Qualité des constructions, qualité de vie

Brassage et microcosmes

d'Lëtzebuerger Land vom 25.09.2002

Depuis les déclarations du Premier ministre Jean-Claude Juncker et les mesures prises pour relancer l'offre de terrains sur le marché, toute l'attention se porte sur les prix. Ces fameuses mesures, vont-elles enfin contribuer à augmenter les terrains disponibles et donc à faire baisser les montants nécessaires pour acquérir son lopin de terre et y construire sa maison de rêve ?
Et si cette évolution des prix était en réalité une aubaine pour le petit Grand-Duché ? Loin d'être une simple provocation visant à faire tressaillir les Biergerinitiative fir bezuelbare Wunnraum et autres, la question mérite d'être posée. Certains acteurs de la construction et de l'urbanisme soutiennent la thèse que sans ce garde-fou des prix, le territoire du Luxembourg serait dans un piteux état.
La preuve en est la tristesse de nombreux lotissements et cités qui ont poussé au bord des villes et des villages, des cités dortoirs où la vie n'est cadencée que par une marée de voitures matin et soir. Et les maisons sont construites en conséquence. La Direction de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (Datur) du ministère de l'Intérieur donne l'exemple du garage individuel d'une surface de vingt à quarante mètres carrés en moyenne, alors qu'une chambre d'enfants ne prend environ qu'une douzaine de mètres carrés.
Cet exemple illustre bien les priorités fermement ancrées, découlant de la nécessité fondamentale de mobilité. Car la vie se déroule bien loin des maisons et maisonnettes censées être construites pour combler un rêve et un besoin de se sentir à l'aise dans sa tanière. Il faut prendre la voiture pour se rendre au travail (pour rembourser ses prêts), pour faire ses courses, pour rejoindre l'école, ses amis, ses loisirs.
La conséquence positive des prix élevés des terrains à bâtir est la préservation de réserves foncières - nous nous garderons bien de nous étaler ici sur certaines monstruosités architecturales jalonnant nos agglomérations. Toutefois, cet aspect n'est positif qu'à condition d'un changement radical dans la planification urbaine.
Actuellement, les nouveaux logements construits se limitent à deux niveaux : soit des maisons isolées, soit des appartements, « types qui se situent aux extrémités d'un éventail complet qui pourrait viser tous les groupes de la population et toutes les générations, » précise le ministre de l'Intérieur, Michel Wolter, dans ses réponses écrites - faute de temps - aux questions que nous lui avons posées. « Les types intermédiaires ne forment qu'une faible part du marché immobilier. Il s'agit de maisons en rangée de différentes tailles et appartements plus grands (du type duplex avec jardin privatif par exemple), destinés à des familles. Les projets soumis à la commission d'aménagement contiennent principalement des maisons isolées et des appartements. Le marché ne vise ainsi que certains groupes de la population. »
Le ministre est en outre conscient du fait qu'il faut redresser certaines erreurs commises après la Deuxième Guerre mondiale, lorsque le développement urbain a généré des quartiers monofonctionnels, qualifiés de « lotissements défectueux » par certains urbanistes : ils sont sous-équipés en commerces de quartier et en équipements publics. « Au lieu de créer des quartiers qui sont le reflet de notre société en ce qui concerne la mixité spatiale, la coexistence des générations et qui ont une structure socio-économique stable, la séparation spatiale des fonctions et des types d'habitat a été favorisée, » poursuit le ministre.
La Semaine du Logement, qui sera lancée le 2 octobre prochain au hall Victor Hugo au Limpertsberg, servira à lancer et approfondir l'idée d'un autre urbanisme en tenant compte du contexte dans lequel se trouve un logement. Comment générer non seulement la qualité des constructions, mais surtout la qualité de vie des habitants en intégrant tous les acteurs dans l'élaboration de projets ? Un défi d'autant plus difficile à relever que les intérêts des promoteurs, architectes, clients, responsables communaux et ministères sont souvent contradictoires. Surtout que le contexte actuel de pénurie de logements ne permet pas toujours au client d'imposer ses besoins et ses vues sur la qualité un projet - les maisons et appartements se vendent comme des petits pains, même s'ils sont de piètre qualité, c'est à prendre ou à laisser.
L'offre ne correspond pas aux besoins, il faut de nouveaux modèles de quartiers avec un vaste choix de différents types d'habitations pour garantir la mixité tant socio-économique que générationnelle. Pour Michel Wolter, tous les concernés ont une part de responsabilité : « Le promoteur doit mettre sur le marché des types de logements qui ne correspondent pas à l'image que la majorité des acquéreurs potentiels ont de leur 'maison de rêve'. Il doit démontrer qu'un habitat plus dense offre un ensemble d'avantages et de qualités. À l'urbaniste incombe une tâche beaucoup plus complexe que d'organiser une rue et de prévoir des parcelles avec des maisons implantées au milieu de celles-ci. (...) Les facteurs importants sont d'une part la qualité du domaine public et d'autre part une organisation des logements et leur implantation sur la parcelle de manière à garantir un voisinage sans conflits. Les responsables politiques des communes sont souvent forcés de mener un dialogue avec une partie des voisins des futurs projets qui estiment que l'harmonie d'un quartier n'est assurée que par le biais de la reproduction à l'identique du cadre de vie qu'ils ont choisi pour eux-mêmes. L'acquéreur potentiel doit confronter l'image qu'il se fait de sa maison de rêve aux qualités offertes par un projet qui propose l'alternative abordable financièrement. »
Le ministre se montre optimiste. Pour lui, ce n'est pas d'une mission impossible : « Il s'agit de sensibiliser tous les concernés qui ne se rendent pas compte que les idées directrices préconisées par le programme directeur de l'aménagement du territoire (élaboré sous le précédent gouvernement ndlr.) peuvent être réalisés par des projets contemporains qui sont compatibles avec la structure urbaine et sociale de pratiquement toutes les villes et localités du pays. »
Un exemple concret : la Cité « Am Wénkel » à Bertrange. Bien que l'ensemble du projet ne soit pas encore achevé, l'idée de base est bien celle exprimée par le ministre de l'Intérieur : vie de quartier et mixité, compacité, proximité des commerces et des services, de l'école, réduction de la circulation à un minimum. Le mélange de différents types de maisons a entraîné un mélange social de la population - même si l'on ne risque guère de rencontrer des miséreux dans ce quartier, la maison de base coûtant plus de 400 000 euros. Le couple retraité aisé peut ainsi s'offrir un penthouse dans une résidence, la jeune famille une maison en bande, un peu plus loin, le jeune couple trouvera refuge dans un appartement. Reste la grande maison pour les plus fortunés.
Les architectes du bureau Dewey et Muller sont partis d'une approche globale en créant un système similaire à celui des poupées russes : les principes régissant l'espace public sont les mêmes que ceux organisant la vie intérieure d'une habitation. Il y a des lieux communs où chacun peut se retrouver, tout comme il y en a qui permettent l'intimité.
Partant du fait qu'il fallait garantir d'abord un bien-être et une sécurité aux enfants, ils ont conçu un modèle leur permettant de rejoindre l'aire de jeu ou d'autres rues du quartier en passant par leurs jardins et en empruntant des chemins avec peu de trafic. Les garages et parkings ont été limités à un minimum et conçus de manière à ce qu'il soit pratiquement impossible de rouler vite ou d'encombrer le quartier, ce qui a permis de faire économie des trottoirs.
Les maisons ont été orientées vers le sud et comme le lotissement donne sur les rails des chemins de fer, une première rangée de garages fait fonction de barrage au bruit des trains.
« Chacun a envie d'avoir sa maison individualisée pour se sentir à l'aise, explique l'architecte Christine Muller1, le promoteur a donc proposé des types d'habitations, des carcasses que nous avons essayé de réaliser à fur et à mesure selon les désirs et les besoins de chaque individu. Il faut surtout éviter de vouloir imposer une chose aux gens pour qu'ils puissent avoir le sentiment d'avoir leur propre coin à eux. »
Très important dans la conception du quartier : les vues et les repères visuels. « Les bâtiments sont placés de manière à ce que chacun puisse voir d'un côté l'église, de l'autre le gratte-ciel du Kirchberg. La possibilité de s'orienter, de savoir où il se trouve, est un aspect important pour l'homme. C'est pourquoi nous avons réalisé des terrasses hautes perchées pour permettre aux gens d'avoir une vue sur la nature, précise Christine Muller. À l'intérieur de la cité, des espaces verts ont été conçus où sont plantés des arbres, chaque maison est délimitée par des haies. Au fil des années, la verdure et les plantes grimpantes auront dissimulé le béton, ils auront cassé les lignes strictes et dominantes de l'architecture actuelle. Ce sera une cité-jardin en quelque sorte. »
La commune de Bertrange peut donc être citée à titre d'exemple pour le projet « am Wénkel ». Le ministère de l'Intérieur souhaite encourager de telles initiatives. Selon Michel Wolter, son équipe mène actuellement « une action conjointe avec treize communes qui a pour objectif l'analyse de leurs plans d'aménagement généraux en vue d'une optimisation de ces instruments. À moyen terme, une harmonisation des légendes et parties écrites est prévue. Le résultat de cette démarche sera un 'guide pratique' qui permettra aux communes de réviser leurs plans en vue d'y intégrer les critères concernant un développement durable. » Une tâche difficile parce qu'il faut réunir tous les acteurs pour tenir compte des multiples facettes régissant ou ayant une influence sur la vie quotidienne : la sociologie, l'économie, la composition urbaine, l'écologie, l'architecture, la technique, la climatologie, la topographie etc.
Mais le ministre est aussi conscient du fait que « les instruments de planification urbaine et les pratiques actuelles ont une inertie qui ne permet pas de réagir de manière appropriée. Il est prévu de mettre à disposition des acteurs de l'aménagement un éventail d'instruments performants et contemporains par le biais de la révision de la loi concernant l'aménagement communal. » Le but est d'inciter les communes d'agir par leur propre initiative pour lancer des projets mixtes et de qualité. Car jusqu'à présent, celles-ci ne se contentent souvent que de réagir, de trotter derrière une évolution inévitable.
Initialement, le plan d'aménagement de la cité « am Wénkel » prévoyait des maisons encore plus réduites. Mais la commune préférait des habitations plus grandes, voulant éviter des dimensions disproportionnées entre les différents éléments du quartier.
En revanche, les concepteurs du projet sont persuadés que des maisonnettes auraient tout aussi bien pu être construites, qu'il y existe un intérêt pour des logements réduits. « Il y a une demande réelle, une évolution des mentalités des gens. Ils se rendent compte qu'ils n'ont pas besoin de quatre ou cinq chambres à coucher pour un ménage à trois, explique Christine Muller. Cette tendance à se contenter de peu d'espace est aussi à encourager de la part des autorités. »
Dans un prochain temps, le quartier sera pourvu d'espaces dans lesquels pourront s'installer des services, des cabinets médicaux et des petits commerces. Une initiative courageuse, peu développée à plus grande échelle, car cet aspect reste problématique, comme le précise le ministre de l'Intérieur : « Générer une mixité fonctionnelle peut s'avérer difficile, un nouveau quartier n'a pas immédiatement la densité requise pour garantir la rentabilité des commerces de proximité. »
Un défi qui pourrait dès lors être relevé par la main publique en accordant son soutien financier surtout pendant les premières années de démarrage difficile de l'épicerie ou du bar tabac par exemple. Car un promoteur privé n'a guère intérêt à construire des locaux réservés au petit commerce, s'ils risquent de ne pas les vendre. Mais les gens se rendront bien compte un jour ou l'autre que le vrai luxe, c'est de pouvoir acheter son croissant-beurre et son journal à pied le matin.
1Christine Muller tiendra une conférence intitulée  sur le terrain, le 17 octobre à 19:30 heures à la Banque de Luxembourg
matin. 

anne heniqui
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