Pour tous ceux qui se languissent d’un printemps qui tarde terri-blement cette année, un saut au Scheiechlach s’impose : l’explosion florale des peintures de Frank Jons que la galerie Nosbaum [&] Reding propose actuellement leur fera du bien. Jons a été couronné par le prix Pierre Werner du Cercle artistique de Luxembourg voici deux ans et c’est la première fois que l’artiste (né en France en 1964, il vit depuis une dizaine d’années au grand-duché) expose chez nous dans une galerie. Les aficionados ont déjà pu le décou-vrir de manière plus confidentielle sur les murs d’institutions liées à la finance, son milieu professionnel d’origine. Mais on saura gré à Frank Jons de ne pas avoir réprimé l’énergie créatrice qui l’habitait et d’avoir fait depuis le choix de « la vie d’artiste ». Consciemment ou non, ses toiles, fortement liées au geste, évoquent un incroyable potentiel : dripping, tachisme pour la technique, Klimt et Monet pour les sujets récurrents de l’histoire de l’art. Le galeriste ajoutera Debussy dans l’ordre de l’interprétation musicale. Nous ajouterons Stravinsky pour l’explosion des couleurs.
Le travail d’Eric Corne exposé au rez-de-chaussée de la galerie est lui, à l’opposé, beaucoup plus cérébral, même si l’expression en soi semble elle aussi spontanée, voire naïve. Au centre de l’espace trône « la » référence, l’invariant de toutes les toiles : une maison de pionnier américain de la côte Est, en bois. Cette maquette réduite, en bois brûlé, renvoie comme le titre de l’exposition Lost Lights (c’est ainsi qu’on appelait les soldats US tom-bés dans les combats durant la guerre du Vietnam), au déclin de l’Empire américain d’aujourd’hui. On ajoute-ra que si le stéréotype a persisté sur le marché immobilier américain, ces maisons n’avaient (et n’ont toujours pas) de fondations… La déshérence de nombre d’Américains outre-Atlan-tique, contraints d’abandonner leur bien immobilier hypothéqué par la crise financière résonne de manière d’autant plus dramatique.
L’imaginaire, contrarié par la réalité, dans lequel Eric Corne projette le visiteur, tourne donc autour de « la » maison, le lieu de l’intimité par excellence. Au-delà de l’habitation qui est le premier sujet récurrent de l’exposition, le deuxième est le couple. Corne place en effet un homme et une femme, nus comme les premiers homme et femme Adam et Eve, en avant-plan. À travers les fenêtres de la maison, on aperçoit des scènes intimes (dans tout son éventail, de l’acte sexuel à la dispute violente en passant par regarder les informations à la télé et donc l’attentat du World Trade Center retransmis en direct). Le troisième archétype du récit que nous propose le peintre est que toute communauté sociale est constituée de vies singulières. Ainsi « la » maison, via les actes individuels communs à tous, devient la coulisse du tableau. On ajoutera que les maisons sont disposées séparément sur des sortes d’îlots solitaires. Comme Jons sur le mode abstrait, Corne renvoie de plus le spectateur, via sa position d’observa-teur à l’histoire de l’art : ici Caspar David Friedrich. Et en deçà ou au-delà, à la force de la matière peinture.