La mort rode au cinéma luxembourgeois. Lundi soir, salle 10 du cinéma Utopolis, devant un parterre bien rempli, Brigitte Urhausen est même morte deux fois d’affilée en l’espace d’une demi-heure, dans deux courts-métrages consécutifs, une fois en tant que sosie d’Asta Nielsen et une fois en tant que Serena, battue à mort par une bande d’adolescents en crise de vie. La soirée consacrée aux courts-métrages luxembourgeois est une des dates que les professionnels du cinéma autochtone marquent toujours d’une pierre blanche dans leur planning du festival Discovery Zone. C’est bien là que l’on découvre les premiers pas des cinéastes de demain, les contributions des collègues et amis.
Or, il faut le dire, l’édition 2014 fut particulièrement éprouvante. Carrément décevante même, aucun des sept films proposés n’ayant été une vraie révélation. Au contraire : certains réalisateurs n’atteignaient pas la qualité de leur travail antérieur ou le niveau des attentes qu’on pouvait avoir. Pourtant, le cœur du public et du Film Fund y était, au lendemain de la remise d’un Oscar à Monsieur Hublot de Laurent Witz et Alexandre Espigares – qu’on avait pu découvrir lors de la même soirée des courts-métrages l’année dernière. L’ambiance dans la salle était tellement euphorique qu’on devait forcément croire que tout le pays avait gagné cet Oscar. Et qu’on ne pouvait donc pas ne pas aimer ce qu’on voyait.
Pourtant, il y avait des choses à ne pas aimer. Mais les bonnes nouvelles d’abord : Dans Willi / Elderly Spring, Pierre Hansen touche un sujet intéressant, celui du vieillissement de la population et de son encadrement. Le personnage principal Willi y est réduit à un état quasi végétatif par une aide-soignante dominatrice qui rappelle fortement la Misery jouée par Kathy Bates. Mais à partir du moment où le ciel lui envoie (au sens propre) un scooter électrique, il reprend le dessus et reprend vie... Au grand dam de sa soignante maléfique. Alors, il y a des idées visuelles fortes – ces quartiers entiers de la périphérie de la ville transformés en centres de gériatrie ouverte, les scooters parachutés... –, mais l’histoire se perd un peu vers une fin ridicule.
Avec Asta, Olivier Koos a adapté un scénario initial (Who killed Asta Nielsen ?) de Chris Neuman, sur une idée originale d’Andy Bausch, mais outre quelques idées formelles (le noir et blanc très prononcé censé reproduire le cinéma du début du XXe siècle), c’est d’un ennui mortel. Dans Das Vermächtnis, Herr Kramer, interprété par Luc Spada (qu’on a également vu dans deux films ce soir-là) tente de léguer quelques bribes de notre culture (populaire) à une postérité hypothétique après une guerre qu’on imagine pour le moins atomique, mais le film de Yasin Özen ne dépasse guère l’exercice de style. Tout comme The Wrong Place de Ben Andrews.
Dans Antoine, Cyrus Neshvad raconte la douleur de la perte d’un enfant et les artifices construits par le père pour cacher, durant des années, cette mort à sa femme. Même si le film est trop long et manque de véritable climax, on aura aimé ce regard intense de l’acteur Max Putz pour sa femme Annette Schlechter – le seul grand moment d’acteur de la soirée. Eric Lamhène déçoit avec Serena, une tragédie sur l’acte gratuit et la violence d’une bande d’adolescents qui rappelle fortement, de par sa construction, Irréversible de Gaspar Noé (2002). Même si certains des très jeunes acteurs, notamment Jules Waringo, ont un vrai potentiel, il manque visiblement de direction et à aucun moment, on ne sent une vraie tension monter pour rendre crédible l’escalade de la violence.
Il est vrai que les attentes placées dans le premier film d’Anne Simon étaient peut-être exagérées. Mais comme cette infatigable touche-à-tout et son explosion de créativité ont considérablement dépoussiéré les scènes de théâtre autochtones, on s’était dit que son D. A Reproduction pouvait être bien. Mais non. La déception fut totale à la vision de la nième adaptation de l’histoire de Dorian Gray, qui n’est au final que du théâtre filmé – le rêve en moins. La caméra nous vole l’illusion de l’abstraction théâtrale et tout le faux des décors et du jeu exagéré des acteurs sont mis à nu pour quelques réflexions somme toutes assez banales sur l’art, l’âme et le pacte avec le diable.
Tous ces films, on les regarderait bien avec une certaine bienveillance comme de premières expériences – s’ils n’étaient pas complètement surfinancés par le Film Fund et (à l’exception de ceux de Ben Andrews et de Yasin Özen) avaient reçu entre 125 000 et 150 000 euros chacun. Des sommes dont une partie va aux producteurs, qui ne font pourtant pas leur travail d’accompagnement, ne serait-ce que sur le plan du scénario et de la dramaturgie, éternel problème de la culture autochtone.
La veille, Désirée Nosbusch avait présenté, toujours au Discovery Zone, Succès Fox, un documentaire touchant sur l’acteur Fernand Fox. Très classique de par sa forme, le film suit la vie de l’acteur le plus célèbre du Luxembourg en enchaînant des témoignages face caméra de ses compagnons de route. La réalisatrice et Marc Limpach, co-auteur du film, en profitent pour dresser, à travers la vie de Fernand Fox, une histoire du théâtre luxembourgeois, d’Eugène Heinen en passant par Tun Deutsch jusqu’à Frank Feitler et les Lëtzebuerger Owender. Le film est souvent désopilant pas les anecdotes des confrères sur Fernand Fox et son époque, surtout les années déchaînées durant lesquelles il tenait la Theaterstuff au Limpertsberg. C’est aussi cela, notre héritage culturel.