Depuis le 15 avril, le nouveau directeur de la Bibliothèque nationale, Jean-Claude Müller, a officiellement repris les rênes de la maison aux 600.000 documents à son prédécesseur Jul Christophory. Derrière lui, six mois de stage, en partie à l'étranger, pour apprendre le métier. Devant lui, deux grands chantiers en attente, qui sont la construction d'une annexe au Kirchberg et le passage à un nouveau réseau informatique, plus performant que l'actuel Sibil. Mais rien n'intimide celui qui voue aux livres et aux documents anciens une réelle passion..
Son optimisme, son enthousiasme et son engagement sont indéniables. Lorsque Jean-Claude Müller parle de « sa » nouvelle maison, il ne freine guère son élan. En veste-cravate de rigueur, assortis pourtant à un pantalon en daim-cuir brun et des bottes de cowboy, il veut montrer au visiteur tous les trésors qu'abrite le bâtiment datant du XVIIe siècle. Comme le coffre-fort dans la cave voûtée où sont conservés plus de 800 manuscrits, ou encore la réserve précieuse au premier étage. Il parle de techniques de conservation comme d'autres parlent de grandes blondes, décrit passionnément les dernières découvertes en matière de papier sans acide, plus résistant au temps et à l'humidité. En même temps, le nouveau directeur, né en 1956, formé en orientalisme et linguistique comparée à Oxford, Paris et Yale, dernièrement homme de communication au Service information et presse gouvernemental, est conscient que l'un des deux grands travaux à achever avant le tournant du siècle sera bel et bien le nouveau système informatique et, dans le meilleur cas, enfin le passage sur internet du catalogue de la Bibliothèque nationale (BNL) - en premier la Luxemburgensia.
Être au service du lecteur avant tout
Lors de la cérémonie officielle de changement de direction, lundi 14 avril, qui fut aussi le départ officiel de Jul Christophory, il n'y avait qu'éloges. Pourtant, l'on se rappelle que celui qui fut à la tête de la BNL durant douze ans, est parti frustré du boulevard Roosevelt, comme il l'expliqua au forum (N°170 d'octobre 1996), se plaignant de certaines lourdeurs administratives et surtout d'un personnel qu'il estima pas assez motivé. Reproche au quel ce même personnel avait d'ailleurs répondu avec virulence par la même voie. Un des problèmes à la base du malaise entre les deux parties avait alors été la saisie informatique de la moitié des entrées bibliographiques sur papier par un système qui demandait un retraitement manuel. Interrompu à mi-chemin à cause de ces différends, la saisie du restant des fiches remplies manuellement reste à faire, avant de pouvoir passer sur un nouveau système informatique de gestion de fichiers. Car l'actuel système Sibil, développé en Suisse dans les années 1970 et acheté en 1985, est déjà tombé en désuétude. C'est Emile Thoma, qui après ses six mois de direction par interim [sic], est chargé de trouver le meilleur système qui existe actuellement en Europe - parmi sept ou huit - et de l'appliquer ensuite aux conditions sur place. Avec, à plus long terme, la possibilité de pouvoir passer directement sur le réseau internet. Le changement de système informatique est déjà inscrit dans le budget pour l'année 1998.
La Bibliothèque nationale de Luxembourg a une grande particularité par rapport aux établissements du même nom dans d'autres capitales européennes: Ses deux missions de base sont inversées. Si Paris, Francfort, La Haye, Bruxelles ou Londres ont comme première mission la conservation des livres, ce point ne vient qu'en deuxième place pour la maison luxembourgeoise, estime Jean-Claude Müller. Car ici, la BNL est la plus grande maison de ce genre accessible au public. Et pour cela, il faut qu'elle soit en premier lieu un service public. "Il faut que nous soyons avant tout à la disposition du public", explique-t-il.
Actuellement, la BNL compte un fichier de 36.000 lecteurs inscrits. Nombre d'entre eux ne sont venus qu'une ou deux fois de leur vie. D'autres - la grande majorité - sont des étudiants, qui viennent faire des recherches sur un sujet spécifique qu'ils préparent pour leurs études. Ceux-là reviennent surtout les week-ends ou pendant les vacances scolaires. "Pour cela, nous ne pouvons jamais fermer la boutique durant les vacances" sourit Jean-Claude Müller. Il sait aussi que pour eux, la rapidité et la flexibilité des services importe vraiment. Dans ce sens, comme dans celui d'une plus grande flexibilité des horaires d'ouverture ou d'une meilleure suite donnée aux propositions d'achat, il promet de chercher des améliorations en collaboration avec le personnel. En ce moment, le BNL rémunère cinquante personnes, dont 37 contrats à durée indéterminée et treize DAT et autre main-d'oeuvre temporaire.
Le deuxième noyau de public sont les chercheurs en histoire locale, puis ceux qui veulent établir leur arbre généalogique, et en dernier, la population "européenne", venue au Luxembourg par leur emploi aux institutions européennes. La bibliothèque doit pouvoir répondre aux désirs et demandes de chacun de ces publics très différents.
Manque de place
Le problème majeur de la Bibliothèque nationale, plus encore que des éventuelles lourdeurs administratives ou la désuétude du système informatique, c'est avant tout le manque de place. De toutes parts, dans toutes les salles, les livres et autres documents s'empilent plus ou moins dans l'ordre ou le désordre. Que ce soit la réserve précieuse, le libre accès en salles de lecture ou les magasins, les murs de l'ancien Collège des Jésuites puis de l'Athénée grand-ducal risquent d'exploser. Ce n'est pas une nouvelle. En 1995 ont commencé les études d'avant-projet de loi pour une extension, ou plutôt une dépendance au Kirchberg. Dans les semaines à venir, cet avant-projet devrait être assez avancé pour devenir projet de loi et être présenté au public et à la Chambre des députés, prévisiblement en juin 1997. Pour un investissement prévisible de 850 millions de francs, le bureau d'architecte Carlo Kerg a imaginé un bâtiment en L, composé de trois silos à sept étages chacun, destinés au stockage de 1,26 millions à 2,3 millions de livres, selon le type d'étagère. Placée au coin de la rue Coudenhove Kalergi et de l'avenue John F. Kennedy, cette annexe abritera en outre la médiathèque - actuellement presque cachée dans une petite arrière-salle de la bibliothèque -, un accueil, des ateliers, une cafétéria et un parking souterrain. Chaque silo est composé d'un noyau central, contourné d'un couloir qui fait tampon - par exemple pour absorber les différences climatiques entre l'intérieur et l'extérieur. Ce chantier aussi - comme celui du Musée de la forteresse, ou encore de la Salle de concerts - vise l'achèvement en l'an 2000/01. Soit en trois an.
Le grand danger inhérent à une telle "dépendance" s'appelle scission des stocks. Selon Jean-Claude Müller, seuls quinze pour cent des documents d'une bibliothèque sont régulièrement consultés. Les autres 85 pour cent sont une mémoire "morte", indispensable certes, mais qui pourrait tout aussi bien être stockée plus loin du public. Le point central de l'actuelle bibliothèque, au cur de la ville, doit impérativement subsister. Le nouveau bâtiment absorbera aussi les stocks actuellement dispersés dans les diverses annexes louées au prix fort à travers toute la ville.
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