L’enquête du procureur islandais Olafur Hauksson sur les fraudes présumées des anciens dirigeants de la banque Kaupthing, déclarée en cessation de paiement en octobre 2008, va prendre un tour nouveau avec l’expédition à Reykjavik par la justice luxembourgeoise des documents saisis au grand-duché lors de perquisitions en octobre 2009 et en janvier 2010.
Ces documents ont été récupérés dans le cadre d’une commission rogatoire internationale (CRI) venue d’Islande auprès de la Banque Havilland et auprès de Pillar Securitisation. C‘est dans cette dernière que les actifs pourris de l’ex-banque Kaupthing Luxembourg ont été cantonnés, les bons clients ayant été repris dans la structure mise en place par la famille britannique Rowland. Kaupthing Luxembourg fut alors rebaptisé Banque Havilland. Des perquisitions sont également intervenues au domicile luxembourgeois et dans la voiture de Magnus Gudmundsson, ex-administrateur-délégué de Havilland. Il a débarqué de la banque peu après son arrestation en Islande en mai 2010. Gudmundsson avait été le dernier dirigeant de Kaupthing Luxembourg. Il avait survécu à la déconfiture de l’automne 2008.
Personne ne pourra faire le procès au Luxembourg d’avoir anéanti une enquête judiciaire en raison de ses réticences à communiquer des pièces utiles à la manifestation de la vérité ou à faire le tri sélectif de la documentation saisie avant de la transmettre à l‘étranger. Dans l’affaire Kaupthing, tout ce qui a été saisi au Luxembourg est parti dans le bureau du procureur Hauksson. Même les originaux de titres au porteur. Le zèle des Luxembourgeois a-t-il un lien avec la présence, comme consultante du procureur islandais, de l’ancienne magistrate franco-norvégienne Eva Joly, qui n’a jamais hésité à torpiller les défaillances de « l’appareil » luxembourgeois dans l’entraide judiciaire internationale ?
Des anciens clients de Kaupthing, qui auraient bénéficié des largesses de la banque, Havilland et la « bad bank » Pillar Securitisation ont en tout cas activé au Luxembourg tous les ressorts possibles pour faire échouer la transmission des résultats de la CRI à Reykjavik. Le 25 janvier dernier, la Chambre du Conseil de la Cour d’appel a rendu coup sur coup deux arrêts (aux dispositions similaires) déclarant définitivement irrecevables les recours et demandes en nullité des perquisitions et saisies et conforme aux Accords de Schengen la commission rogatoire internationale du procureur islandais. Les magistrats n’ont rien trouvé à redire non plus à la présence d’enquêteurs de Reykjavik dans les locaux de Havilland pour épauler leurs confrères luxembourgeois peu familiers avec la langue islandaise, ce qui est exceptionnel dans la procédure, mais n‘est pas défendu. Les policiers islandais avaient d’ailleurs été parqués dans une salle de conférence de la banque, loin des lieux où se faisait la perquisition. Il n’y a pas eu non plus de la part des Islandais de fishing expeditions, ces demandes de perquisition envoyées tous azimuts par des juges étrangers pour dévérouiller le secret bancaire dans l’espoir de fabriquer des preuves dans leurs dossiers plutôt que les étayer.
On retiendra des arrêts de la Chambre du conseil de la Cour d’appel, qui n’ont rien du caractère révolutionnaire que leur a prêté cette semaine le quotidien britannique The Guardian et qui tombaient encore sous l’empire de l’ancienne loi du 8 août 2000 sur l’entraide, le régime ayant été modifié par la législation du 27 octobre 2010, la réaffirmation selon laquelle le procureur général d’État peut « autoriser l’exécution d’une commission rogatoire internationale même au cas où celle-ci se heurterait à l’ordre public ou à d’autres intérêts essentiels du grand-duché ».
L’identité de certaines parties à l’origine des recours, outre Havilland et Pillar, met en scène des gens très riches qui pour la plupart résident au grand-duché et dont les noms ont déjà été cités dans l’enquête en Islande. Le nom de Skuli Thorvaldsson, résident luxem-bourgeois, est ainsi apparu dans un rapport confidentiel datant de septembre 2008, avant donc la faillite du système bancaire islandais, qui fut révélé au public par le site Wikileaks. Le rapport de 210 pages détaillait comment l’argent des petits épargnants européens aurait alimenté un groupe limité d’emprunteurs. Thorvaldsson y avait été présenté comme l’un des principaux emprunteurs de Kaupthing. L’homme en a probablement aussi été la victime. La suite de l’en-quête le déterminera. Autre nom : Olafur Olafsson, résident en Suisse, et un des grands actionnaires de Kaupthing. Il avait placé toutes ses économies chez Kaupthing Luxembourg mais fit trans-férer son argent peu avant la déconfiture d’octobre 2008. Deux des anciens dirigeants de Kaupthing en Islande, Hreidar Sigurdsson et Sigurdur Einarsson, ont demandé la nullité des perquisitions au grand-duché. La liste des requérants se poursuit avec entre autres Egill Augustsson, cité dans le rapport d’enquête parlementaire islandais comme ayant lui aussi bénéficié de prêts de Kaupthing.