L’initiative législative des députés est un droit parlementaire fondamental. Il permet aux représentants du peuple d’élaborer des textes sur des sujets le plus souvent pointus qui soulèvent l’intérêt du moment de l’opinion publique.
Les propositions de loi, une fois déposées, subissent l’épreuve des avis du Gouvernement et du Conseil d’État.
Ce dernier ne met pas la langue dans sa poche. Les jugements pondérés, marqués du coin du bon sens, n’empêchent pas les sorties parfois ravageuses sur les propositions de loi lui soumises.
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Ainsi, le 27 septembre 2011, le Conseil d’État a arrêté un avis très négatif sur une proposition de loi 6111 du député ADR Jacques-Yves Henckes « relative à l’organisation d’un référendum national concernant la réalisation soit du projet « City-Tunnel » soit du projet « tram léger », déposée le 4 février 2010.
Selon son habitude très pédagogique le Conseil d’État rappelle d’abord la matière référendaire, détermine ensuite la compétence (État ou ville de Luxembourg) en matière de moyens de transport et enfonce finalement comme absurde le recours au référendum national selon l’article 51 de la Constitution dans le cas présent. En effet, l’auteur de la proposition de loi entend retirer la compétence en matière de circulation aux autorités de la Ville, car selon lui, « le problème à trancher ne concerne pas seulement les habitants de la Ville de Luxem[-]bourg, mais aussi ceux du Grand-Duché et de la Grande Région ». À l’aune de ce raisonnement, la plupart des problèmes traités par la Ville concernent les visiteurs plus ou moins réguliers qu’il faudrait dès lors consulter chaque fois par référendum : « Que de référendums en perspective ! » s’écrie le Conseil d’État. Enfin, celui-ci se moque gentiment du « choix multiple » sous forme de deux questions proposées par l’auteur du texte qui rendrait difficile de connaître l’intention véritable des électeurs. Finalement, l’affaire est entendue : pas question de cette sorte de référendum qui n’est cohérent ni avec la Constitution ni avec la loi électorale ni avec la matière en elle-même !
Un autre avis récent du 27 septembre 2011 concerne la proposition de loi 6115 de la députée Viviane Loschetter, déposée le 5 mars 2010, portant sur une modification de la loi électorale du 18 février 2003 et visant à promouvoir une représentation politique paritaire des femmes et des hommes. Là encore, le Conseil d’État n’hésite pas à démanteler l’argumentation de la députée qui a repris une recommandation de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et dont il se plaît à constater la contradiction avec une étude du même Conseil de l’Europe sur la démocratie paritaire de 2010.
Mais le Conseil d’État approfondit lui-même le sujet à partir d’une interrogation sur le système de quotas proposé. « La conclusion s’impose que le problème est probablement plus profond. Le Conseil d’État tient dans ce contexte à relever qu’au grand-duché de Luxembourg, le droit de vote des femmes remonte à l’introduction du droit de vote universel en 1919 et qu’il est donc quasi centenaire. Cependant et malgré cette longue accointance de l’électorat féminin avec la vie publique, cet électorat ne s’est pas exprimé en bloc en faveur des femmes candidates. Au surplus, le grand-duché a eu très tôt des femmes ayant assumé la fonction de Chef de l’État. L’électorat sait donc que les femmes peuvent avoir un impact positif et fournir une contribution essentielle au bien-être du pays. »
Au fil de son raisonnement, le Conseil d’État constate que « l’impact positif » (des quotas de représentation) est actuellement très difficilement décelable. Il propose de se placer au niveau d’une réflexion plus générale sur le système électoral du grand-duché et de faire accompagner les réformes électorales d’une éducation civique égalitaire et de l’élimination de clichés sexistes et de préjugés à l’égard des femmes candidates.
Il est vrai que le système électoral bientôt centenaire (il date en gros de 1919) ne permet pas aux partis de gérer leur personnel en fonction de l’égalité entre femmes et hommes, jeunes et vieux, ou encore de la diversité sociale. Seule la notabilité auprès des électeurs garantit un résultat positif. C’est qu’en 1919, nous sortîmes d’un scrutin majoritaire à deux tours au niveau cantonal et que les législateurs d’alors, consciemment ou inconsciemment, tenaient à faire perdurer la notabilité comme fondement du système. Si l’on voulait s’attaquer à la racine, il faudrait remplacer le scrutin proportionnel ouvert par un système de listes bloquées pour qu’un système de quotas ait un sens, pour les femmes comme pour les jeunes.
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Justement les jeunes. Voilà un autre terrain porteur pour des politiques à la recherche d’un public cible vaste autant que divers. Vaste, car les jeunes, désormais, vont de 14, 15 à 35 ans – certains mouvements politiques de jeunes n’ont-ils pas fixé la limite d’âge à 35 ans ! Divers dans ses intérêts, car ce public s’intéresse désormais non seulement aux nouvelles technologies, mais aussi aux retraites, déjà !
Dans cet ordre d’idées, le Conseil d’État a dû se pencher sur deux propositions de loi du député DP Eugène Berger (n° 6205 et 6206) ayant pour objet l’abaissement de l’âge électoral à 16 ans. Le Conseil d’État rappelle que lors de la législature précédente, le même auteur avait déposé les mêmes propositions, et de rappeler qu’il avait appelé de ses vœux dans son avis du 23 mars 2010 un « débat d’ordre général » qui évidemment n’a pas eu lieu.
Dans son avis plus récent du 3 mai 2011, le Conseil d’État s’interroge une nouvelle fois sur la limite de 16 ans pour admettre des jeunes aux élections. Pourquoi 16 ans, pourquoi pas 14 voire 12 ? « … les arguments utilisés (dans la proposition de loi) pourraient être reproduits à l’identique en faveur d’un groupe d’âge plus jeune encore (..). » Et de conclure qu’en la matière, « les possibilités de surenchère sont quasiment illimitées alors que l’exposé des motifs soutient que « l’âge de raison est situé aux alentours de 7 ans déjà » (…) ».
Dans son avis de 2010, comme dans d’autres avis précédents sur le même sujet, le Conseil d’État a essayé de faire la part des choses face à la demande d’abaisser l’âge électoral à 16 ans et surtout de creuser le sujet en décrivant la condition légale des jeunes de cet âge. Ainsi il avait écrit en 1971 : »Le Conseil d’État est toutefois d’avis qu’il est insuffisant de consentir à une émancipation qui se limiterait à la vie publique en y admettant des personnes qui continuent à rester civilement incapables. Il paraît en effet peu logique de faire participer aux affaires de l’État des personnes désormais politiquement capables, qui resteraient incapables de disposer librement de leurs personnes et de leurs biens.»
À la fin de cet avis de 2010, le Conseil d’État signale que « si des jeunes sont exclus de débats publics et politiques, ce n’est pas la Constitution qui fait obstacle », car les partis, les syndicats et les associations sont libres de les faire participer très largement à leurs activités. Le font-ils vraiment, tous ceux qui réclament un âge électoral de 16 ans ? À voir. Et ne faut-il pas voir dans l’habitude de parquer les jeunes politiques dans leurs « jeunesses » respectives, comme les seniors et les femmes dans les leurs, une émancipation à mi-chemin d’une société politique en retard ? De même, se focaliser sur le droit de vote en dehors de toute autre activité politique n’est-il pas aussi le signe d’une participation restreinte à un acte tous les cinq ans plutôt que d’une participation citoyenne de tous les jours ?
La logique, dans ce domaine, ne va jamais très loin. N’a-t-on pas entendu le même député qui demande l’émancipation politique à 16 ans s’insurger contre l’émancipation économique et financière de nos étudiants à l’âge de 18 ans grâce à une aide financière aux études universitaires sans référence à la situation familiale ou sociale ? Une aide financière certes généreuse, mais dont l’objectif essentiel est de rendre le jeune de 18 ans indépendant dans ses choix d’études comme dans ses choix de vie.