Soit deux femmes de la côte est américaine, Sarah Peters née en 1973 à New-York et Celeste Rapone, née en 1985 dans le New Jersey. La première y vit et travaille toujours, la deuxième désormais à Chicago. Le travail de la première a quelque chose d’hiératique. Ses moulages en plâtre et en bronze puisent leurs sources formellse dans des cultures très anciennes, assyrienne et égyptienne. Le style des peintures de la deuxième est très vivant. Ses figures féminines ont quelque chose de plastique aussi, ce qui fait penser aux grands nus féminins couchés de Picasso. Voilà pour la première concordance formelle, qui, si on se projette dans les temps présents, est, on dira moderniste. Ensuite, l’élément aquatique est presque toujours présent. Dans le mouvement des chevelures de Sarah Peters qui fait penser à des vagues et le fond des tableaux de Celeste Rapone, qui laisse flotter ses personnages.
Les femmes de Celeste Rapone sont, dans trois des grandes toiles (1,5 sur 2 mètres environ), représentées dans des situations d’occupations plaisantes : pêche nocturne (Swell, 2020) où, pour simuler la nuit, elle utilise une incroyable couleur rouge lie de vin. Les bracelets fluo de la dame scintillent. Les teintes des deux autres huiles sont plus douces. Rose, comme la joie de faire couple. Des figures enlacées font de patin à glace. D’ailleurs cette danse s’appelle Encore (2019). Dans les tons pastels bleu, vert et orangé, Bask, a été réalisée durant le confinement.
Nous y voilà, on ne peut échapper au Covid-19 et Celeste Rapone, qui ne pouvait plus se rendre à la National Gallery de Chicago voir son tableau favori Enfant montant un mouton du peintre espagnol Francisco Goya (1786/87), a rêvé une scène « dans le genre », également en plein air et de complicité avec l’animal domestique. Que faire d’autre ? Des petites occupations pour faire passer le temps et sortir de l’angoisse.
Dans des scénettes d’intérieur, Utter Home, que l’on pourrait traduire par « tout le temps à la maison », Celeste Rapone a fait son auto-portrait qui se confond avec la forme circulaire de la table. Elle bricole une de ces maquettes de voilier, glissée dans une bouteille que l’on jette à la mer. Le matin sans doute – le premier fond est rose, celui-ci bleu – elle fait sa gym (Pump), mais le soir, le fond de Worrier est gris comme l’angoisse qui l’étreint et son cœur papillonne. Littéralement, puisqu’il est posé sur sa poitrine.
Cette peinture à la fois de récits du quotidien et sophistiquée, forme une ronde colorée, vivante, autour des moulages de Sarah Peters. Ceux-ci sont impressionnants. On commencera par décrire la tête en bronze patiné noir, la seule d’un personnage masculin dans cette exposition. Est-ce un un roi assyrien, comme on en voit sur les bas-reliefs de Ninive ou un hommage de Sarah Peters à Rodin ?
Et ces têtes de femmes au profil grec sont-elles des gorgones auxquelles Sarah Peters a ôté les yeux pour déjouer leur regard maléfique comme dans les représentations qu’on a retenu de Méduse ? Le personnage masculin a en commun avec les têtes de femmes cet incroyable travail des cheveux en lignes systématiquement serrées. L’équilibre des moulages provient du fait qu’ils reposent directement sur la chevelure, leur menton, ou font le pont entre les deux. Brancusi avait déjà fait reposer la tête de La Muse endormie sur la joue dès 1909-10. Ces rapprochements, Sarah Peters les appelle « (son) plaisir de la fausse interprétation contemporaine ».