« Gutt ënnerwee mam Vëlo am Westen – Visit Guttland » promet le panneau d’affichage installé sur le parking de la mairie de Koerich, au pied du Gréiweschlass. La ruine remonte au XIIe siècle, l’architecte Tatjana Fabeck, dont le bureau jouxte le château, y a installé des structures modernes minimalistes en acier couleur taupe très à la mode : des rampes et escaliers, un centre touristique et une tente blanche qui permet d’accueillir les concerts et autres festivités organisées par les Käercher Schlassfrënn – en prochain un concert-conférence sur Chet Baker, avec le Pierre Kremer Quintet (le 5 septembre) et un autre, qui va déménager, avec The Disliked (le 12). Le Gréiweschlass est une des étapes de la Vallée des Sept Châteaux, à l’Ouest du pays, « le seul à entrée gratuite » souligne le site Eventsinluxembourg.lu. Les travaux ont duré plus de dix ans. Quelques groupes de touristes forcément masqués visitent le site ce dimanche de fin août. Il y a les Luxembourgeois d’un âge certain qui arrivent en voiture pour inspecter cette modernisation, et des touristes : de jeunes couples ou familles qui découvrent le site lors de leur randonnée, cartes en mains. Les ruines ont été laissées en l’état, les interventions architecturales sont minimalistes ; la végétation se niche dans les moindres recoins. En face, la terrasse d’un café typiquement luxembourgeois est pleine à craquer, deux restaurants asiatiques se font concurrence. Sur l’aire de jeux, de jeunes enfants enfourchent des animaux montés sur des ressorts. Le village est calme.
En cet été de pandémie et de restrictions de voyage, le ministre du Tourisme Lex Delles (DP) exhorte les Luxembourgeois à faire leur « Vakanz doheem » : à rester chez eux et (re)découvrir les richesses de leur propre terroir. Il ne s’agit pas seulement de se protéger d’une possible infection au Covid-19 dans une station balnéaire surpeuplée, mais aussi de soutenir le secteur touristique autochtone. C’est presque un devoir patriotique. L’excellente exposition Folklore, actuellement au Centre Pompidou Metz, rappelle à quel point les idéologies de terroir et de tradition sont des constructions politiques.
Trois millions d’euros sont versés dans un « Fonds tourisme », qui fait partie du plan Restart Tourism. « La campagne ‘Lëtzebuerg – Dat ass Vakanz !’ prévoit de présenter le Luxembourg, non pas comme une destination par défaut, mais bien comme une destination touristique de premier choix », promit le ministre débordant d’enthousiasme le 4 juin. À la suite de ce lancement, 730 000 bons d’une valeur de cinquante euros chacun ont été envoyés à tous les résidents de plus de seize ans et à tous les travailleurs frontaliers, à utiliser pour une nuitée au Luxembourg. Jusqu’au 31 août, seuls 34 000 bons avaient été utilisés, selon un communiqué officiel du Service information et presse du gouvernement. Même si beaucoup de Luxembourgeois visitent effectivement la Petite Suisse du Mullerthal et son instagrammable Schiessentümpel, font des randonnées à travers l’Œsling ou des baignades au Stauséi, ils ne dorment guère sur place. Ce lundi, le site Booking.com n’indique que l’Auberge de Jeunesse de Luxembourg-ville à moins de cinquante euros (27 euros le lit simple dans le dortoir pour hommes), autour des cinquante euros, on se retrouve vite au quartier chaud de la Gare centrale. Or, les autochtones ne sont pas les seuls à bouder les hôtels et campings locaux : la mise à l’index du Luxembourg par le Robert Koch-Institut allemand en pleine période touristique fut une catastrophe pour l’hôtellerie grand-ducale, car non seulement les touristes allemands annulaient alors leurs réservations, par crainte de devoir faire une quarantaine à leur retour, mais les Belges, les Néerlandais ou les Français n’osaient plus venir dans cette région classée rouge par les scientifiques. Le taux d’occupation chuta à trente pour cent, selon François Koepp, le secrétaire général de la fédération Horesca (Luxemburger Wort du 27 juillet).
Curieux de découvrir à quoi ressemble le tourisme au Luxembourg, le photographe Anthony Dehez a, la semaine dernière, traversé le pays d’Ouest en Est, à mi-hauteur. Ce qu’il a pu y observer furent des campings, cafés, restaurants ou autres infrastructures touristiques très propres mais un peu désuètes. « J’ai l’impression que l’on s’ennuie un peu », raconte-t-il. Des jeunes buvant des bières en prenant un bain de soleil sur la terrasse de leur pavillon, d’autres qui lisent devant leur « pods » à la mode glamping, des groupes en mode baignade plus selfie, des installations désertes, drapeaux luxembourgeois fièrement hissés – et soudain une piscine vert fluo ressemblant à un ovni… Comme la maison Futuro de l’architecte finlandais Matti Suuronen (1968). C’est alors qu’on retrouve la référence idéale pour décrire l’ambiance : on se croirait dans un film d’Aki Kaurismäki !