Ray Monde fait figure d’exception dans l’histoire de l’art luxembourgeois. Longtemps disparue, elle réapparaît au Luxembourg le 1er mars pour inaugurer une exposition-signature Rencontre avec Ray Monde à la galerie Nosbaum [&] Reding art contemporain liée à l’existence de son premier roman autobiographique BB Bouddha (Éditions Thélès, Paris 2009) qui se révèle être une synthèse de toute son œuvre et un acte fondateur de sa démarche artistique. Insaisissable, incatégorisable, mystérieuse, d’origine luxembourgeoise, Ray Monde s’est installée à Paris où elle réside et travaille depuis 1981. Compagne du designer Pascal Mourgue, elle est artiste multiforme (peinture, photographie, performance, installation, écriture), son travail est tourné vers des questionnements sur la construction de la femme et de son identité et elle utilise son corps comme médium artistique.
Ray Monde ne se qualifie cependant pas « d’artiste féministe ». Selon elle, le féminisme en soi est une construction falsifiée, une pensée reposant sur le modèle d’une société occidentale au schéma patriarcal entièrement dirigée par l’homme, définie comme telle par le psychanalyste Sigmund Freud. Ray Monde recherche la possibilité pour la femme de casser cette image féministe, de se construire par elle-même, de re-trouver son origine propre et non soumise au regard de l’homme. N’hésitant pas à expérimenter son corps et son identité, en 2002 elle décide de changer son nom d’origine Raymonde Philipps en Ray Monde, pseudonyme officiellement enregistré à la Maison des Artistes et elle dépose sa marque ecce femina à l’INPI (Institut national de la propriété industrielle). Son travail est suivi par des critiques, historiens de l’art et philosophes tels Michel Maffesoli et Michel Onfray.
L’exposition-signature va présenter des œuvres récentes, masques en résine et en bronze de Bouddha, deux grandes toiles noires intitulées Caresses au Bouddha et blanches (BB Bouddha). Les œuvres font référence à son roman décrivant le rôle de sa petite enfance sur son art (à l’instar de Louise Bourgeois), ses rapports avec son père et sa mère, l’enfantement dans la douleur et la mort, mais aussi la présence de l’amant, la répression de son désir sexuel et le don universel d’un masque de Bouddha comme la figure de l’enfant qu’elle va caresser, qui devient l’emblème de son atelier et l’aide à se libérer. Et pourtant, les masques servent à se cacher. « Le travail avec le Bouddha et l’écriture m’ont permis d’éclairer autrement la question de l’image féminine. J’ai pu me rendre compte et expliquer combien je (nous) sommes prisonnières de l’image dans une société qui est exclusivement portée sur et les apparences (...) Au-delà de l’aspect biographique de mon récit, j’ai pu réellement m’ouvrir à l’infinie question de l’identité et de l’aboutissement de soi, j’ai souhaité rendre un témoignage vivant d’une femme artiste. Le travail avec les caresses au Bouddha m’a permis de casser ce système dans lequel je m’étais piégée involontairement ».
L’artiste, également philosophe, écrit des ouvrages sur la question de la femme, réalise des installations et se met en scène dans ses photographies. Elle avait réalisé une exposition à la Galerie Dominique Lang avec des icônes de phallus (2003) et l’exposition Anaïdea (publication avec entretiens avec Robert Fleck, Éditions ecce femina) présentant des images de femmes nues à la Galerie Nei Liicht à Dudelange (2004), dont les répercussions dans la presse étaient restées particulièrement mineures selon l’artiste, qui a vécu l’événement comme une forme de censure et l’a poussée à prendre ses distances avec son pays natal. « Je n’ai pas été entendue (...) Quels que soient mes efforts, je constate à travers les expositions auxquelles j’ai participé ces dernières années, que la censure n’est jamais très loin de là où j’expose (ou je m’expose). À mon plus grand regret, j’accepte le fait que ma parole soit difficilement audible. Nous restons prisonniers et prisonnières des représentations féminines traditionnelles, même aujourd’hui où en apparence les rapports d’altérité entre les sexes seraient plus libres et égalitaires qu’auparavant ».
Selon Ray Monde, le Luxembourg n’était pas prêt, car il n’a pas vu d’exemples antérieurs de ce type d’art dans son histoire. « Les artistes ne prennent pas conscience de leur corps, obéissent à des préoccupations formalistes et mènent peu de questionnements sur le sexe et le chromosome féminin ».