Un robe à la fois élégante et sophistiquée, drapée d’une seule pièce à même la silhouette de la femme, avec de la dentelle de laine ou bien de la mousseline de soie : voici à quoi ressemble la tenue parfaite dans l’esprit du créateur Ezri Kahn.
Ce grand gaillard de 46 ans aux airs de bucheron sexy des temps modernes s’est installé à Luxembourg il y a maintenant un an, après un parcours prestigieux et éclectique dont il parle avec émotion, le sourire aux lèvres. Tout jeune, il rêve d’être danseur professionnel et s’occupe déjà des costumes de la compagnie qu’il a intégrée. « Mais mon père voulait clairement que je fasse des études », il décide donc d’allier sa créativité à un cursus de choix et entre à l’école Francisco Ferrer de Bruxelles après en avoir réussi haut la main le concours d’entrée, à sa grande surprise… Puis il intègre un des panthéons de la mode européenne qu’est l’Académie d’Anvers, celle-ci ayant donné naissance à des références internationale de créativité telles que Dries Van Noten, Ann Demeulemeester ou encore l’excentrique Walter Van Beirendonck.
Dans les années qui suivent, il touche à tout un peu partout : après un poste de premier assistant chez Azzedine Alaia, il ouvre sa boutique de sur-mesure en Belgique, retourne vers la danse, s’intéresse à l’architecture d’intérieur puis pose ses valises à Zurich, où il habille mondaines et femmes de pouvoir, travaillant chaque pièce directement sur le corps de chacune. Ezri créé d’ailleurs encore aujourd’hui des capsules exclusives pour ces élégantes helvètes qui refusent de le céder complètement au Grand-Duché…
En ce qui concerne sa patte identitaire, le créateur belgo-israëlien se passionne pour la technicité du stylisme, aime travailler sur le moins de pièces et de coutures possibles pour sa rapprocher toujours plus de la silhouette même de sa cliente. Cette silhouette, il désire plus que tout la mettre en avant et la sublimer grâce à la tenue qu’il a créée, sans jamais faire passer l’habit avant la personne : « le mouvement est plus important que le volume ». Une humilité qui se retrouve non seulement dans le comportement général d’Ezri Kahn, mais également dans les matériaux qu’il affectionne : pure soie, mélange laine et lin… Le luxe dans la simplicité et la qualité. Anecdote intéressante : il doit souvent se fournir au Royaume-Uni, pays où les tailleurs sont encore légion et donc le seul du coin à fournir encore des métrages courts, dans un environnement où les processus industriels tendent à favoriser le gigantisme. Quant à l’inspiration qu’il puise chez ses confrères, il admire le glamour de Dior avec Raf Simons et l’intelligence incroyable d’Alber Elbaz chez Lanvin…
À Luxembourg, il ressent l’envie de mettre en avant l’aspect artisanal et ad hoc de ses créations. Il ne travaille d’ailleurs que sur rendez-vous, dans une charmante villa à Hesperange. On imagine souvent les artistes dans des lofts industriels du centre ville, le styliste a préféré la quiétude et la confidentialité de la campagne toute proche. Il travaille également avec beaucoup d’artisans spécialisés, notamment pour les peausseries. De même que si la cliente ne peut s’accorder le temps de poser pour sa future petite robe noire, son prochain tailleur ou pour la robe qui envoûtera ses proches lors d’un mariage cet été, Ezri Kahn fait fabriquer un mannequin aux mesures exactes de madame ! Un travail minutieux, attentif et dont le résultat est forcément unique et rare.
Une démarche qui doit encore faire ses preuves ici. En effet, la femme luxembourgeoise semble privilégier les sessions de shopping intense en boutiques et n’a pas encore appris à apprivoiser la mode autrement, en prenant le temps de participer à la création d’une pièce exceptionnelle, faite pour elle et sur elle. Ainsi, Ezri Kahn a envie d’inviter les Luxembourgeoises « à oser affirmer leur individualité et à sortir des sentiers battus par l’industrie ». Car effectivement, on peut se poser la question : est-il judicieux de dépenser autant pour se ressembler autant ?
Ce rêveur affirmé souhaite enfin stimuler les interactions entre les différents créateurs locaux, notamment lors de la table-ronde organisée avec la ministre Maggy Nagel cette semaine, mais également les possibilités de coopération transfrontalière avec la Région Wallonne par exemple. Et si, pour l’instant, la mode luxembourgeoise n’est pas vraiment prophète en son pays, pourquoi ne pas croire en une prestigieuse académie de mode grand-ducale dans quelques années… Les talents et la relève semblent quoi qu’il en soit présents et prêts pour le défi !