Il n'y a pas d'expulsion humaine. Les deux termes, «expulsion» et «humanité» sont tout simplement incompatibles. Alors, même si le ministre de la Justice, Luc Frieden (PCS), félicita à plusieurs reprises mardi matin, dans une conférence de presse improvisée, les policiers qui avaient exécuté l'ordre d'expulsion au petit matin, pour avoir accompli la tâche sans incident - implicitement, pour avoir évité une deuxième opération Milano ou un deuxième collectif Findel - il demeure qu'il est impossible de trouver la moindre trace d'humanité dans le fait d'envoyer une vingtaine de policiers au petit matin dans un foyer de demandeurs d'asile pour aller chercher deux familles avec leurs enfants et les amener à l'aéroport pour les expulser dans un pays qu'ils ont fui.
Sur les 23 Monténégrins que le gouvernement luxembourgeois a renvoyés au Monténégro mardi matin à 10h30, treize étaient mineurs, quatre enfants étaient même nés au Luxembourg. Leurs parents ont fui le Monténégro en 1999 parce qu'ils n'y voyaient plus aucune chance de faire leur vie, vu la difficile situation économique du pays. Souvent, ils ont vendu tout ce qu'ils possédaient pour faire le voyage, qu'ils espéraient être un aller simple. Que feront-ils à leur retour? «Mais là-bas, ce sont des citoyens libres de Yougoslavie, rétorque le ministre. Ils pourront aller loger chez des amis ou de la famille. Les autorités de Podgorica en tout cas sont au courant de leur arrivée.»
Si les expulsions - que le gouvernement luxembourgeois avait annoncées dès le début à tous les déboutés du droit d'asile et de la procédure de régularisation - n'ont pas eu lieu en été comme prévu, cela était avant tout dû aux «lenteurs» de Belgrade dans la confection des laissez-passer. Le 19 juillet dernier, le Luxembourg a bien signé un accord de réadmission avec la République fédérale de Yougoslavie, qui devra systématiser et donc accélérer les procédures. Mais, pour entrer en vigueur au Luxembourg, cet accord devra être ratifié par le parlement luxembourgeois. Le projet de loi afférent est déposé à la Chambre des députés, le gouvernement en conseil a déclaré ce texte prioritaire et veut qu'il soit adopté avant la fin de l'année. Actuellement, sur les quelque 3200 demandeurs d'asile encore au Luxembourg, 1500 furent déboutés et sont arrivés en fin de procédure. Le gouvernement veut les expulser durant les prochains mois, au fur et à mesure que les papiers arriveront de Belgrade.
Pour Luc Frieden, toujours très crispé sur les paragraphes, il s'agit tout simplement d'une conséquence logique des lois luxembourgeoises sur l'asile et l'immigration. «Je ne tolérerai jamais que des lois votées par le parlement soient tout simplement ignorées,» s'insurgeait-il. Il est vrai que la majorité parlementaire a adopté plusieurs motions invitant le gouvernement à faire de telles expulsions pour tous ceux qui n'auraient pas droit à l'asile politique. Cette année, quelque 700 immigrants ont posé une demande d'asile politique, dont une grande majorité de Yougoslaves, «or, il n'y a aujourd'hui plus aucune raison de fuir ce pays,» selon Luc Frieden, «il n'y a aucune persécution politique là-bas!»
Comme si la misère économique et le manque de perspectives de survie, comme si le fait de ne pas voir d'avenir pour ses enfants n'étaient pas des raisons suffisantes pour fuir un pays et aller chercher son bonheur ailleurs. Le Luxembourg restaure actuellement à grands frais la moindre petite bâtisse des émigrants grands-ducaux qui avaient fait exactement la même chose au XIXe siècle, fuyant la famine et la misère ici. En juillet 2002, dans le magazine italien Espresso, le Grand-Duc Henri, nettement plus généreux, avait parlé de quelque 5000 immigrés yougoslaves au Luxembourg, et, les comparant aux Italiens des années 1950 et 1960, avait espéré que leur intégration dans la société luxembourgeoise réussisse tout aussi bien.
Or, le gouvernement luxembourgeois ne le voit pas de cet oeil. Pour les ministres de centre-droite, le plus important est de faire jouer les muscles, de rétablir l'autorité del'État: ce sont eux qui décident qui peut venir et qui doit partir. Dans cette vision du monde, l'homme n'est pas libre et les hommes ne sont pas égaux: ce sont les riches Luxembourgeois qui décident quels pauvres ils veulent importer. Car l'ironie de l'histoire est que certains secteurs, comme notamment le bâtiment ou l'horeca, ont une forte demande de main d'oeuvre. Mais les immigrés yougoslaves ne peuvent pas y répondre, le gouvernement a décidé qu'ils n'ont pas le droit de travailler, ils étaient et sont condamné à l'oisiveté et à l'aumône.
Pour éponger la demande du marché de l'emploi, on ira donc chercher dans les pays candidats à l'adhésion de l'Union européenne, en priorité en Pologne, en Hongrie, en République tchèque... Rien que des pays catholiques sur la liste, alors que les familles qui s'endorment désormais chaque soir avec la peur au ventre sont musulmanes. Elles ont commencé leur ramadan, le mois sacré du jeûne, mercredi.