« Ich war 48 Mal in New York »

d'Lëtzebuerger Land du 19.09.2025

Au Luxembourg, les portraits de Jean Asselborn (LSAP) sont quasiment devenus un sous-genre journalistique. Tout ou presque semble avoir été dit et écrit à propos de « Jang » : L’éternel sous-estimé qui a réussi son ascension à la sueur de son front, ce récit est entré dans le folklore politique luxembourgeois. Sa bonhomie affichée et son authenticité étudiée ont fait de lui un « bon client » des matinales et talk-shows allemands, où le ministre du Grand-Duché disait souvent tout haut ce que son ami et homologue Frank-Walter Steinmeier (SPD) pensait tout bas.

Et pourtant, le nouveau livre de Michael Merten Jean Asselborn – Die Tour seines Lebens (319 pages, 25 euros) réussit à donner quelques nouveaux aperçus sur une personne dont on pensait tout savoir. Journaliste au Wort depuis 2019, l’auteur avoue d’entrée sa proximité avec son sujet : « Ich bezeichne ihn inzwischen als guten Freund ». En 2024, Merten a décidé d’accompagner à vélo l’ex-ministre vers le Midi français. Ces 975,5 kilomètres (avec leur lot de pannes, d’intempéries et de canicules) forment l’ossature du livre, à mi-chemin entre biographie et récit de voyage. D’un point de vue narratif, c’est élégamment construit. Il s’agit d’un voyage dans l’espace et dans le temps : En avançant vers le Mont Ventoux (dont la montée fournit le climax du livre), les deux cyclistes remontent dans le temps. Un montage par flash-backs, qui s’avère efficace.

Le principal reproche qu’on peut faire au livre, c’est qu’il fournit très peu d’éléments nouveaux sur l’histoire politique récente, que ce soit sur le LSAP ou les quatre derniers gouvernements. Quant aux vingt ans qu’Asselborn a passés au Parlement (1982-2004), ils ne sont pas du tout traités. Merten s’est peut-être laissé impressionner par le statut quasi-extraterritorial qu’Asselborn revendiquait dans ses deux dernières mandatures. Quant à sa montée politique, c’est au détour d’une phrase qu’on apprend que l’oncle maternel de Jean Asselborn avait été député-maire de Steinfort. Plus loin, on lit que son père siégeait au conseil de la même commune, renonçant en 1981 à poser sa candidature pour faire place au fils. Pour les passages sur la l’histoire politique récente, Merten se base quasi-exclusivement sur des interviews avec des collègues journalistes. (L’auteur en a interrogé une bonne douzaine.) C’est à eux qu’il laisse le soin d’exprimer les critiques.

Dans le livre, la politique étrangère apparaît comme un vaste réseau d’amitiés (principalement entre hommes), de Joschka Fischer à John Kerry. La proximité personnelle avec son homologue russe Sergueï Lavrov, qu’Asselborn avait invité à Steinfort pour son 60e anniversaire, témoigne de cette vue quelque peu naïve. Encore aujourd’hui, Asselborn évoque l’invasion de l’Ukraine sur le ton de la déception personnelle (« wie kann man so hinterhältig sein », se demande-t-il à propos de Lavrov). Le ministre avait-il « surcompensé » en mars 2022, lorsqu’il souhaitait, en live sur Radio 100,7, que Poutine soit « physiquement éliminé » ? Asselborn ne veut plus parler de ce qui restera comme sa plus grande bourde diplomatique.

Michael Merten passe très rapidement sur le positionnement pro-palestinien de Jean Asselborn. À la fin de son mandat, celui-ci n’avait pourtant pas caché sa frustration. Les pays européens « didn’t give a fuck » à propos de la solution des deux États, confiait-il à des journalistes réunis à Bruxelles. Et d’ajouter : « There were two countries that tried to put it on the agenda, me and the Irish ».

Une large partie du livre est consacrée à la famille du politicien. Le lecteur entre dans la vie privée des Asselborn, une ouverture très inhabituelle au Luxembourg. Son épouse et ses deux filles parlent ainsi avec beaucoup de franchise de l’absence du mari et du père. « Es hat uns nichts gefehlt, aber er war wirklich nicht präsent », dit sa fille cadette. Sa femme déclare: « Ich habe immer scherzhalber gesagt : Ich bin eine Witwe, deren Mann noch lebt. »

Le livre s’adresse autant à un public allemand que luxembourgeois. Il est édité par un éditeur berlinois en collaboration avec les librairies Ernster. (Fernand et Annick Ernster – des amis d’Asselborn – ainsi que leur fils Paul font une apparition dans le chapitre dédié à la montée du Ventoux.) C’est sans doute ce qui explique que les politiciens et journalistes allemands défilent tout au long des pages. Merten cite en long et en large leurs hommages, très appuyés et finalement assez convenus.

Ce sont les passages du récit de voyage qui sont les plus réussis. Certaines observations de Merten sont très fines. Par moments, il arrive à cerner son protagoniste, en le décrivant dans des situations très concrètes et presque anodines. Show, don’t tell. Comme dans cet extrait : « Während des gesamten Tages hält Asselborn nach guten Hintergründen für Fotos Ausschau. Gelegentlich spricht er Passanten an und bittet sie, uns abzulichten. Wenn ihm die Fotos nicht gefallen, hakt er nach und die Leute müssen das Prozedere wiederholen. »

Bernard Thomas
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