Sans en révéler les détails d’une intrigue par ailleurs plutôt mince, la dernière saison de House of Cards a remplacé les séances de jogging, de rameur et de Call of Duty du couple Underwood par des séquences où des moines tibétains passent de longues heures, dans un couloir de la Maison Blanche, au milieu de l’agitation et des manœuvres politiciennes, à réaliser patiemment un immense mandala avec du sable coloré.
Depuis quelques années, on a pu voir apparaître des cahiers de coloriage pour adultes au rayon « bien-être et développement personnel » des librairies. L’expression « pour adultes » ne signifie pas que les thèmes seraient susceptibles de choquer la morale, mais que les dessins seront plus compliqués que Hello Kitty cueillant des fleurs. Vous pouvez ainsi, pour quelques euros, acheter des pages couvertes de motifs en noir et blanc plus ou moins géométriques, floraux, asiatiques ou les trois à la fois. L’activité est censée, en principe, procurer les mêmes effets que la musique New Age, à savoir relaxation, détente et apaisement, avec un résultat qui, en pratique, oscille entre scepticisme, sentiment de ridicule et énervement. Il existe aussi des versions points à relier ou cases à colorier, le défi consistant, en général, à faire ressortir une reproduction de la chapelle Sixtine au bout de plusieurs heures d’effort. L’avantage supplémentaire, pour le libraire luxembourgeois, c’est qu’il n’y a pas besoin d’avoir un stock en allemand et un stock en français.
La première réaction d’étonnement passée, il apparaît finalement que consacrer son temps libre à ce genre d’activité n’est pas si différent que de passer des heures à faire des puzzles ou du tricot, ou à jouer au sudoku ou à Candy Crush. Qui sait, la prochaine mode sera peut-être de construire sa voiture avec des briques Lego ou de sculpter une reproduction de la Vénus de Milo avec de la pâte à modeler. Sachant que tout le monde semble avoir déjà consenti à donner au moins trente minutes de chacune de ses journées à Facebook, Whatsapp et Twitter, sans parler des soirées entières perdues devant Game of Thrones, on se dit que le temps de chacun est bien extensible et qu’il serait bien bête de ne pas le remplir avec d’autres choses aussi inutiles.
Puis, après réflexion, vient la honte de ne pas mieux occuper nos 24 heures quotidiennes. Cela semble être justement le message du type roux avec une casquette, qui vous signale à longueur de pages web combien il est facile d’apprendre une quinzaine de langues, si justement vous faisiez autre chose que de lire des articles sur Internet. Pétri de culpabilité, ne vous sentant pas encore tout à fait prêt à consacrer vos prochaines soirées à apprendre la grammaire polonaise, si vous n’avez pas votre album de coloriage sous la main pour combattre la bouffée de stress qui vient de s’emparer de vous, vous risquez de commettre l’irréparable : vous décider à faire du sport.
C’est visiblement le sort qui attend les trentenaires rétifs aux crayons de couleur : la course à pied. De préférence plusieurs fois par semaine. Entre le Postlaf, le DKV Urban Trail, le Relais pour la vie, le Vollekslaf de Walferdange, l’Escher Kulturlaf et, bien entendu, l’ING Night Marathon de la fin du mois, les courses se succèdent, comme autant de signaux à votre subconscient sédentaire. À la limite, on aurait pu ajouter la Duck Race du week-end dernier, mais l’effort sportif des participants y semble notablement plus réduit (on notera que cet état de fait est assez bien reflété par la liste des prix, qui fait la part belle aux voitures, repas au restaurant et caisses de vin plutôt qu’aux abonnements à la Coque ou aux équipements sportifs).
Évidemment, sur le principe, on ne peut que se réjouir de voir un pays entier se mettre à transpirer, prendre soin de son corps et ne pas limiter le concept de « courses » au shopping du samedi dans la Grand-rue. Tous ces gens en short cycliste qui sillonnent les allées du parc municipal ou les rues de différents quartiers, en écoutant leur playlist spéciale jogging, ça donnerait presque envie de s’acheter une paire de baskets. Pas besoin d’équipement coûteux, de matériel en fibre de carbone ou de leçons à 35 euros la séance. Une paire de chaussures, un T-shirt et c’est parti (tous les Luxembourgeois n’ont pas les moyens de se mettre au sport en s’offrant une écurie de Formule 1).
Pourtant, courir, est-ce bien raisonnable ? Si l’homme était naturellement fait pour le sport, est-ce que ça lui ferait aussi mal ? Non, tout compte fait, il y a encore une autre activité qui est certainement plus utile pour combattre le stress et faire le plein d’énergie. Une activité dans laquelle l’homme ne peut se donner qu’à cent pour cent. Une activité dans laquelle votre performance pourra également être mesurée par la montre connectée chargée de mesurer le moindre de vos mouvements : une bonne nuit de sommeil !