Pascal Peters veut favoriser le « community policing » et pointe les limites de la « war on drugs ». Portrait du nouveau directeur général de la Police

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Pascal Peters, ce mercredi  à la direction générale de  la Police,  au Findel
Foto: Sven Becker
d'Lëtzebuerger Land vom 22.11.2024

Pascal Peters fait preuve de beaucoup d’ouverture d’esprit ; du moins pour un directeur général de la Police. Dans ses interviews, il se réfère à la « philosophie du community policing » et plaide pour plus de « diversité » (Wort, 23 mai). Il ose également pointer les limites de la « war on drugs » : « Tant qu’il y a une demande, il y a une offre ; et nous, on fait déplacer un peu l’offre dans d’autres quartiers, mais on ne résout pas le problème de la demande. » (Le Quotidien, 30 septembre). Le syndicat policier loue ses compétences sociales, sa disponibilité et son ouverture. La politique l’apprécie également. On le décrit comme « intègre », « sobre » et « réfléchi ». Contrairement à Philippe Schrantz, son prédécesseur, Peters n’a pas peur des médias. Il communique beaucoup, s’affichant patient, pédagogue et peu autoritaire.

Natif de Differdange, Pascal Peters a grandi dans une famille d’enseignants. Son père était prof de chimie, sa mère institutrice. Son enfance et son adolescence, il les a passées à Reckange-sur-Mess, où ses parents, comme de nombreux Minettsdäpp de la classe moyenne, avaient déménagé au début de la crise sidérurgique. En 1992, son bac en section maths en poche, Pascal Peters s’enrôle au Härebierg, où il opte pour la gendarmerie. Parmi ses anciens potes du Lycée Michel Rodange, il est le seul à avoir choisi cette voie, finalement très atypique pour son milieu. Il aurait cherché « un défi », dit-il, ainsi que des études lui permettant de rester actif et de continuer à faire du sport, notamment du basket. Ses parents auraient accepté son choix : « Dat war nie een Thema ».

Peters entame alors la formation qu’ont suivie tous les officiers de sa génération : Deux ans à Bruxelles à l’École royale militaire, deux autres à l’Université de Liège, et une dernière à l’École de gendarmerie à Melun en France. Un mélange de droit et de pénologie, avec un peu de sociologie, de psychologie et de médecine légale. Durant les vacances universitaires, il suit des stages à la gendarmerie au Luxembourg. La philosophie de l’époque restait largement répressive en Europe. Pascal Peters se rappelle les émeutes de mineurs en Flandre et les années Pasqua en France. « Dat war méi strong policing… Quand j’ai commencé, c’était vraiment encore ‘Force à la loi’ », dit-il, en référence à l’injonction qui était gravée sur les boutons et les ceinturons des gendarmes français (à côté de la devise « Respect aux personnes et aux propriétés »).

En 1997, Pascal Peters intègre une gendarmerie qui, dit-il, restait fortement marquée par l’« esprit militaire » et le « casernement ». Au lendemain de sa fusion avec la Police, initiée en 1999 par le socialiste Alex Bodry, elle aurait peu à peu cessé d’être « un milieu à part », commençant son « intégration dans la société ». Qu’en est-il de l’affaire Bommeleeër ? Les jeunes recrues interrogeaient-elles leurs collègues sur cette série d’attentats terroristes dont il fait aujourd’hui peu de doutes qu’elle émanait des forces de l’ordre ? « J’ai souvent entendu dire que si on n’avait pas connu l’époque on ne pourrait pas vraiment comprendre », se souvient Peters. Si les accusations étaient avérées, ce serait « grave ». Mais, ajoute-t-il aussitôt, il faudrait remettre les faits « dans le contexte de l’époque ». Pour lui, personnellement, les années 1980 seraient toujours restées « presque abstraites ».

En 27 ans, Pascal Peters a patiemment parcouru toutes les stations. Il a été gendarme de terrain dans l’Ösling puis à Esch, commandant à l’Unité spéciale, chef de département à l’Inspection générale de la Police, directeur adjoint des opérations, chef de la « police administrative » (de ceux qui portent des uniformes). Il ne restait plus qu’un échelon à grimper : La direction générale. Peters l’a fait en juin 2024. Comme candidat, il était de facto incontournable.

Depuis son QG au Findel, une suite de bâtiments (dont l’ancien siège de Ferrero) reliés entre eux par un dédale de couloirs anonymes, Peters a la responsabilité sur plus de 3 100 policiers, dont 2 400 en uniforme. La tâche n’est pas simple. Les policiers défrayent régulièrement la chronique judiciaire. Dernier exemple en date : En avril 2021 à Bonnevoie, un policier travaillant à la Cour grand-ducal se dispute avec sa petite amie, propriétaire d’un cabaret. Il sort son arme de service et tire cinq coups, « fir datt dat ophält mat deem Stress » : Quatre balles percutent le meuble télé, la cinquième sa jambe. Autrement plus grave, l’affaire du double meurtre dans un penthouse à Bereldange. En septembre 2016, un policier de 26 ans – que ses collègues avaient affublé du sobriquet « de Rosenen » – empoisonne sa sœur et son beau-frère à la cyanure de potassium. (Il pensait avoir commandé sur le darknet de la toxine botulique, plus lente à agir et plus difficile à détecter.) Un pompier qui avait été présent sur le lieu du crime témoigne au procès : Alors que les secouristes tentaient de réanimer les victimes, l’accusé aurait allumé la télé pour regarder une course cycliste.

Les policiers ne se retrouveraient pas plus souvent sur le banc des accusés que d’autres catégories socioprofessionnels, prétend Peters. Leurs procès seraient simplement « davantage médiatisés ». Le cas qui a fait couler le plus d’encre est celui des tirs mortels à Bonnevoie, suite à un contrôle de véhicule qui a mal tourné. En avril 2018, un policier de 22 ans ouvre le feu sur une Mercedes noire qui fonce droit sur lui. Le conducteur, un Néerlandais fortement alcoolisé, dévie au dernier moment. Trop tard : il est touché par deux des trois balles, et meurt des suites de ses blessures. Au procès, le Parquet fait le portrait du policier en « Law-and-Order-Typ » (Tageblatt). En premier instance, il est condamné à cinq ans de prison, dont trois avec sursis. En appel, les juges estiment que la jeune recrue a agi en légitime défense. L’ex-policier sort blanchi de la Cité judiciaire.

Les stagiaires de l’école de police se retrouvent fréquemment aux prises avec la Justice. Un élève policier et « Freizeitwrestler » se déchaîne contre un collègue (qui s’était mis en couple avec son ex) en novembre 2016 dans une discothèque au Limpertsberg. De manière répétée, il frappe la tête et le visage de celui-ci, jusqu’à lui fracturer le plancher de l’orbite. Quelques mois plus tôt, devant une autre discothèque, le même flic-catcheur était impliqué dans une bataille rangée entre policiers et soldats. Et la liste continue. En juillet 2022, moins de trois mois après son assermentation, un policier est placé en détention provisoire. Il vient d’être pris en flagrant délit de cambriolage. Le propriétaire de la maison, expert en arts martiaux, a réussi à immobiliser le visiteur. Le Wort cite une source selon laquelle le jeune policier aurait expliqué avoir agi « fir de Flipp ».

Cette accumulation de « faits divers » inquiète. D’autant plus que la Police vient d’ouvrir grand les portes des recrutements : 200 postes sont à pourvoir annuellement. Dans un éditorial, le Wort pointe le danger « dass vermehrt ‘schwarze Schafe’ die Uniform tragen ». Pascal Peters pointe les garde-fous : Avant d’être admis à l’école de Police, chaque candidat doit passer des entretiens et des tests psychologiques, qui seraient « relativement sévères ». Ensuite, durant les deux années de formation, on tenterait de filtrer les élèves qui ont choisi la Police pour les mauvaises raisons, en accordant une attention particulière aux « comportements ». Dix à quinze pour cent des élèves finiraient d’ailleurs par être relégués, en partie à cause du non-respect « des valeurs que nous voulons promouvoir ». Un des principaux défis que Peters veut relever, c’est « l’élargissement du Spektrum » des recrutements. Une campagne médiatique tente de positionner la Police comme « employeur attractif », notamment pour les bacheliers et les femmes. (Celles-ci représentent actuellement moins de quinze pour cent des agents en uniforme.)

Mais il y a plus alarmant que les violences commises par de jeunes recrues dans leur conduite privée. Les violences commises par des policiers dans l’exercice de leur fonction pourraient indiquer, elles, des problèmes plus structurels. Au fil des décennies, une culture toxique s’est développée dans certains commissariats, surtout ceux situés dans les hotspots et laissés longtemps dans un état de délabrement matériel. (Le nouveau commissariat de Differdange a été ouvert en mai 2023, ceux d’Esch et d’Ettelbruck sont en cours d’étude.)

Le 20 mai 2023, pendant la nuit de l’ING Marathon, un homme capverdien est passé à tabac dans la cellule de dégrisement du commissariat de la Gare. Tandis qu’un policier aurait frappé le détenu, deux autres auraient observé sans intervenir. C’est un jeune policier de 22 ans, qui venait de rejoindre le commissariat trois semaines plus tôt, qui est chargé de rédiger le rapport d’intervention. Son supérieur l’aurait poussé à maquiller le compte-rendu. Le jeune s’exécute, intimidé. Plus tard, alors qu’il a quitté le commissariat de la Gare, il finit par dénoncer ses anciens collègues. Les trois policiers impliqués dans les violences présumées vont passer plus de deux mois en détention préventive à Sanem, tout comme le commissaire en chef soupçonné de falsification.

En août 2013, Le Quotidien évoque un « système de mérite très spécial » qui aurait eu cours à la Gare : « Un certain nombre de flics ripoux » auraient harcelé les jeunes recrues, « tenues d’obéir et de se taire ». Trois mois plus tard, le Wort publie des extraits de mails adressés par l’accusé à une partie de ses collègues qu’il désigne comme « Bridder an zolitt Faischt vun der Gare » ou comme « meng roosen Amigos vun der Gare ». Ces échanges exposent l’atmosphère toxique qui régnait dans le commissariat. En novembre 2023, l’unité de police du quartier Gare est dissoute. (L’enquête serait clôturée, annonce le Wort en juin dernier, le Parquet pouvant désormais décider d’engager des poursuites.)

« On sait que c’est un milieu très spécial dans lequel ces gens travaillent tous les jours », commente Pascal Peters. « Il faut bien-sûr faire attention à ne pas perdre le Nord. » Le jeune whistleblower travaillerait toujours dans un commissariat, il ne serait donc pas devenu un paria, rassure-t-il. La violence policière présumée à la Gare révèle-t-elle un dysfonctionnement plus systémique ? L’affaire serait « intern opgeschafft », promet Peters. Toutes les « conclusions nécessaires » en seraient tirées. Et de marteler : « La culture générale » au sein de la Police n’accepterait pas de tels agissements qui seraient « contraires à nos valeurs ».

L’affaire de la Gare en rappelle une autre. Il y a neuf ans, trois policiers eschois étaient condamnés pour corruption passive et entrave à la justice. Entre juillet 2010 et décembre 2012, le trio avait pris l’habitude de finir ses services de nuit au comptoir d’un cabaret, rue d’Audun à Esch. Ils s’étaient liés d’amitié avec le propriétaire. Le fait que des femmes se prostituaient dans les « séparés » au sous-sol ne semble pas les avoir gênés. Au contraire, ils auraient prévenu le tenancier en amont des contrôles de la Police et des Douanes. Durant le procès, le procureur remarque qu’une bonne partie des policiers eschois se seraient « in diesem Milieu verrannt » (Tageblatt). « Ich habe der ganzen Escher Polizei Drinks ausgegeben », déclare le propriétaire du cabaret. Un des policiers accusés abonde dans le même sens : « In Esch war das eben so […] Da wurden die jungen von den alten Beamten angelernt. Man wollte halt mit dem Strom schwimmen » (Wort).

Pendant cinq ans, Pascal Peters a travaillé à l’Inspection générale de la Police (IGP). S’est-il fait beaucoup d’ennemis à ce poste ? « Si on n’a rien à se reprocher, on n’a pas à craindre l’IGP », répond-il. Même s’il admet que convoquer un collègue dans une audition « dat wor scho speziell ». Mais on aurait toujours enquêté « de manière propre, à charge et à décharge ». Par moments, Pascal Peters parle comme un technocrate, évoquant les processus qu’il a implémentés ou les « formations de management » qu’il a suivies. Il faudrait intégrer les « best practices » au Luxembourg, dit-il. Peters y a réussi avec la « police locale ». Durant les campagnes électorales de 2023, Lydie Polfer et le CSV avaient promis une Gemengepolice « soumise au maire ». La montagne aura accouché d’une souris, sous forme d’une patrouille à pied et d’un brassard bleu. Les policiers se relaient selon un système de rotation et restent intégrés dans leur chaîne de commandement. On peut y voir un début de la police de proximité, chère à Peters. Mais telle que la vendaient le DP et la CSV, la Gemengepolice est restée en tout cas une chimère.

En principe, Peters se déclare ouvert à l’intégration des non-Luxembourgeois (mais parlant les trois langues administratives) dans la Police. Face au Land, il explique que pour être crédible dans un rôle de « community policing », la Police devrait être « le reflet de la société » qui est constituée à cinquante pour cent de non-Luxembourgeois. « Iergendwann muss een sech déi Fro stellen », au plus tard le jour où les candidats viendraient à manquer, dit Peters. Pas sûr que les troupes de Peters soient prêtes à l’entendre. En juillet, RTL a révélé une vidéo enregistrée dans le commissariat central et qui circulait depuis plusieurs semaines. On y entend un stagiaire se faire insulter par ses collègues : « Ale, wat ass dat ? » « T’ass e Fransous. » « Dat ass mir schäissegal, e soll meng Sprooch léieren dee Wichsert. » « D’Police hëllt och all Schäiss. » La cible de ses attaques xénophobes est un policier-stagiaire binational qui parle le luxembourgeois avec un accent français.

La direction de la Police a réagi illico en condamnant les insultes comme « inappropriées » et « inacceptables », allant « absolument à l’encontre des valeurs de la police. » Le lendemain, Fred Keup décide de jeter de l’huile sur le feu. Dans une question parlementaire, le député ADR s’enquiert : « Wéi een Niveau am Lëtzebuergesche gëtt am Moment fir déi eenzel Karriäre bei der Police verlaangt ? » Le ministre des Affaires intérieures, Léon Gloden (CSV), répond et sous-entend : « Ech gi dovunner aus, datt Dir mat Ärer Fro dësem Sujet keng populistesch Konnotatioun wëllt ginn. »

Face au Land, Peters affiche une politique de zéro tolérance : « Dat geet guer net ». Le dossier aurait été transmis au Parquet, des mesures disciplinaires seraient « évidemment » à l’étude. Il assure que ce genre de « dérapage » ne serait « pas du tout accepté am Corps ». Or, les sociologues estiment que l’extrême-droite est surreprésentée dans la Police. C’est ce que confirment les sondages en France, selon lesquels plus de cinquante pour cent des policiers et gendarmes voteraient RN. Peters dit ne pas avoir connaissance de tels sondages pour le Luxembourg. Il martèle son message : Le racisme serait absolument contraire aux valeurs de la Police. Et de se référer au Code de déontologie, élaborée il y a cinq ans à l’aide d’Erny Gillen, ex-vicaire général et PDG de Moral Factory sàrl.

Par moments, Pascal Peters se démarque de la rhétorique « law & order » dont le CSV et le Stater DP ont fait leur fonds de commerce. Par exemple quand il évoque la répression contre la drogue. La Police ne serait « qu’un acteur parmi beaucoup d’autres ». Elle pourrait « désamorcer certaines situations » mais pas « résoudre le problème » qui serait « sociétal ». Lors de son récent passage sur RTL, la procureure générale Martine Solovieff a critiqué l’actionnisme dans le quartier de la Gare. La Police serait poussée par la politique à « faire du chiffre ». Les affaires entrant au cabinet d’instruction n’auraient « pas la même qualité, pas la même gravité que par le passé ». On arrêterait surtout de petits dealers « avec trois ou quatre grammes », qu’on finirait de toute manière par relâcher au bout de deux semaines.

Pascal Peters s’en explique : « Plus on est présents, plus on voit des choses… Et ces choses nous sommes tenus de les rapporter au Parquet. » La sortie de Solovieff a très peu amusé le député Laurent Mosar (CSV) qui interroge la ministre de la Justice dans une question parlementaire : « Géif dat och bedeiten, dass d’Drogekonsumente net méi vum Parquet poursuivéiert ginn ? » Une manière de rappeler le programme électoral du CSV qui avait revendiqué une « repressive Drogenpolitik », tout en promettant : « Der Strafkatalog für Drogendelikte wird verschärft ». (L’accord de coalition ne perd, quant à lui, pas un mot sur la question.)

Un chef de police ne critique pas les mesures de son ministre. Pascal Peters monte la défense du « Platzverweis généralisé » souhaité par Léon Gloden (CSV). Cette mesure, dit-il, constituerait une bonne alternative à la détention administrative qui s’avérerait souvent démesurée. Déposé fin juillet, le projet de loi vise ceux qui troublent « la tranquillité, la salubrité ou la sécurité publiques » ou simplement ceux qui « importunent les passants ». Ils peuvent être « éloignés », « au besoin par la force », à une distance qui ne peut dépasser « un rayon d’un kilomètre ». Sur RTL-Radio, Martine Solovieff se montrait très peu rassurée : « Dat do geet, mengen ech, awer ze wäit ».Les critères seraient vagues et ouvriraient la porte à l’arbitraire : « C’est à la tête du client... une appréciation subjective du policier ».

Les critères ne seraient pas flous, rétorque Peters, du moins pas plus flous que ceux qui définissent le « trouble à l’ordre public ». De toute manière, rassure-t-il, la Police se donnerait des directives internes pour contrer les abus. Le « Platzverweis » serait un instrument de la « Gefahrenabwehr », il serait notamment à employer lors de matchs de foot. Pas sûr que la politique ait les mêmes intentions. En juillet 2022, Léon Gloden avait déclaré devant la commission de la Sécurité intérieure que son parti souhaitait pouvoir éloigner une personne « qui glandouille devant une vitrine d’un commerce ». Lors de son passage sur le podcast Gëlle Fro, Luc Frieden a parlé d’amis à lui qui n’oseraient plus traverser la place Hamilius le soir : « Well der do lauter sëtze déi eng Onsécherheet – reell oder empfonnt – ausstralen ».

Bernard Thomas
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