Ils sont phalliques, évidemment phalliques. Les visiteurs de l’exposition Bauzeichen au Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg, peuvent emporter, en guise de souvenir, une affiche avec une vingtaine de châteaux d’eau contemporains érigés ces dernières années à travers le pays. Présentés de manière objective, distante, sous forme de dessins d’architecture géométriques, en référence évidente aux photos sérielles de bâtiments industriels de Bernd & Hilla Becher, ils symbolisent à la fois la collaboration entre architectes et maîtres d’ouvrage et cette nouvelle architecture utilitaire qui s’affirme désormais. Monuments et points de repère dans les villes et villages, ils furent pour le commissaire de l’exposition, Hans Fellner, l’illustration idéale pour son discours sur l’architecture au Luxembourg.
Bauzeichen est une collaboration entre le musée et l’Ordre des architectes et des ingénieurs-conseils (OAI), qui fête cette année ses 25 ans et, au-delà d’une seule séance académique (qui aura lieu le 15 juin à la Maison du savoir à Belval), voulait aussi contribuer au débat architectural. Le problème est qu’en architecture, les organes, associations et militants parlent tellement à tort et à travers que cela en devient une cacophonie. De mésententes en guéguerres, entre l’Ordre, la Fondation (devenue Luxembourg Centre for Architecture – Luca, il y a quelques mois) et le nouveau Lëtzebuerger Architekturmusée (Lam), qui plaident tous pour une meilleure qualité de notre environnement bâti, on s’y perd un peu. Et au final, chacun fait sa petite soupe dans son petit coin avec peu de moyens logistiques et financiers. Il en est ainsi de cette exposition, dont le discours passionnant est noyé par une présentation excessivement institutionnelle, la première salle étant même carrément récupérée par l’Ordre à des fins purement promotionnelles de ses activités – on se croirait dans le mall d’un supermarché. L’exposition en soi occupe une des salles du rez-de-chaussée et est, à l’exception de l’affiche avec les châteaux d’eau et d’une maquette du projet Grousse Kueb, jamais construit au Kirchberg suite à la résistance massive du public, constituée de photos imprimées sur des panneaux sous plexiglas. Au final, c’est une exposition à lire, qui aurait pu faire l’objet d’un livre ou d’un magazine.
C’est dommage, parce que l’analyse de Hans Fellner est pertinente et, chose inattendue dans une exposition de l’OAI, extrêmement critique vis-à-vis des évolutions de l’architecture et de l’urbanisation des dernières années. Divisée en onze chapitres, elle fustige ainsi la propension à construire des solitaires prétentieux, notamment pour les nouveaux sièges des banques au Kirchberg, ou l’inventivité des administrations publiques pour réduire la générosité de l’espace public (en mettant en place des éléments pour éviter que des sans-abris ne dorment sur les bancs des abribus ou en surexploitant une place comme celle du Brill à Esch, dont le nouvel aménagement rend impossible tout sociabilité naturelle, les sculptures en bronze de Kamel Louafi censées faire fonction de bancs chauffant tellement en été qu’il est impossible de s’y asseoir). Ayant sillonné tout le pays, Hans Fellner recense ces nouveaux monuments à la prospérité des années 2000 que sont les centres culturels démesurés (par rapport à la densité de la population, et surtout par rapport aux budgets de programmation mis à disposition) et aide à déchiffrer le signifié des architectures mal aimées comme notamment celles des centrales électriques (que ce soient Cattenom ou les éoliennes) ou des stations essence. Il documente le façadisme récupérant de vieux éléments dans de nouvelles architectures, les traces de l’architecture postmoderne qui voudrait radier un siècle d’architecture moderne, les projets jamais construits ou les bâtiments orphelins, qui, bien que fortement chargés symboliquement, ont dû faire place à de nouvelles constructions.