Près d’un quart de siècle que Joseph Beuys est mort. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il a été entièrement passé sous silence par les institutions du pays. Les années soixante, soixante-dix, c’était le temps où les regards se tournaient exclusivement d’un autre côté. Question de séquelle de la guerre, question de parti pris esthétique aussi. À moins d’une grossière erreur, et sans compter l’une ou l’autre œuvres dans une exposition collective, une seule fois le public luxembourgeois a été confronté avec l’artiste alle-mand. Connaissance de son univers à travers des multiples, cette fois-là déjà, Joseph Beuys n’en a pas été avare, il leur a donné validité et valeur, conformément à sa conception de l’art.
Dans la vitrine de l’Artium Art Gallery, avenue Monterey, une affiche du Henie Onstad Kunstsenter, à une dizaine de kilomètres d’Oslo, signée par Beuys, avec la plus-value conséquente, confirme à quiconque qui en douterait, que dès le vivant de l’artiste, ses multiples avaient droit au musée. Aux différents étages de la galerie, une trentaine, gravures, lithographies, sérigraphies, attendent le visiteur, plongée dans telles parties d’un univers, évocation de telles images, de telles idées.
Joseph Beuys, on le saisit alors dans la couleur brune qui lui est propre, telle qu’elle s’étale dans la position recroquevillée du fœtus ; dans les traits qui esquissent, imposent avec force, comme s’ils remontaient de très loin, d’abysses immémoriaux, objets et animaux. Il est là, au long des pièces, un bestiaire illustré, avec moult cervidés, d’autres bêtes, phoque, cygne, lièvre, abeille, qui d’un coup prennent un caractère archétype. Comme des totems, c’est-à-dire ce qui relie le plus fondamentalement à la vie, ce qui non moins s’inscrit dans l’organisation sociale. Soziale Plastik, voilà le credo beuysien.
De la sorte, toutes ces images livrent un double accès à Beuys. Elles sont tout simplement belles, source d’émotion esthétique ; comme ces deux torses féminins, silhouettes qui vivent de leur couleur variée et ont en même temps une densité sculpturale. Elles ouvrent sur autre chose, la vie militante de l’ar-tiste, qui vient se greffer sur une pensée, une vision de l’homme, de sa place dans le monde, des problèmes de la vie.
Et devant elles, au long des pièces, surgit aussitôt le souvenir de la personne de Joseph Beuys ; il est vrai, lui-même le disait, que chaque fois que l’on voit ses œuvres, lui (ré)apparaît en personne. Tel que par exemple il se manifestait à Kassel, au centre de la documenta ; en 1972, l’Organisation direkte Demokratie durch Volksabstimmung, en 1977, l’installation Honigpumpe am Arbeits-platz, et la Freie Internationale Universität, avec le disciple Johannes Stüttgen, en 1982, les sept mille chênes plantés à travers la ville avec leurs blocs de basalte.
Dans l’exposition, tout au bout du parcours, des photographies de Heinz Baumüller montrent Joseph Beuys au travail, pour l’une de ses sculptures majeures, deux versions en fait de Nasse Wäsche Jungfrau, aujourd’hui à la Kunstsammlung NRW à Düsseldorf et au Centre Pompidou. C’était une année à peine avant sa mort.