Dans le monde privilégié du cirque nouveau, celui qui s’exporte, se joue et exulte ailleurs que sous son propre chapiteau, il y a le Théâtre d’Un jour de Patrick Masset. Trente ans que ça dure et pourtant aucune ride en scène, pour que toujours vivent des spectacles scéniques aux fondements traditionnels, évidemment multigenres, de teneur contemporaine, un chouilla participatifs, comprenant une pincée d’audace, mais surtout une grande maîtrise dramaturgique. Là est la recette de Reclaim, spectacle ovationné partout, jusqu’aux Rotondes.
Dès lors que l’on invite le Théâtre d’Un jour, compagnie aux spectacles achetés par centaines de dates, on ne peut pas crier au « nouveau » cirque nouveau, c’est un fait. Et ce n’est pas l’objet de son directeur artistique l’auteur, dramaturge et metteur en scène Patrick Masset, qui depuis 1994 n’a de cesse que de proposer des objets spectaculaires de signature transdisciplinaire, façonnés ces dernières années par son obsession de mêler à la scène cirque et opéra. Patrick Masset et sa troupe l’avaient d’abord fait génialement avec Strach, a fear song – lauréat du Prix du meilleur Spectacle de Cirque en 2018 –, mettant en scène deux porteurs, une voltigeuse et une chanteuse lyrique, le voilà réitérer avec Reclaim. Ce dernier rassemblant une mezzo-soprano, deux violoncellistes et cinq artistes circassiens dans un magnifique partage avec le public. Ce nouveau spectacle du Théâtre d’1 Jour allie ainsi sauvagerie, animalité, union collective et amour de son prochain.
C’est à la force d’une dramaturgie solidement ancré que Patrick Masset a construit Reclaim. Du chaos au structurel, un groupe se soumet d’abord à la voix d’une chanteuse lyrique pour finalement se découvrir tel un collectif fort et puissant. D’abord indompté, criant tels des animaux farouches, occupé à survivre, rapidement les membres du groupe vont se découvrir, se comprendre pour s’unir et ne former qu’un.e. De la thèse à l’antithèse pour finir en synthèse, la narration est assez premier degré, mais offre pourtant trois phases très distinctes dans la construction dramaturgique de chaque personnage, tout autant que dans la progression du récit, filant du bestial à l’humain, comme une naturelle transformation.
Tout débute dans le noir, par un tambour. Et puis, des Hommes, époumonés par leurs cris, font se rythmer une étrange cérémonie. Car d’abord, Reclaim tourne au rituel chamanique, là où hommes et femmes découvrent l’animal en eux et elles. Masque d’ossement, cranes portés tel des trophées ou mutations thérianthropiques, on ne sait quelle destination tout cela va prendre… Les interprètes se meuvent en bêtes, assoiffées, affamées, volant au public, s’acharnant les unes contre les autres, sacrifiant l’une pour dresser l’autre en dominante, propulsée régente du plateau… L’entrée en matière est exaltante au possible, sauvage jusque dans la forme circassienne que cela revêt. On frisonne et on rêve, on est ailleurs.
Et puis, Reclaim se transforme en ode poétique, les animaux de cirque deviennent des interprètes à la beauté sans pareil, montrant au jour toute leur virtuosité, la musique change, le groupe s’écoute, se caresse, communique corporellement pour livrer des images mouvantes, dessinées par des corps acrobatiques nous faisant redevenir des gosses, yeux écarquillés, bouche semi ouverte, lançant des « hoooo », et des « haaaa » en cœur. La communion collective voulue par Patrick Masset est évidente en scène comme en salle et au terme c’est l’acclamation, le public se lève, siffle, applaudit, pour finir autour d’un pot de l’amitié servi sur scène, pour ainsi poursuivre la métaphore de cette eucharistie scénique. Reclaim, Prix Maeterlinck de la critique 2023 dans la catégorie « Meilleur spectacle de cirque », ne fait pas semblant d’être ce qu’il est : une fantasmagorique aventure spectaculaire vécue ensemble.