Business de classes

d'Lëtzebuerger Land vom 01.11.2024

Monter dans le Luxembourg-Nancy de 12h39 le premier samedi du mois c’est embarquer pour un voyage assez spécial. Du fait de ses multiples arrêts, desservant toute la vallée de la Fensch et au-delà, ce train constitue le moyen idéal pour transporter des seaux de tabac à rouler, des sacs Cora élimés remplis de cartouches de clopes et peut-être un ou deux autres produits aux taxes bien moins élevées de notre côté de la frontière.

En début de mois, c’est un bon moyen de faire le plein, voire de trouver de quoi compléter des revenus qui permettent à peine de vivre. Au vu des quantités, on espère en effet qu’il ne s’agit pas seulement d’une consommation personnelle. C’est sans doute une solution pour ceux qui sont trop fatigués pour pédaler afin de livrer des repas, une petite combine pour récolter quelques miettes du grand gâteau de la libre circulation.

Pour joindre l’utile à l’agréable, pourquoi ne pas en profiter pour se payer un menu Extra chez Burger King ou un Big Tasty au McDo de l’avenue de la Gare, qu’on pourra manger sur le chemin du retour. Les frites seront un peu ramollies, le burger un peu refroidi, mais l’odeur reconnaissable entre toutes de la nourriture industrielle a toujours son petit effet madeleine de Proust. Y compris pour les autres occupants du wagon. Si le burger est encore trop cher, une canette de Monster Energy Drink fera l’affaire pour tenir le coup.

Ce n’est pas la foule de la semaine, on n’est pas entassés comme des frontaliers. Chacun peut poser sa cargaison de tabac sur le siège d’à côté. La marque Elixyr remporte un franc succès. Peut-être pour son nom poétique, qui évoque une guérison miraculeuse voire des effets surnaturels, plus vraisemblablement pour son prix défiant toute concurrence.

Personne ne regarde par la fenêtre, le téléphone est plus intéressant. Beaucoup font le voyage en famille. Uckange, Hagondange, Pagny-sur-Moselle, les parkings taillés pour la semaine sont déserts. Les montagnes russes silencieuses de Walygator et les rangées de maisons de mineurs contribuent à l’ambiance morose forgée par le ciel d’automne et le catastrophisme généralisé sur les fronts politique, budgétaire, climatique, diplomatique et même footballistique. On a l’impression d’être immergé dans un groupe Facebook « Railway to Hell » rejoints par des membres aux différentes motivations : dépendance physiologique à la nicotine, besoin de financer sa propre consommation, ennui banal du week-end que la perspective d’un aller-retour de plus d’une heure ne rebute pas.

Pendant le même temps, depuis quelques semaines, une publicité de Luxair vante son nouveau menu à base de caviar sur les vols en classe business pour Dubaï. Le contraste est frappant, mais le parallélisme assez évident. On ne ramène sans doute pas des seaux de tabac de là-bas, encore moins des bouteilles de deux litres de Martini ou de Label 5. Plutôt du Chanel numéro 5. Et pourquoi pas des sacs remplis d’iPhones, de boîtes de Rolex ou de bijoux en or. Chacun son bagage, chacun sa drogue, chacun son impression d’avoir fait une bonne affaire. Qu’on ramène une Gibson de New York, un costard sur mesure de Bangkok ou des clopes de Rumelange.

Cyril B.
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