Tout le monde connaît le rôle joué par les subprimes, ces crédits immobiliers accordés à des ménages américains peu solvables, dans la propagation au monde entier d’une crise financière et économique sans équivalent depuis 80 ans. En Europe, certains pays où s’étaient formées des « bulles immobilières » comme l’Irlande et l’Espagne, ont également éprouvé l’impact désastreux d’une mauvaise gestion du marché du logement.
Tirant les conséquences de ces évènements, l’OCDE a publié fin janvier une étude qui propose aux gouvernements une « feuille de route » pour la mise en œuvre de politiques plus saines en matière immobilière.Le document, qui correspond en fait à un chapitre de la publication annuelle « Objectif Croissance » à paraître prochainement, est intitulé « Le logement et l’économie : des politiques à rénover ».
L’OCDE a constaté qu’au cours des deux dernières décennies la hausse des prix réels des logements a été de 90 p.c., voire plus en Espagne et en Irlande, mais aussi au Royaume-Uni, en Belgique et aux Pays-Bas , dans le nord de l’Europe (Finlande, Norvège) et dans le Pacifique (Australie, Nouvelle-Zélande). La hausse a eu un caractère nettement spéculatif puisque les acheteurs étaient quasiment certains de réaliser une plus-value à la revente, et les achats de logements finissaient par être déconnectés des besoins réels.
Selon le rapport les facteurs économiques habituellement pris en compte comme l’augmentation des revenus et le bas niveau des taux d’intérêt sont insuffisants à expliquer le phénomène.
Les conditions de financement des acquisitions, notamment la facilité d’accès au crédit, ont joué un rôle d’amplificateur, de même que les politiques structurelles menées sur le marché du logement. Des avancées significatives doivent avoir lieu dans ces différents domaines, car il est essentiel qu’à l’avenir les marchés immobiliers retrouvent un fonctionnement plus normal et que les problèmes qu’ils peuvent rencontrer ne déstabilisent pas l’économie dans son ensemble.
Concernant le financement, on a observé que les normes d’octroi des prêts immobiliers ont été assouplies sous l’effet de la déréglementation et de l’innovation « technique » sur les marchés hypothécaires, jointes à des mécanismes de contrôle inadaptés et dépassés. Les créances douteuses se sont multipliées, dont l’exemple extrême a été donné par les fameux subprimes.
Un premier axe de progrès consiste donc à améliorer la distribution et la gestion des crédits immobiliers, qui devront s’accompagner d’une supervision plus stricte et de réglementations prudentielles plus rigoureuses. On rappellera à ce sujet que c’est la titrisation massive des prêts immobiliers qui a provoqué l’effet de domino amplifiant la crise des subprimes. Un encadrement de cette pratique est une piste déjà explorée.
L’OCDE juge également que les politiques d’encouragement à l’accession à la propriété et certaines mesures d’aide au logement, non seulement ont contribué à la hausse des prix, mais ont eu des effet pervers.C’est pourquoi le rapport insiste sur la nécessité d’actions d’envergure en matière de fiscalité immobilière ainsi que de réformes profondes de l’urbanisme, des dispositions applicables au marché locatif et de l’offre de logement social. Ces mesures sont en effet susceptibles de favoriser aussi bien le secteur immobilier lui-même que ses retombées sur l’économie dans son ensemble.
Le rapport suggère en priorité d’« accroître l’élasticité de l’offre de logements neufs par rapport à la demande du marché », ce qui signifie plus clairement de rendre plus facile la construction de nouveaux logements. Dans la plupart des pays, elle reste insuffisante par rapport aux besoins démographiques et d’amélioration du parc existant. Dans quelques grands pays, comme l’Allemagne et le Japon, l’offre s’est rapidement adaptée à la demande, réduisant à moins de 20 p.c. l’augmentation des prix réels des logements entre 1980 et 2008. L’Irlande, l’Espagne et le Royaume-Uni, pays qui ont connu des bulles immobilières plus ou moins marquées, sont listés comme mauvais élèves. Les États-Unis sont rangés dans la tranche intermédiaire avec une hausse des prix comprise entre 20 et 90 p.c. tout comme la France, où les procédures d’octroi de permis de construire limitent les nouvelles mises en chantier et les règlements d’urbanisme entravent la viabilisation des terrains. Une des manières de rendre l’offre plus à même de répondre à la demande, et donc de limiter la hausse des prix, serait d’alléger ces formalités.
L’OCDE recommande également d’un ajustement des politiques fiscales, comme par exemple la révision de la base des impôts fonciers, qui devraient mieux correspondre aux valeurs du marché. Mais il importe surtout de mettre fin aux dispositions qui favorisent le logement par rapport aux autres investissements. Les allègements fiscaux, en abaissant les coûts d’emprunt, alimentent une demande excessive par rapport aux besoins réels et contribuent à la flambée des prix immobiliers. Ils encouragent aussi les vendeurs à augmenter artificiellement leurs tarifs. La France est spécialement visée par ces critiques : 60 p.c. des logements neufs vendus en 2010 l’ont été dans le cadre du dispositif Scellier, nom du député à l’origine d’une loi encourageant les achats dans un but de location, en contrepartie d’une fiscalité extrêmement favorable. Jusqu’à la fin 2010, il était en effet possible, pour un bien d’une valeur maximum de 300 000 euros, à condition de le louer pendant neuf ans, d’obtenir une réduction d’impôt de 25 p.c. du prix (avantage ramené à 15 p.c. à partir de 2011) soit jusqu’à 8 333 euros par an pendant neuf ans.
Évincés du marché par le niveau des prix, de plus en plus de ménages, surtout ceux à faibles revenus ne peuvent pas nécessairement se rabattre sur la location car, si l’on met à part le cas de la France, on constate qu’un peu partout les dispositifs mis en place ont cherché à favoriser l’accès à la propriété au détriment du marché locatif, avec comme conséquence un niveau des loyers, « souvent très éloigné des valeurs de marché ».
Les dispositifs de logement social ne se révèlent pas davantage satisfaisants (nombre d’habitations insuffisant, inadaptations aux besoins, concentration dans certaines zones avec risque de ghettoïsation, dégradation du parc) et doivent être remis à plat voire éventuellement abandonnés (au nom de la mixité sociale, des aides sous formes d’allocations seraient préférables aux quotas de logements sociaux qui existent en France par exemple).
Pour les auteurs du rapport, indépendamment de l’impact qu’elle peut avoir sur la conjoncture générale, la situation du marché de l’immobilier a une incidence négative sur la mobilité résidentielle et donc professionnelle. Ainsi, le fait de favoriser l’accès à la propriété du logement par rapport au recours au marché locatif a tendance à « fixer » les ménages. C’est en particulier le cas de ceux qui ont contracté des crédits, et dont la crise a fait baisser la valeur du patrimoine, de sorte que la vente du bien hypothéqué ne permettrait pas de rembourser le reliquat du crédit.
Pour l’OCDE, la diminution de la mobilité de la main d’œuvre « risque de compromettre la reprise des créations d’emplois » consécutive au retour de la croissance économique. La diminution des prix d’achat, mais aussi la réduction des frais (voir encadré) permettrait aux ménages de revendre plus facilement leur bien et de déménager. Le soutien à la location irait dans le même sens. Reste à savoir comment la favoriser : le rapport admet qu’ un contrôle strict des loyers n’est pas efficace, car « il s’accompagne de logements de moindre qualité et en moindre quantité ». Il suggère « à titre de compromis, (…) un système dans lequel les loyers pourraient varier pour les nouveaux contrats et les renouvellements de contrats, tandis que les augmentations de loyers seraient réglementées en fonction de l’évolution du marché locatif pendant la durée du bail, et s’accompagneraient d’une sécurité suffisante du mode d’occupation ». Or, ce dispositif a existé dans certains pays, comme en France avec la fameuse loi de 1948, et a donné des résultats calamiteux.