« Je suis venue [en France] pour faire un futur », dit une petite fille dans La cour de Babel, le documentaire de Julie Bertuccelli sur l’accueil des enfants immigrés dans l’école publique française, actuellement au cinéma. Et une autre, d’origine africaine : « Je suis venue pour devenir une femme libre ! » Peut-être qu’il faut avoir vu le regard plein d’espoir et d’attentes des enfants et adolescents fraîchement débarqués en Europe pour ne plus jamais tenir un discours xénophobe ou raciste : dans les classes d’accueil, aussi au Luxembourg, on rencontre des enfants déracinés, souvent traumatisés, après un périple difficile pour quitter leur pays d’origine, mais ce sont des enfants qui croient à l’école, à ce qu’elle peut leur apporter d’opportunités. Souvent, ils racontent qu’ils ne comprenaient pas un mot de français ou d’allemand en débarquant ici, et après quelques semaines, au plus tard quelques mois, ils se débrouillent assez pour pouvoir suivre les cours.
« Notre priorité, lorsque nous accueillons de nouveaux élèves, c’est de voir quelles sont leurs compétences, puis de les orienter vers le niveau scolaire qui leur convient le mieux », souligne Marguerite Krier, cheffe du Service de scolarisation des enfants étrangers au ministère de l’Éducation nationale. Depuis 1998, ce service coordonne les mesures d’intégration des enfants de langue étrangère, avec comme philosophie la volonté de valoriser leurs compétences et de les intégrer dans l’enseignement régulier par le biais de cours de langue intensifs au lieu de les exclure du système à cause de leurs déficits linguistiques.
C’est une des raisons pour lesquelles, dans l’enseignement fondamental par exemple, les élèves sont orientés vers la classe qui correspond à leur développement cognitif, puis se voient offrir des cours d’accueil intensifs dans les langues qu’ils ne maîtrisent pas – la plupart du temps, il s’agit de l’allemand et / ou du français. « Notre objectif est toujours d’intégrer les enfants le plus tôt possible dans l’enseignement normal », explique Marguerite Krier. Ces cours d’accueil sont offerts par des enseignants spécialement formés par le ministère. Ce sont les communes qui demandent qu’elles puissent disposer de cette offre. En 2012-2013, 1 414 enfants primo-arrivants ont été ainsi accueillis dans l’enseignement fondamental, dont 206 enfants de demandeurs de protection internationale (chiffres : Rapport annuel 2013 du ministère de l’Éducation nationale). Ils sont majoritairement de nationalité portugaise, 43,4 pour cent, mais aussi capverdienne, française ou serbe.
Outre les cours d’accueil, quelques projets-pilotes lancés ponctuellement sondent d’autres possibilités d’appuis : le logiciel Multidingsda, qui, de manière ludique, permet à l’enfant de mesurer ses compétences en-ligne, des exercices de calcul et de langue étant à chaque fois également expliqués dans sa langue maternelle. Dans le programme Portfolio CA, quinze « multiplicateurs » développent de tels portfolios avec les enfants, dans lesquels ils peuvent documenter leur savoir dans leur langue maternelle et leur compréhension de langues étrangères. Et dans trois écoles, des « assistants de langue maternelle » accompagnent les enfants lusophones du cycle 1 dans des activités en portugais : jeux, chansons ou rimes, et les aident ensuite à les traduire en luxembourgeois et à comparer les deux langues (programme développé avec l’ambassade du Portugal, dans le cadre de l’échange culturel).
La langue maternelle n’est alors plus discriminée, mais valorisée comme un véritable atout. Il est vrai que les cours de récréation luxembourgeoises ressemblent souvent à celles décrites par Julie Bertuccelli dans son film, un melting-pot de nationalités et de cultures où les enfants apprennent le vivre-ensemble de manière évidente. Les plus petits se fichent de la couleur de peau, de la langue ou de l’accent de leur copine ou de leur copain, pourvu qu’il soit gentil et aime jouer avec eux. Afin de faciliter l’intégration et la compréhension de la société et de l’école luxembourgeoises, des médiateurs interculturels sont mis à la disposition des écoles et des parents, ce sont surtout les familles portugaises qui y ont recours. Mais il y en a aussi qui parlent serbo-croate, créole, arabe, chinois, espagnol, russe, turc ou grec.
Or, plus l’enfant grandit, plus l’intégration dans l’enseignement luxembourgeois devient difficile – car la langue devient un handicap grandissant avec le niveau de scolarité de l’enfant. « Au-delà de seize ou 17 ans, nous recommandons même souvent aux parents d’encourager les enfants à terminer leur scolarité dans leur pays d’origine, parce qu’ils seraient trop pénalisés par leurs déficits linguistiques ici, ils perdraient trop de temps », explique Marguerite Krier. En moyenne, le ministère accueille quelque 600 nouveaux arrivants par an dans l’enseignement secondaire. Ils y sont orientés en premier vers de véritables classes d’accueil. L’année dernière, 26 de ces classes ont été lancées à la rentrée dans une vingtaine de lycées à travers le pays et deux en cours d’année – parce que les enfants peuvent arriver à n’importe quel moment de l’année. Onze pour cent de ces nouveaux arrivants furent des enfants de demandeurs de protection internationale en 2012-2013. Dans l’enseignement secondaire classique, vingt pour cent des élèves sont de langue étrangère ; dans l’enseignement technique, ils sont 44,2 pour cent. Là aussi, la priorité, après la classe d’accueil et ses cours intensifs de français, est l’orientation aussi rapide que possible vers les filières classiques, en passant souvent d’abord encore par une classe d’insertion.
Les enfants des familles de réfugiés syriens arrivés la semaine dernière, 19 en tout, sont un exemple-type des programmes du ministère : ils sont ainsi d’abord accueillis dans les classes spéciales installées à Weilerbach – en cas d’afflux massif de populations immigrées, de telles classes peuvent aussi être créées pour l’enseignement fondamental. Deux médiateurs arabophones ont été engagés pour les encadrer, qui feront en un premier lieu un bilan de compétences des enfants et leur expliqueront et montreront le Luxembourg avant tout autre enseignement. Dans leur cas, une difficulté supplémentaire est celle de l’alphabet : ces enfants, même ceux qui écrivent couramment, écrivent l’arabe et non le latin. Mais ces enfants-ci ont l’avantage que d’autres collègues n’ont pas : ils ont déjà le statut de réfugiés et ne vivront plus dans l’insécurité sur ce que leur réserve l’avenir. Ils pourront rester et savent que tout ce qu’ils apprendront à partir d’ici pourra vraiment leur servir pour s’assurer un meilleur avenir.