L’industrie des télécommunications et les fournisseurs d’accès à Internet vont-ils parvenir à mutualiser les services de différents prestataires de mobilité autour de portails uniques ?

Mobilité connectée

d'Lëtzebuerger Land du 08.03.2013

Un lundi de février, Monsieur Landert, un homme d’affaires luxembourgeois, doit honorer plusieurs rendez-vous professionnels à Paris, le premier à 11 heures dans le quartier de la Défense, à l’ouest de la ville. Il partira avec le vol Luxair/Air France qui décolle de Luxembourg à 7.55 heures. Son smartphone lui a automatiquement réservé un taxi à Roissy, ce moyen de transport étant jugé le plus adapté pour se rendre à la Défense en fonction de l’heure d’arrivée et du trafic prévu. La neige tombée dans la nuit du dimanche au lundi provoque d’importants retards au Findel. Connectée avec l’aéroport, l’application dédiée a transformé le billet d’avion en un billet de première classe dans le TGV Luxembourg-Paris de 8.11 heures, que le contrôleur de la SNCF validera électroniquement. Pour être sûr d’être à la Défense à 11 heures, le logiciel a calculé qu’il valait mieux prendre le métro puis le RER et le smartphone a édité un ticket virtuel grâce auquel, par simple contact, l’homme d’affaires franchit les portillons d’accès au réseau souterrain.

En début d’après-midi, après avoir analysé les conditions de circulation entre la Défense et les quartiers où Monsieur Landert doit se rendre ensuite, le logiciel, qui a intégré les lieux et heures des rendez-vous successifs, lui a réservé une Autolib, une voiture électrique en location sur le modèle des Velib, dont une station se trouve à proximité de l’immeuble où se tient la première réunion. En même temps, il lui indique où il devra laisser la voiture pour prendre le métro le plus direct jusqu’à la gare de l’Est et attraper le dernier TGV, à 19.40 heures. Le ticket de métro et le billet de train sont édités électroniquement, de même qu’un taxi est réservé à l’arrivée à la gare de Luxembourg (il sera prévenu automatiquement en cas de retard du train). Monsieur Landert a pu concentrer sa journée sur son travail et utiliser au mieux son temps sans se préoccuper des questions liées aux différents moyens de transport utilisés (même le taxi est payé par simple contact). Le lendemain matin il trouve sur son ordinateur un bordereau de tous les frais du déplacement à Paris et il n’a plus qu’à envoyer par mail à son employeur pour remboursement.

Cet exemple préfigure ce qui pourrait exister dans un futur très proche, selon une étude publiée fin février par le cabinet de conseil allemand Roland Berger, intitulée Connected Mobility 2025. Elle montre que des économies substantielles pourraient être faites si les systèmes de transport étaient mieux organisés et mieux gérés, en particulier s’ils étaient interconnectés en temps réel, permettant ainsi aux voyageurs d’optimiser leurs déplacements. Le gain potentiel serait considérable, sachant que le coût annuel pour la collectivité de la congestion du trafic dans les trente plus grandes agglomérations du monde s’élève à 266 milliards de dollars.

Même pour les trajets quotidiens et de courte durée, un grand nombre de personnes empruntent plusieurs moyens de transport successifs, surtout dans les grandes villes. A fortiori lorsqu’il s’agit de déplacements moins courants et plus longs, où les combinaisons sont plus nombreuses car des trajets alternatifs sont possibles. Revenons sur l’exemple précédent : un Luxembourgeois se rendant à Paris a le choix entre l’avion et le train. Selon son lieu de résidence, les moyens de transport ne seront pas forcément les mêmes pour se rendre à Findel ou à la gare. Mais c’est surtout à Paris que les choses vont se compliquer, car il n’est pas équivalent d’arriver gare de l’Est ou à l’aéroport de Roissy. En fonction de la destination, les combinaisons taxi-métro-bus-tram-RER sont radicalement différentes, sans parler de la possibilité de louer des vélos ou des voitures électriques.

À l’heure actuelle, les différents systèmes de transport sont « fermés » : ils ont leur vie propre, ce qui se traduit notamment par l’obligation d’avoir un billet spécifique pour chacun d’eux, ou d’acquitter le prix d’une prestation (taxi, location de vélos..) à chaque occasion. Cela ne facilite pas la tâche des voyageurs : tout le monde connaît les files d’attente aux guichets automatiques du métro dans les gares ou les aéroports parisiens. Pour ne rien arranger, à Paris des entités différentes gèrent le trafic. Si le métro, les lignes de bus et le tramway sont chapeautés par un même organisme, la RATP, trois des cinq lignes de RER sont intégralement gérées par la SNCF, et les deux autres sont co-gérées avec la RATP.

Quant à la tarification, elle est d’une grande complexité. Contrairement à une idée reçue, le ticket de métro parisien ne permet de circuler que dans le métro (y compris jusqu’en banlieue) mais selon le site de la RATP « les correspondances métro / bus et métro / tramway sont interdites ». Un trajet impliquant l’utilisation successive du bus et du métro nécessite donc deux tickets. Quant au RER, ses incursions en dehors de Paris intra-muros font l’objet d’un tarif spécial. Si les utilisateurs réguliers disposent d’abonnements permettant de gommer cette complexité, les voyageurs occasionnels y restent confrontés.

Par ailleurs, ces systèmes ne sont pas reliés entre eux en temps réel, interdisant aux voyageurs de mettre en œuvre des scénarios alternatifs en cas de problème. Exemple : les différents opérateurs informent déjà très convenablement leurs clients, et de façon variée (affichage, messages vocaux, sms..) des retards ou perturbations sur les lignes. Mais sans proposer d’autres solutions qu’un re-routage sur leur propre réseau. Ainsi, une personne devant se rendre du centre de Paris à l’aéroport de Roissy par le RER, et confrontée à une panne ou à un accident, ne saura pas quoi faire pour ne pas rater son avion.

Lorsqu’on évoque le déploiement de la « smart mobility », on constate que plusieurs conditions préalables existent déjà, la première étant l’usage des smartphones. Déjà plus d’un milliard sont en circulation dans le monde, et ce nombre doublera dans les deux prochaines années. Le partage de données, la possibilité de les stocker dans le cloud et les technologies de transmission rapide déjà appliquées aujourd’hui « forment la colonne vertébrale de la future mobilité », commente Alain d’Oultremont, un des auteurs de l’étude. Quant aux systèmes de paiement par contact avec un smartphone, ils sont appelés à se généraliser, tout comme les abonnements.

Les entreprises qui pourront offrir à leurs clients une gamme complète des services de mobilité – de l’organisation du voyage à la facturation – sous une seule marque, profiteront au mieux du potentiel considérable de la « mobilité connectée ». Reste à savoir qui assumera cette fonction intégrative essentielle. Il pourrait s’agir des constructeurs automobiles, déjà au cœur de la mobilité individuelle et détenant des marques fortes. Mais les sociétés locales de transport public avec leurs solides liens régionaux, les compagnies de chemins de fer et aériennes, fortes de leurs réseaux internationaux, ont de légitimes ambitions dans ce domaine. Enfin, l’industrie des télécommunications et les fournisseurs d’accès à internet figurent également en bonne place pour mutualiser les services de plusieurs prestataires de mobilité par le biais de portails uniques.

Georges Canto
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