Ça n’arrivera pas aujourd’hui. Pas là, pas avec lui. Diane (Solène Rigot) restera vierge aujourd’hui. Pourtant, ça la travaille. Beaucoup. L’adolescente est discrète, enfouie sous ses gros pulls et ses cheveux longs coiffés à la va-vite, elle est aux petits soins pour son père (Vincent Perez) et son petit frère (Vadim Goudsmit). C’est le soir, dans sa chambre, ou rêveuse en classe, à écouter les exploits dont se vantent ses camarades, qu’elle y pense le plus. Faire l’amour, juste histoire d’en être débarrassée. Julia (Audrey Bastien), sa nouvelle voisine, la fascine. Pas farouche, elle revendique une sexualité « pour s’amuser », pour échapper au gouffre qui la sépare de ses parents (Valérie Bodson et Jan Hammenecker). Diane découvre les espaces de liberté que se crée Julia, persuadée que cette nouvelle amitié l’allègera.
La force de Delphine Lehericey, co-scénariste et réalisatrice de Puppy Love, ne tient pas tant dans son postulat de départ, montrer l’évolution d’une adolescente, maintes fois déjà proposé au cinéma, mais à la place et à la force qu’elle donne à ses personnages, même secondaires, utilisant les clichés pour mieux les détruire un à un. Diane, c’est la banalité de l’adolescence. La vraie, celle où on s’ennuie en attendant la vie, le matin en supportant le bruit des jeux vidéos du petit frère, celle de l’école où les profs n’ont même pas de visage, celle du soir où les films pornos sont encore cryptés sur Canal +. Ces banalités du quotidien, la cinéaste les filme dans la durée, pour mieux installer le spectateur dans la torpeur de la vie de Diane, que la caméra ne lâche jamais. Ses expressions sont capturées dans le chaos lorsqu’elle est à l’extérieur ou jouant avec la proximité physique qu’elle est avec son père. Une mise en scène pourtant née d’une contrainte que Delphine Lehericey et son chef-opérateur Sébastien Godefroy, venu de la photographie, ont souhaité s’imposer : trois focales pour tout le film, trois axes maximum par scène. Le résultat est une image bouillonnante, comme les personnages. Celui de Julia est installé en contrepoint, une certaine idée de la légèreté que recherche Diane. Or, la liberté de Julia est conditionnelle et ne se définit que par sa fugacité, ces moments où elle échappe au contrôle de ses parents. Ce qui est évidemment intéressant, c’est de constater la manipulation subie par Diane, apparemment la plus vulnérable. La rencontre, primordiale pour elle, n’est que la recherche d’un énième amusement pour Julia : caution morale d’abord (« j’ai dit à mes parents que je dormais chez toi »), Diane ne sera finalement qu’un outil d’accès au père. Flouée par une amitié fusionnelle unilatérale. Humiliée par le peu de repères qu’elle avait. Pourtant, c’est bien elle qui ressort grandie de cette expérience, elle qui ne délimite pas sa liberté à celle de son corps.
Malgré un cadre spatio-temporel volontairement flou (et filmé partiellement au Luxembourg, car coproduit par la société PTD), Delphine Lehericey, bienveillante et lucide, parvient à décrire de manière très réaliste une période faite de mythes. Elle dépassionalise son sujet, montre le sexe, l’embarras, l’excitation, un monde tel que le vivent les personnages et non pas comme le cinéma le fantasme largement. Car si le scénario (co-écrit avec Martin Coiffier) manque parfois d’épaisseur, il est en revanche riche en subtilités. On pense à Bonjour tristesse, le roman de Françoise Sagan, on pense au film d’Anne-Sophie Birot, Les filles ne savent pas nager et au même amour que leurs auteurs, des femmes, portent à leurs personnages.
Delphine Lehericey, comédienne, metteure en scène et scénographe de théâtre, venue à l’image par ce qu’elle considère comme une démocratisation des outils vidéo, filmait dans un moyen-métrage la séparation impossible d’un couple (Comme à Ostende, 2007). Avec Puppy Love, elle continue de confronter tous ses personnages à leurs contradictions en mêlant une audace et une sensibilité remarquables.