Maxim Kantor né en 1957 en Russie, a aujourd’hui la nationalité allemande, est membre honorifique de plusieurs collèges de l’Université d’Oxford, Docteur honoris causa de l’Université de Turin et vit sur l’Île de Ré. Il a toujours été un rebelle, même s’il a représenté en 1997 la Russie à la Biennale de Venise, à une époque où la société russe donnait les apparences d’une démocratisation se rapprochant du monde occidental avec la conclusion du pacte OTAN-Russie sur les principes des relations de coopération et de sécurité mutuelles.
Kantor, dont on a déjà plusieurs fois pu voir le travail au Grand-Duché depuis 1996 – il a exposé à l’Abbaye de Neumünster, à la galerie Simoncini, (comme d’ailleurs actuellement), à la Villa Vauban. Sa dernière présentation à Neumünster New empire en 2005, montrait que sa virulence anti-Poutine, président de plein exercice de la Fédération de Russie depuis l’an 2000 était déjà montée d’un cran. Il avait très tôt compris l’ambition du « nouveau tsar » d’une Russie « néo-féodale », derrière un discours, qui, au début, était teintée d’un vernis démocratique.
Après des expulsions de plusieurs écoles Kantor décrocha un diplôme à l’Institut polygraphique, de Moscou en 1980. Dès l’année suivante, il se fit remarquer dans une exposition de groupe, que l’on dirait aujourd’hui de squatteurs, qu’il organisa dans « La maison rouge » (c’est aussi un tableau, qui sert de couverture au catalogue de l’exposition de Kantor au Tutesall à Neumünster en 1996). Le Musée national d’histoire et d’art (MNHA) dont le directeur, Michel Polfer est le commissaire de l’exposition, a profité que le quatrième étage soit actuellement en chantier de rénovation (le parquet grince, les murs ont encore leurs couleurs de fond ou sont pour partie déjà décapés), pour participer d’une manière résolue au soutien à l’Ukraine. Dans une mise en espace aussi rapidement décidée que remarquable, l’exposition compte quelques 70 dessins, gravures et peintures à l’huile de Kantor qui appartiennent pour la majorité au musée, mais aussi prêtées par des particuliers et des institutions, car Kantor est collectionné à travers le monde entier.
On rappellera que l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe a commencé le 24 février dernier. Cela devait être une conquête rapide de ce pays par un Vladimir Poutine résolu à reprendre une de ces ex-Républiques, mais qui, avec la Révolution de la Place Maïdan de 2014, se tourna vers l’Occident et élut démocratiquement en 2019, Volodomyr Zelensky comme président. Le rattachement de la Crimée, la même année, fut la dernière fois où Kantor mit les pieds en Russie. Par la virulence de son analyse de ce qu’il appelle depuis le début de sa venue au pouvoir, le « néo-féodalisme nationaliste » de Poutine, il comprit que, venu là pour protester, il était un opposant en danger de mort.
Dans l’exposition, on voit Poutine, bercé sur les genoux d’un Boris Eltsine affaibli, biberonné à la vodka, qui a effectivement passé le pouvoir au petit Vladimir, ex-agent du KGB. C’est Keep Russia safe, une lithographie aux rehauts de couleur du portfolio Vulcanus Atlas de 2010. Parmi les autres lithographies, qui composent la première partie de l’exposition, des oligarques se gavent sous un portrait de Vladimir Poutine dont les gouvernements sont fantoches. La terreur est toujours son moyen favori de régner, comme Staline, même s’il a été balayé sous le tapis de la Russie post-soviétique. Sur la lithographie It almost fits, on voit Poutine enfiler le visage moustachu, les bottes et la casquette du « Petit Père des Peuples » de la Russie soviétique, qui a fait vingt millions de victimes.
Emprisonnement, menaces, élections truquées et faux débats politiques… Government prepares reforms, Parliament debates, sont des aquatintes et gravures sur bois en noir et rouge du portfolio Wasteland Atlas datées de 2000-2001, soit au tout début du règne aux apparences policées d’un Poutine qui néanmoins, agit toujours de la même manière, ce que l’on voit ensuite dans la salle des peintures rouges. On retrouve les cercles concentriques de la grande huile sur toile État de 1991 (les intellectuels font partie du deuxième cercle, la famille de Kantor en était, selon le modèle de la République de Platon) mais ici, dans cette deuxième version on passe à des cercles fermés et l‘usage de la violence arrive : en treillis militaire et masques noirs, des sbires du régime torturent à mort un rebelle tchétchène (Requiem for a Terrorist), accoutrement de mode cynique, repris sur un podium, où défilent des mannequins juchés sur hauts talons (Haute-Couture, 2004).
Kantor raconte l’actualité, il est aussi écrivain. Ses dessins et gravures rappellent les cruelles observations d’un Georg Grosz de la République de Weimar, démocratie parlementaire de l’Allemagne des années 1920, qui accoucha finalement de Hitler au pouvoir. Également historien de l’art, Maxim Kantor sait faire le lien pictural entre notre époque et la représentation du monde chaotique de la fin du premier millénaire, tels que l’ont si bien représenté un Bruegel l’Ancien et un Jérôme Bosch. Maxim Kantor utilise les mêmes métaphores d’un bestiaire fantastique pour représenter la Russie néo-féodale dont Poutine se rêve le despote du 21e siècle. C’est un monde apocalyptique où les petits craignent le Diable.
Ici, point d’espoir de liberté pour un homme nouveau, comme ce fut dans l’histoire, au passage du Moyen âge à la Renaissance. On se bat entre soi (Open Society, 2002, Civil War et Brown Spring, 2016), on est désinformé (Unlimited Edition, 2004), il n’y a qu’un choix : tenter de fuir en montant à bord de l’Arche (2016), au risque cependant que ce soit Le Bateau Ivre (également de 2016). Ces tableaux ont une facture épaisse, comme le Cheval noir (2022) et les Refugees (2016). The nave of Fools (Poutine et ses oligarques) et Ship of Europe (l’Union Européenne) tanguent sur les mêmes flots (tous deux de 2019). La facture picturale est plus fine, avant un tableau de fin où les restes sont maigres mais l’épaisseur du trait pictural brutale. Depuis, il y a eu le 24 février 2022. Maxim Kantor en est convaincu, cela se terminera par The Rape of Europe. Poutine veut anéantir l’Europe unie ; les États-nations sont plus faciles à combattre.
Et si on osait ne pas croire en cette issue fatale ? Ce n’est pas le tableau qui conclut l’exposition, mais un parmi d’autres : Erasme et Thomas More, philosophes humanistes, jouent aux échecs. Thomas More est en train de déplacer la figure du Fou. La partie est en cours.