Quand on est allergique à la « magie » de Noël, réfléchir soigneusement aux cadeaux à offrir aux enfants de son entourage peut aider, paradoxalement, à passer ce cap difficile. Par exemple, imaginer le visage des parents du petit neveu lorsque celui-ci déballera un AK-47 en plastique, un kit pour monter un katana, une maquette de char d’assaut ou un jeu vidéo consistant à dégommer du zombie, contribue à adoucir la saison des marchés de Noël, des films de Noël, des pulls moches de Noël et autres tortures saisonnières. Oui, la violence est fascinante, et j’ai moi-même un lointain souvenir d’un magnifique fusil mitrailleur avec bruitages et lumières, qui a longtemps entretenu mon imagination d’enfant. Finalement, asseoir son pouvoir sur une armée de figurines, décider du destin amoureux d’un groupe de poupées qu’on habille et déshabille à sa guise, ou jouer à gagner des millions de papier sur un jeu de plateau, ce sont toujours les plaisirs sadiques qui fonctionnent le mieux. Noël est une merveilleuse occasion pour réveiller le petit Donald Trump qui sommeille dans le cœur de chaque enfant !
Pour les plus petits, pas besoin de disposer du bouton rouge commandant l’arme nucléaire pour déclencher un cataclysme à l’échelle d’un foyer. Une bonne boîte de Lego est un bon moyen d’apprendre le plaisir de démolir les constructions du voisin, de s’habituer à vivre dans un monde où le plastique est roi, et de miner le sol avec des pièces anguleuses qui viendront se ficher sous la plante des pieds des parents, ce qui devrait suffire au démarrage d’une réaction en chaîne où les hurlements de chaque membre de la famille entretiennent les pleurs des autres. Pour l’éducation au sexisme, un passage dans le rayon d’une grande surface suffira à se convaincre que Noël est la fête de la tradition et du conservatisme : les cuisines miniatures sont à côté des trousses de maquillage alors que les petites voitures et les ateliers de bricolage sont rangés près des figurines militaires. Pour couronner le tout, si n’importe quel jeu de société permettra d’entretenir les talents de mauvais perdants qui ne demandent qu’à s’exprimer, choisir un classique « Jeu du menteur » ou un « Risk » développera des compétences qui ne s’apprennent bien qu’au détriment des plus faibles.
Pour les adolescents, qu’est-ce qu’un cadeau vraiment acceptable aujourd’hui ? Dans les années 2010, on pouvait penser qu’un drone était une superbe idée pour développer des talents de vidéaste, de photographe, de pilotage, voire simplement pour faire sortir de sa chambre quelque geek au teint pâle. Aujourd’hui, difficile de ne pas voir derrière le moindre quadrirotor une des armes les plus meurtrières des guerres modernes. Quand on voit ce que le Mossad a pu faire avec de simples « bipeurs » qui ont explosé par centaines au même moment, alors qu’ils ne sont dotés que d’une technologie rudimentaire, on réfléchit à deux fois avant d’offrir un iPhone ou une Apple Watch… Il suffit de se souvenir de la surprise générale causée par les tests LU-Alerte d’octobre dernier, qui ont fait retentir simultanément les portables de toute la nation, pour avoir un aperçu du cataclysme que causerait un détournement des appareils connectés.
Finalement, on serait presque tentés de se tourner vers des plantes vertes, pour développer chez les plus jeunes le sens du soin tout en capturant quelques grammes de carbone, ou des peluches d’animaux fabriquées dans des ateliers équitables, ou autres puzzles en bois éducatifs. C’est un pari à faire : soit ils vont trouver que vos cadeaux sont vraiment trop nuls, dignes d’un célibataire à chat sans enfant, soit cela va éveiller chez eux un intérêt au-delà de l’instinct primaire. C’est finalement un assez bon test. Éventuellement, on peut tenter le « bon pour une sortie piscine et pizza » mais cela va impliquer un investissement personnel de votre part.
Payer de sa personne, plutôt que sortir la carte bleue, c’est peut-être bien cela le nouveau modèle, surtout si c’est de manière volontaire. Avec les nouvelles technologies, il y a fort à craindre que nous soyons nous-mêmes devenus des jouets manipulés par les algorithmes, entretenus dans nos bulles algorithmiques, soumis au dogme de l’influence plutôt qu’à celui de l’intelligence. Bref, Noël, cette année encore, ça sent le sapin.