Il y a des livres qui sont comme du bon vin. Rien ne sert de se hâter, le plaisir en serait gâché. C’est la recommandation qui vaut pour Petites chroniques de la vie qu’il fait !, le dernier recueil de Serge Basso De March, auteur de poésie, prose et théâtre et directeur de la Kulturfabrik. Autant sa dernière publication, un polar coécrit avec Enrico Lunghi, était dispensable, autant Petites chroniques de la vie qu’il fait ! est un de ces compagnons qui rassurent lorsqu’ils sont à portée de main, près du fauteuil de lecture ou sur la table de chevet. Un compagnon de route pour un bout de temps. Il faut dire que le format s’y prête. S’agissant de fragments, on les lit à l’envi, un par un, dans le désordre ou à plusieurs reprises. Ce « goutte-à-goutte de sensations éparses volées au fil du temps », ces « petits bout-à-bout » se situent à mi-chemin entre Philippe Delerm et Lambert Schlechter. Comme les poèmes en prose du premier, ils magnifient l’anodin du quotidien et comme les fragments du second, ils sont engendrés par le vécu et le ressenti personnels. On ne cesse d’ailleurs de s’étonner au fil de la lecture que l’auteur se livre à cœur si ouvert. Parce qu’il s’agit d’un personnage public. Et certainement aussi parce qu’il s’agit d’un auteur et non d’une auteure. Faire part de ses blessures, de ses (dés)espoirs, de ses joies et bonheurs, etc., avec honnêteté, sans déballage ni chercher l’apitoiement reste chose rare chez la gent masculine.
Dans Petites chroniques de la vie qu’il fait !, le je prévaut donc. Il raconte le vide de l’après-vie à deux, l’époque révolue des « regards échangés » et des « confiances réciproques ». Dont il tente de trouver la cause : « le temps [ ], le travail dans sa constance de fatigues et de renoncements [ ], les mots qui ne sont plus des alibis plausibles ». Il pleure un autre vide, plus inéluctable (« l’âme des absences, toujours mal enterrées »). La vie étant aussi faite de petites choses, il décrit la pluie et ses dommages collatéraux : le manque d’« espérance », d’« envies » et le « cafard », l’angoisse des cheveux blancs, l’ingrédient principal du pain perdu : « beaucoup de tendresse ».
Au rang des organes en action, il y a aussi les yeux. Qui passent sans transition de l’observation du « bovidé moyen » qui, pour toute action, lâche « un jet d’urine ou une grosse bouse » – forcément, on sourit, mais bêtement on en vient aussi à se demander s’il existe des bovidés inférieurs ou supérieurs – à celle des fourmis, si bien organisées que l’auteur rêve de « la première fourmi réfractaire ».
Et le cerveau. Qui fustige les zoos, les supermarchés, la pluralité des religions qui ne fait que désunir, les anti-Roms, sa propre lâcheté de ne pas oser lever le regard vers les marchandes de sexe porteuses de (nos) misères.
Force est de constater que le jonglage de Serge Basso avec humour, colère, lucidité, humilité, intimité, généralités, aveux, contemplations, observations, questionnements est très bien réussi. Mais si le principal atout de Petites chroniques de la vie qu’il fait ! était de faire prendre conscience aux vulgum pecus que nous sommes que notre quotidien n’est pas si banal, qu’il suffit d’ouvrir grand nos yeux et nos oreilles, d’écouter notre cœur, d’être à l’affût de nos sens et d’utiliser les mots de Serge Basso pour le transposer.