L'été, c'est camping! Pas vraiment par plaisir, mais par nécessité. Quand le ministère de la Famille ne trouve plus de logements décents pour les demandeurs d'asile qui arrivent chaque jour, chaque semaine, quand les foyers décrépis et les hôtels miteux sont pleins et les communes restent réticentes sur l'implantation éventuelle d'une structure d'accueil sur leur territoire, le camping reste souvent la seule solution pour parer aux besoins les plus urgents. Depuis des mois, durant la campagne électorale déjà, ce sont des questions pratiques de ce genre - pas assez de personnel aux ministères de la Justice et de la Famille pour gérer correctement les flux entrants de demandeurs d'asile, pas de moyens financiers pour répondre décemment à ces besoins d'accueil -, qui minent le débat politique sur l'immigration et l'asile. C'est pour cela que le formateur du nouveau gouvernement Jean-Claude Juncker (CSV) ne s'avance plus guère sur la question. D'autant plus que son rapprochement un peu facile entre demandeurs d'asile africains et criminalité liée à la drogue d'il y a quelques semaines avait provoqué une vague d'indignation. Samedi dernier, il annonça lors d'un briefing que même après six ou sept heures de discussions, les deux partis qui sont en train de former un nouveau gouvernement ne sont pas parvenus à un accord en matière de politique d'asile. Mercredi, les présidents des deux partis, François Biltgen (CSV) et Jean Asselborn (LSAP) se sont revus à trois avec le formateur afin de tenter de rapprocher leurs positions sur les derniers points sur lesquels persistent des divergences de vues. Car dans les grandes lignes, les deux partis poursuivraient la même politique. Tous les deux sont pour un contrôle étatique des flux migratoires (la définition du nombre d'immigrants voulus par rapport aux besoins du marché du travail, leur pays deprovenance), pour l'éloignement des demandeurs en fin de droit et pour la définition d'une politique européenne communautaire d'asile. Lundi à Bruxelles, lors du conseil des ministres de la Justice et de l'Intérieur à Bruxelles, Luc Frieden (CSV) a même plaidé pour un «système d'asile européen à travers une procédure européenne unique pour l'examen des demandes et un statut d'asile uniforme valable dans toute l'Union». Les dissensions qui persistent se trouvent dans le détail, avait souligné Jean-Claude Juncker, et ce «par-delà les familles politiques». Car sur les socialistes pèse une certaine demande de leur électorat de plaider pour un changement des politiques autoritaires pratiquées par le CSV, aussi en matière d'asile et d'immigration. Or, ces cinq dernières années, le LSAP ne s'est jamais vraiment démarqué sur la question en tant que parti. Certain(e)s député(e)s, oui, mais pas le parti. Et on se souviendra même, au contraire, du dérapage d'un candidat socialiste contre l'aménagement d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile à Bertrange. De l'autre côté, le CSV ne peut et ne veut pas désavouer sa propre politique pratiquée depuis 1999 et la guerre du Kosovo. D'autant plus que Luc Frieden et sa politique intransigeante, souvent décrite comme «dure mais juste» par ses fans, ont été plébiscités le 13 juin. Néanmoins, et même après des années de pratique des expulsions, chacun des charters en partance pour Podgorica (Monténégro) notamment, entraîne toujours son lot de réactions indignées de Luxembourgeois solidaires - voisins, amis, enfants collègues de classe. Actuellement, les questions liées à l'asile sont gérées par trois ministères : la Famille pour l'accueil ; la Justice pour l'analyse de la demande d'asile selon la convention de Genève, l'accord de papiers provisoires et, à la fin de la procédure, l'organisation de l'expulsion ou du retour vers le pays d'origine ou un pays tiers jugé sûr; et le Travail pour l'accord ou non d'un permis de travail durant le temps d'attente. Plus éventuellement un quatrième, l'Éducation nationale, pour la scolarisation des enfants. Les deux partis politiques estiment dans leurs programmes électoraux qu'il faudrait regrouper les compétences ayant trait à l'immigration dans un seul ministère ou un secrétariat d'État à créer. Dans la plupart des pays européens, ces questions sont gérées par le ministère de l'Intérieur. Les quarante pour cent de non-Luxembourgeois qui vivent au Grand-Duché et les flux toujours assez importants d'immigrants, que ce soit par le biais de l'asile ou d'autres chemins, font croire qu'un tel ministère à l'immigration serait fort utile. La revendication fut formulée d'abord par les ONGs, puis par les Verts ; elle se retrouve e.a. dans la motion adoptée en février dernier par la Chambre des députés, suite au débat d'orientation sur l'immigration. Elle invitait le gouvernement «à définir une politique globale de l'immigration et de l'intégration, et d'en garantir la mise en oeuvre la plus cohérente possible [et] à étudier la possibilité de [la] confier à un membre du gouvernement ayant dans [s]es attributions la coordination de la politique de l'immigration». Le 10 juillet dernier, parmi les 45 personnes reconduites au Monténégro, se trouvait la famille Jasarovic avec ses trois enfants, qui, en l'espace de cinq ans, s'était parfaitement intégrée au Luxembourg, par l'école, par la langue, par les amis. Le plus jeune de leurs trois fils était même né au Luxembourg. Pourquoi expulser des gens aussi bien intégrés, qui auraient de vraies perspectives ici, la promesse d'un emploi à la clé? Parce qu'ils ne tombent pas sous les critères de Genève, qu'ils sont partis de chez eux pour chercher un meilleur avenir pour leurs enfants et que ce n'est pas suffisant, le gouvernement veut rester ferme. Dans leur programme électoral, les socialistes plaident pour une deuxième régularisation, qui vaudrait pour les familles avec enfants qui sont au Luxembourg depuis au moins trois ans, cinq ans pour les familles sans enfants. C'est probablement un des problèmes dans les discussions de coalition : durant la régularisation des sans-papiers en 2001-2002, François Biltgen et Luc Frieden ont toujours insisté sur le fait qu'elle était one-shot, une procédure exceptionnelle et unique. Pour éviter aussi que les demandeurs d'asile ne fassent tout leur possible pour tenir cinq ans sur le territoire luxembourgeois, dans l'espoir d'être alors automatiquement régularisés. Par contre, les deux partis s'engagent pour une accélération de la procédure d'asile («administrativ so gestrafft […] dass Neuankömmlinge innerhalb weniger Wochen endgültig Bescheid über Annahme oder Ablehnung ihres Asylantrags erhalten», LSAP, p.73) , donc pour une analyse plus rapide du dossier de demande. Une revendication récurrente de toutes les ONGs, voire même du commissaire aux droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Alvaro Gil-Robles, dans son rapport sur le Luxembourg (d'Land 29/04). En mars dernier, Luc Frieden a déposé un projet de loi de réforme de la procédure d'asile, abolissant un degré de juridiction et introduisant toute une série de filtres qui permettraient d'évacuer plus rapidement les demandes jugées «manifestement infondées» (d'Land 14/04). Or, un des problèmes actuels dans le traitement des demandes est que les pays de provenance des demandeurs d'asile se diversifient - de plus en plus de célibataires africains, de Nigériens notamment, au lieu des familles monténégrines par exemple - et que le staff du ministère de la Justice ne suffit pas pour auditionner plus rapidement des demandeurs d'asile dont la situation individuelle mérite une analyse approfondie. Et ce bien que leur nombre ait déjà doublé depuis la visite d'Alvaro Gil-Robles (à huit personnes actuellement). En 2003, 1 549 personnes ont posé une demande d'asile. Le deuxième point d'achoppement dans les discussions de coalition sur la question des demandeurs d'asile pourrait porter sur l'accès au travail des demandeurs en cours de procédure : après une première période d'ouverture avec des permis temporaires renouvelables, le gouvernement Juncker/Polfer avait aboli cette possibilité - surtout par protectionnisme du marché de l'emploi. Or, selon une directive européenne concernant les normes minimales d'accueil des demandeurs d'asile, ils devraient pouvoir accéder à ce marché après un an de procédure administrative, le Lëtzebuerger Flüchtlingsrot parle même d'une attente de six mois seulement. «Le fait d'accorder aux demandeurs d'asile la possibilité de subvenir par leurs propres efforts à leurs besoins et à ceux de leur famille constitue un élément intangible de la dignité humaine, écrivait le député Marcel Glesener (CSV) avec le Sesopi-Centre intercommunautaire, dans le rapport Interrelations entre immigration et marché de l'emploi au Luxembourg en avril 2004. Écarter trop longtemps les demandeurs d'asile de l'accès au marché de l'emploi aurait une incidence négative sur l'acceptance des réfugiés par le reste de la population. Une telle condamnation à l'oisiveté rend particulièrement difficile l'insertion des demandeurs d'asile dans la société luxembourgeoise pendant leur présence au Luxembourg, surtout lorsqu'elle frappe en majorité des hommes jeunes se trouvant par excellence dans l'âge de travailler.» (p. 55) Dans son Rapport d'orientation 2004 qu'il vient d'adresser au nouveau gouvernement, le Conseil national pour étrangers (CNE) pour sa part estime que le Luxembourg se «prive» des compétences des étraners extra-communautaires sous prétexte d'un accès prioritaire des demandeurs d'emploi ressortissants de l'espace économique européen. Il souhaite que «en matière d'emploi, pour l'ensemble des résidents étrangers, la qualification professionnelle prime sur la nationalité.» Pour le CNE, «les avancées du droit européen rendent obsolète la loi du 28 mars 1972» sur l'entrée et le séjour des étrangers, et il demande «une réforme profonde de ce texte». Pour lui, en matière d'asile aussi, «les décisions prises par le ministre de la Justice sont conformes à la loi. Donc, c'est à la réforme de celle-ci qu'il faut s'attaquer». Durant les mois qui précédèrent les élections, les partis de la majorité se refusaient toujours à penser l'immigration et l'asile ensemble. Or, il s'avère que l'interrelation est évidente, qu'un des grands chantiers de la prochaine législature devra être celui de la définition des identités des habitants du Grand-Duché : Combien de droits, combien de participation politique, économique et sociale pour quels citoyens ? Intégration ou assimilation ? Faut-il avoir la peau blanche, s'appeler Weber, Schmitt ou Müller, rouler en BMW ou en VW et travailler dans la fonction publique pour être Luxembourgeois ? Suite au défilé de la veille de la fête nationale auquel l'Asti avait participé avec une délégation de demandeurs d'asile africains, il y a eu un petit scandale dans les pages courrier des lecteurs de la presse quotidienne : comment osent-ils jouer Kättche, Kättchen sur des djembés ? Non, mais ! La pression monte, celle des xénophobes et celle des xénophiles. Voulons-nous «rester ce que nous sommes ?» ou enfin ouvrir la citoyenneté à ceux qui depuis longtemps vivent ici avec des CV éclatés, hybrides, décomposés et recomposés ? Les études et analyses ont été faites durant la législature 1999-2004, après la réforme des procédures de naturalisation sous Juncker/Polfer, au gouvernement Juncker/Asselborn d'ouvrir les lois afférentes : celle sur l'asile, celle sur l'immigration, celles sur la participation politique. L'introduction de la double nationalité, qui semble acquise, n'en est qu'un des éléments.
Ines Kurschat
Kategorien: Flüchtlinge und Einwanderung
Ausgabe: 12.04.2007