au développement au gouvernement, les gens n'en verront jamais un centime, » estime l'une d'elle, avant de se reprendre : « mais cette opinion n'engage que moi, ce n'est pas une position officielle ! » Or, elle rejoint alors l'opinion de la journaliste Marijana Kadic de l'association de journalistes indépendants du Monténégro (AIM) qui, dans un article publié en octobre, s'inquiète du sort des réfugiés monténégrins qui risqueraient une expulsion du Luxembourg, qui ne rencontrent que l'indifférence de leur gouvernement à eux. « Will the state of Montenegro start thinking of them at last, if only after years of indifference ?, » s'interroge-t-elle. On ne saura jamais si Lydie Polfer a posé de telles questions à Branko Lukovac.
Voir aussi notre dossier « Réfugiés » sur www.land.lu