d’Land : De mi-juillet à fin août vous avez permis à la jeune scène indépendante luxembourgeoise de rejouer devant un public, dans le cadre du festival Lëtz’ Play1. Comment avez-vous organisé un festival de la sorte, d’un point de vue technique et sanitaire ?
Ainhoa Achutegui : Pour la partie technique, ce n’était pas beaucoup plus différent que d’organiser d’autres types de concerts. Bien sûr, nous étions toujours en contact avec les autres organisateurs du pays, notamment avec les Rotondes, car nous essayons de ne pas nous concurrencer. La partie Covid-18 en revanche a été un peu plus difficile à gérer. À Neimënster, nous avons un chef à la sécurité qui est très pointu et qui était toujours en train d’actualiser ses connaissances sur les nouvelles mesures à prendre et de faire des calculs sur les jauges à respecter. Ici, nous sommes habitués à travailler de manière assez flexible en comparaison avec d’autres maisons, mais là nous avons prouvé une flexibilité totale en tâtant le terrain. Tout en étant en concertation avec le ministère et mes homologues d’autres établissements publics, avec cette incertitude de savoir si le public allait venir ou pas.
Et donc, quel bilan en tirez-vous ?
Le bilan est incroyablement positif. Demain aura lieu notre dernier concert et nous avons déjà 230 réservations (l’interview a été accordée la veille du concert final de Bartleby Delicate ndlr.). Je suis certaine qu’on aura encore plus de demandes d’ici demain, mais on ne pourra pas accepter tout le monde, car nous avons une jauge réduite. En tout cas ce bilan témoigne de la soif de culture d’un public nombreux, qui plus est diversifié. Par exemple, je m’attendais à voir beaucoup de très jeunes pour ce festival et j’ai vu beaucoup de gens de mon âge, donc quarante ans et plus.
Malgré certaines restrictions, vous avez aussi tenu à organiser des résidences artistiques tout au long de l’été.
En effet. Une de nos missions primaires est de faire travailler les artistes. Donc dans le cadre de notre reprise de cet été, nous avons invité plusieurs artistes à venir travailler sur place comme Leyla Rabih, Anne-Mareike Hess ou encore Pierre Coulibeuf. Nous avons aussi accueilli une artiste incroyable en bande dessinée, Romane Armand, qui en six semaine a construit quasiment toute la maquette de sa prochaine œuvre. Lors d’une discussion publique, elle nous a expliqué que la chose la plus magnifique qu’elle ait vécu après le confinement est d’avoir pu aller retravailler dans une institution comme la nôtre. Nous lui avons mis à disposition une table de travail et elle a énormément bossé.
Parlons jazz si vous le voulez bien. Neimënster est redevenue cette maison du jazz qu’elle n’était peut-être plus pendant quelques années. Ceci grâce aux Apéro Jazz (qui s’intituleront dorénavant « Pause ») mais aussi grâce au festival Reset qui est devenu un événement incontournable2. Le festival est-il maintenu ?
Oui, le festival est toujours annoncé. De toute façon, chaque année nous cherchons des lieux insolites mais toujours différents. Il faudra s’adapter à la situation du moment. Reset se fera, mais peut-être dans un restaurant plus grand, avec une jauge plus réduite et beaucoup moins de déambulation. Si au moment venu j’ai une jauge de trente personnes à respecter, alors je composerai avec. Il s’agit de l’un de nos plus beaux festivals, bâti en plus de ça autour d’une belle résidence.
Quid du Luxembourg Jazz Meeting, évènement biannuel de networking international que vous êtes censé accueillir en novembre prochain ?
Il est aussi maintenu. Le festival est renommé Shuffle et nous allons d’ailleurs l’ouvrir au public. Hier encore, nous avons fait une réunion à ce sujet pour déterminer comment permettre aux programmatrices et programmateurs qui vont faire le déplacement de faire du networking, malgré les restrictions. Nous devons penser à des choses logistiques qui semblent toutes bêtes comme l’organisation des repas. Devons-nous prévoir des places attitrées ? Peut-on toujours parler de networking si on impose à un programmateur son interlocuteur ? C’est ce genre de choses qu’il faut penser en continu.
Durant le confinement, et à l’instar de vos homologues, Neimënster a soutenu une initiative digitale (une soirée Crazy Quarantine Session). Les chiffres n’ont pas été au rendez-vous. Comment l’expliquez-vous ?
Il est vrai que nous nous attendions à plus de viewers. Nous avons eu la même audience qu’en salle, donc une centaine de personnes. Ces chiffres s’expliquent déjà par le fait qu’il y avait tellement de propositions digitales au niveau international qu’il était difficile de rivaliser. Et surtout, parce que rien ne peut compenser le spectacle vivant.
Les initiatives digitales et la plupart des propositions culturelles post-confinement ont en commun leur gratuité. C’est une bonne chose pour l’accès à la culture pour tous, mais, n’avez-vous pas peur que cette gratuité à tout va devienne une habitude et que les spectateurs refusent, à terme, de mettre la main à la poche ?
Nous n’avons pas ce problème, car nous sommes la maison avec le plus d’initiatives gratuites. Nos expositions et nos conférences sont gratuites pour la plupart, tous comme les Apéro Jazz. Ça peut être une peur, je peux le comprendre, mais je sais aussi pourquoi on le fait. Nous étions dans une situation tellement exceptionnelle que nous souhaitions avant tout faire revenir le public. Donc nous avons opté pour la gratuité en concertation avec les autres institutions. Je peux toutefois vous citer un contre-exemple. Nous avons programmé en juillet une série de quatre concerts de musique baroque qui ont tous amené du public3. Les concerts étaient payants et en intérieur, donc le masque était de mise. Cela prouve que le public est encore prêt à passer outre deux « contraintes », celle du prix du billet et celle des consignes sanitaires.
Le public vient à Neimënster pour sa programmation mais aussi, avant tout même peut-être, pour son patrimoine. Il y a un lieu, les casemates, l’abbaye, mais aussi une atmosphère particulière et une histoire très riche. Souhaitez-vous, à l’avenir, tirer davantage parti/profit du patrimoine pour vous distinguer ?
Absolument. Nous souhaitons aller dans ce sens. Nous sommes en train de développer le volet patrimoine touristique. Nous ne sommes pas seulement un centre culturel, mais aussi un patrimoine national. Nous sommes dans tous les guides mais aussi sur le circuit Wenzel et je dois admettre que nous avons beaucoup de touristes. Ce qui explique que nous sommes restés ouvert tout l’été, car nous avons beaucoup de passage quotidien. Parmi les 180 personnes qui sont venues dimanche dernier pour assister à un Apéro Jazz, il faut prendre en compte les gens qui passaient par là par hasard. Les touristes demandent de quoi il s’agit, ils voient que c’est gratuit, donc ils restent. Nous veillons par ailleurs à ce que nos expositions puissent intéresser un public étranger. Cet été, nous avons proposé une belle exposition sur les pionnières de l’art contemporain luxembourgeois curatée par Alex Reding. Nous avons eu beaucoup de public de passage, mais aussi de nombreuses personnes qui sont venues exprès pour cette exposition. Nous devons composer avec tous nos publics.
Depuis quelques mois vous publiez hebdomadairement des planches d’une bande dessinée qui retrace l’histoire de l’abbaye. Est-ce que ce projet fait partie de cette ligne de conduite historique et patrimoniale ?
Cela en fait partie, oui. Nous avons démarré ce projet durant le confinement en contactant Antoine Grimée avec qui nous travaillons beaucoup. Notre but avec cette superbe bande dessinée est de redonner un peu de vie à ces murs qui ont une histoire aussi belle que terrible à raconter. Il n’y a pas seulement l’histoire des moines de l’abbaye, faite de spiritualité, de sagesse et de beauté mais aussi celle d’une prison et d’une exploitation horrible. La bande dessinée finira sur ce qu’est Neimënster à l’heure actuelle.
Vous serez donc un personnage de cette bande dessinée ?
Je pense que oui (rires).
Selon vous, quel est le rôle d’une institution comme la vôtre aujourd’hui ?
Notre rôle est de réunir les gens, de permettre l’échange entre le public et les artistes. Je crois aussi à l’art engagé, aux expositions engagées et en la transmission de valeurs humanistes. Et à ce titre, nous avons un rôle à jouer dans la cohésion sociale. Je suis peut-être un peu romantique mais j’y crois vraiment.