d’Land : Les cinémas luxembourgeois ont rouvert le 17 juin. Comment les équipes de Kinepolis ont-elles préparé cette reprise ?
Christophe Eyssartier : Dès le premier jour de fermeture, on a commencé à préparer la réouverture. Il faut bien comprendre que Kinepolis a été impacté dans tous les marchés où il est présent, même au niveau transatlantique, puisque le groupe a des activités aux États-Unis et au Canada. Toutes les salles fermées en même temps sur tous les marchés, c’était clairement du jamais vu. Il y a donc eu une préparation internationale et une nationale, puisque les mesures ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Au Luxembourg on a tenu, en tant que leader du marché, à prendre l’initiative. On a lancé des démarches très vite, on a pris contact avec nos amis du CDAC et de Caramba pour voir quelles mesures sanitaires mettre en avant pour pouvoir accueillir nos clients en toute sécurité. Puis, on a pris contact avec les autorités pour voir si ce qu’on proposait était en ligne avec ce qu’elles avaient en tête. Enfin, c’était important de garder le lien, éviter la rupture totale entre nous et nous équipes et entre nous et nous clients.
C’est le secteur d’ailleurs qui a décidé de ne rouvrir que le 17 juin, car vous étiez autorisés à ouvrir dès la fin mai. Il y avait encore besoin de quelques mises au point ?
Il y avait un aspect pratique ; tant que nous n’avions pas le détail des mesures barrières à faire respecter, on ne pouvait pas lancer tout ce qui est production, communication, etc. Il y avait aussi un côté technique ; il fallait, par exemple, paramétrer le système de caisse pour faire respecter la distanciation sociale. En parallèle avec ça, on voulait permettre à chaque exploitant d’être prêt pour rouvrir tous en même temps. C’était important pour nous de donner un signal fort en tant que secteur.
Vous parliez de garder le contact avec le client, comment faire quand on est un exploitant cinématographique obligé de porter porte close ?
On a, par exemple, été très présents sur les réseaux sociaux. On informait les clients et on faisait en sorte qu’on garde le cinéma à l’esprit. Idem vis-à-vis des équipes ; on les rassurait, on leur expliquait ce qu’on était en train de préparer, les délais, etc.
Vous avez mis en place, depuis la réouverture, l’action Happy 2 see you again, qui rappelle les différents gestes barrière. Dans la pratique, en quoi tout cela a changé votre façon de travailler ?
Pour qu’un client revienne au cinéma, il faut qu’il ait confiance, qu’il se sente à l’aise avec le fait de revenir. C’est ça l’idée du Happy 2 see you again : d’une part on est très heureux d’accueillir à nouveau nos clients fidèles, d’une autre, on leur assure qu’on met tout en œuvre pour que ce retour soit fait de manière « corona-proof ». Si un client n’a pas confiance, il ne revient pas. On a donc voulu être transparent sur les mesures prises. Cette action fait partie d’une sensibilisation en interne des équipes sur une manière de travailler un peu différente, sur certains aspects plus contraignants – porter le masque toute la journée, ce n’est pas agréable. Mais bon, comme tout un chacun, on a fini par prendre des habitudes avec les mesures barrières. Après, l’essence de notre métier, de nos emplois, reste la même.
Et tous les publics sont confiants, ils sont revenus ?
C’est difficile à dire. Je pense que ça se joue beaucoup au niveau individuel. Il y en a qui sont moins à l’aise que d’autres, mais difficile de faire une différenciation au niveau de l’âge, du sexe ou je ne sais quoi. Certains avaient vraiment hâte de revenir et ont fait partie des premiers qu’on a accueilli après le 17 juin, tandis que d’autres, ne sont pas encore cent pour cent à l’aise et on les attend toujours. Peut-être aussi qu’ils ne se retrouvent pas dans le contenu, car ça aussi c’est important. Beaucoup de sorties de films ont été annulées ou reportées.
Parmi les règles sanitaires, vous annoncez que vos salles sont nettoyées de manière minutieuse après chaque séance et que les horaires des séances ont été décalés afin de minimiser la circulations dans les couloirs. Est-ce que cela crée une réflexion sur une possible refonte des horaires ? Finalement, les séances à 20 heures ou 20 heures 30 sont bien pratiques pour les spectateurs : ni trop tôt, ni trop tard…
Ce sont des réflexions qu’on a toujours, même en dehors de cette période exceptionnelle. On a, par exemple, fait une enquête auprès de nos clients à Utopia, justement sur les horaires, si ceux-ci leur convenaient, s’ils avaient des suggestions sur d’autres horaires, etc. On essaye toujours de répondre aux besoins des clients, aussi bien au niveau du contenu que des horaires. Maintenant, en ayant mis en place ces horaires, même de manière contrainte, ça nous fait voir des tendances. Il n’est donc pas impossible qu’on tire des leçons et qu’on réajuste certains horaires selon l’impact sur l’affluence. Mais c’est encore trop tôt pour le dire.
Les sorties cinéma connaissent un ralentissement sans précédent, avec même des films prévus pour le cinéma qui sortiront directement en VOD. Pour contrer cela, vos cinémas qui proposaient déjà des concerts, de l’opéra, du théâtre, des expositions et des retransmissions sportives, désormais ressortent des films plus ou moins récents et proposent même de petits programmes thématiques. Est-ce que c’est quelque chose qui vous plaît ? Quelque chose qui pourrait perdurer ?
Je rejoins ce que je disais tout à l’heure : chez Kinepolis on est dans une recherche permanente de contenus qui pourraient intéresser nos clients. Mais c’est vrai que le poids de ce contenu alternatif est effectivement plus important dans la programmation générale en ce moment, car il y a moins de nouveautés. S’il y a une demande pour, on va maintenir ces propositions, voire les élargir. D’autant que, même si le contenu alternatif représente une petite partie de l’affluence, on voit que l’intérêt pour celui-ci est grandissant.
Comment avez-vous décidé de ces rétrospectives « comédies musicales », « documentaires musicaux », Star Wars, Jurassic Park ou encore Harry Potter en 4DX ?
Encore une fois, c’est lié au fait que le nouveau contenu vient par étapes. Il y a quelques sorties, mais on n’est pas du tout dans une vitesse de croisière normale. Du coup, on essaye de trouver des alternatives pour attirer nos clients. Parmi les alternatives, il y a le fait de proposer quelques films devenus des classiques que les gens ont toujours envie de revoir, partager avec quelqu’un d’autre. Voir ou revoir Star Wars ou Jurassic Park sur grand écran n’est pas une expérience comparable au fait de le voir ou le revoir chez soi. C’est d’autant plus vrai pour le système 4DX, qui est quelque chose qu’on ne peut absolument pas vivre à la maison, mais on a aussi l’image Laser Ultra et le son Dolby Atmos.
Néanmoins les offres de VOD et de plateformes streaming, qui marchaient déjà bien, ont explosé avec le confinement. Comment un groupe de cinéma peut-il réagir face à cette concurrence à portée de télécommande ?
L’expérience est totalement différente. Aller au cinéma c’est aussi une sortie familiale, un rendez-vous entre amis. Et puis, au niveau économique, on est convaincus que dans la carrière d’un film, l’étape cinéma reste vitale.
Il y a eu de beaux contre-exemples, ne serait-ce que Roma de Cuarón ou The Irishman de Scorsese…
…oui, et il y en aura probablement d’autre. Néanmoins, la sortie en salle reste une étape essentielle pour la carrière d’un film.
Ces derniers mois on a aussi vu se multiplier, au Luxembourg, les offres de cinéma en plein air, voire drive-in. Mais Kinepolis n’a pas pris cette direction-là. Pour vous une projection cinématographique doit se passer dans une salle obscure ?
Non, ce n’est pas ça. Il n’y a pas de drive-in ou de projection en plein air organisés par Kinepolis au Luxembourg, mais ça arrive ailleurs. Ne serait-ce que chez nos cousins belges qui proposent un Kinepolis on tour avec un drive-in qui va de ville en ville. Toutes ces initiatives sont bonnes, puisqu’elles font vivre le cinéma de manière alternative. Le drive-in permet de voir un film confortablement installé dans sa voiture dans son cocon familial et puis ça réveille, peut-être chez certains, une certaine nostalgie.
Mais alors pourquoi n’avoir jamais rien proposé du genre au Grand-Duché ?
Il y a eu des idées, des pistes qui ont été étudiées… Rien ne s’est concrétisé pour le moment, mais je ne peux pas vous dire que ça ne se concrétisera pas dans les semaines à venir.
En attendant, quelle sera la prochaine nouveauté alternative proposée par Kinepolis ?
Il y a plusieurs choses en préparation. Parmi elles, comme la programmation de films familiaux en version portugaise a pas mal fonctionné, on prépare un programme de films portugais, en VO, classiques comme récents.
Puisqu’il faut toujours regarder « on the bright side of life », que restera-t-il de positif, selon vous, de cette période ?
Ce qui m’a vraiment marqué c’est la solidarité au sein des équipes. Malgré le chômage partiel, des personnes qui ne sont toujours pas à cent pour cent, il y a une envie de bien faire, de trouver des alternatives, il y a de la créativité, du plaisir dans le travail. C’est essentiel. Et puis, il a ces programmations alternatives dont certaines semblent bien fonctionner et qui nous ouvrent de nouvelles possibilités pour le futur. On verra ça quand on sera revenus, aussi bien niveau sortie qu’affluence, à une certaine normalité.