À l'ouverture de la session ordinaire de la Chambre des députés mardi, les Verts siégeaient avec quatre nouveaux députés sur sept, symbolisant comme aucun autre parti le renouveau politique. Viviane Loschetter et Henri Kox sont deux de ces nouveaux: Elle vient du secteur social, est éducatrice, féministe et militante syndicaliste au sein de l'OGBL, conseillère communale à Luxembourg. Lui est professeur-ingénieur, militant pour les énergies alternatives, viticulteur et conseiller communal à Remich. Samedi 16 octobre, lors du congrès extraordinaire de leur parti, ils devront tous les deux abandonner leur poste de porte-parole, elle après quatre ans, lui après deux ans, pour cause de clause anti-cumul dans les statuts. Dans sa série consacrée aux partis après les élections, d'Land s'est entretenu avec eux sur le triomphe des Verts aux élections et les mutations du parti
d'Land: Déi Gréng sont, sans aucun doute, les grands gagnants des élections législatives du 13 juin: vous avez gagné 2,5 pour cent de voix pour atteindre les 11,6 pour cent, ce qui vous a rapporté deux sièges supplémentaires par rapport à 1999. Et ce malgré le départ de deux de vos têtes d'affiche, Renée Wagener et Robert Garcia. Quelles sont, selon vous, les raisons de ce succès?
Henri Kox: Les électeurs des Verts font confiance au parti et ont pour une grande partie recours au mode de suffrage de liste. Dans ma circonscription par exemple, à l'Est, nous sommes le parti qui a recueilli le plus de suffrages de liste. Chez nous, le culte de la personnalité n'est pas aussi important que dans beaucoup d'autres partis. Cela est vrai aussi sur le plan européen.
Viviane Loschetter: Je crois qu'il faut prendre en compte plusieurs facteurs : premièrement, nous avons fait un travail politique conséquent et sérieux ces cinq dernières années. Même nos ennemis politiques en conviennent et je crois que ce point-là a été essentiel pour ce résultat. Deuxièmement, ces élections-ci étaient les premières pour lesquelles nous nous soyons présentés en tant que parti unique, unifié, avec une équipe soudée qui a travaillé main dans la main. Et puis, troisièmement, nous avions mené une très bonne campagne électorale, très professionnelle. Sans oublier bien sûr notre programme électoral, qui est la base de tout cela: comme le dit Henri, les gens ont voté pour nous parce qu'ils sont d'accord avec le mouvement vert.
Selon vous, d'où viennent vos électeurs? Avez-vous récupéré vos deux sièges de l'ADR, qui en a perdu deux, ou seraient-ce quelques-uns des six pour cent que le DP a perdus?Viviane Loschetter: Parmi nos électeurs il y a beaucoup de jeunes, qui ont voté pour la première fois. Par ailleurs, il y a certainement aussi quelques électeurs déçus du DP qui ont voté pour nous. Mais certainement pas d'électeurs de l'ADR...
Henri Kox: Si on regarde encore une fois la circonscription de l'Est, on constate que nous n'avons pas gagné tellement dans les communes riveraines de la Moselle - alors même que les gens sont persuadés que j'étais très populaire parmi les vignerons - mais plutôt dans tous ces villages dans lesquels de jeunes ménages se sont récemment installés, des gens qui sont en plein dans la vie et souffrent de la dégradation de leur qualité de vie, des problèmes structurels de la société, de l'accueil de leurs enfants, de l'école, des transports publics... Et cette augmentation du vote vert est nettement plus sensible encore dans les localités dans lesquelles nous participons à la politique communale, où nous avons pu prouver notre compétence dans ces matières. Nous y avons atteint jusqu'à 18 pour cent, alors que dans les communes de la Moselle, notre score se situait aux alentours de sept ou huit pour cent.Dans tous les sondages préélectoraux, les thèmes dominant la campagne, qui occupaient le plus fortement les gens, étaient le chômage et l'éducation, mais aussi les sujets liés à la protection de l'environnement. Se pourrait-il que les Verts aient justement répondu à ces inquiétudes-là ?
Henri Kox : Sans aucun doute. Il y a cinq ans encore, les questions environnementales se posaient, certes, mais pas au même degré que ces dernières années, avec tout le débat autour des accords de Kyoto, des changements climatiques et du réchauffement de la planète. Mais je crois pouvoir dire aussi que les Verts se sont positionnés sur tout un tas d'autres sujets, comme celui de la réforme des pensions dans le secteur privé ou lors de celle du système d'impôts, où nous avons mis en garde contre une politique trop généreuse pour les entreprises. Dans ce sens, nous sommes un parti complet, loin du clientélisme.
Vous en avez parlé tout à l'heure : en 1999 encore, il y avait deux partis verts en lice, Déi Gréng et le Gal (Gréng a liberal Allianz) de Jupp Weber - qui a quand même recueilli un pour cent des voix sur le plan national et presque deux pour cent aux européennes. Avez-vous pu récupérer ces voix ? Et le parti est-il maintenant définitivement unifié?Viviane Loschetter : Je crois que le plus grand tort que le Gal nous ait causé était d'induire les gens en erreur : aux urnes, les électeurs ne se retrouvaient pas parmi plusieurs listes différentes. Donc dans ce sens, oui, nous avons récupéré ces voix-là. Mais notre unification s'était faite bien avant les élections législatives, c'est pour cela aussi que nous avons gagné.
Henri Kox : Le fait que nous ayons pu stabiliser, voire améliorer notre résultat malgré le départ de quelques personnalités marquantes prouve bien que nos électeurs honorent le programme de tout un parti - uni ! À côté des élections législatives, vous avez aussi fait un triomphe aux européennes, où vous avez gagné plus de quatre pour cent pour atteindre les quinze pour cent - ce qui y fait de vous le troisième parti, derrière le CSV et le LSAP, et avant les libéraux. Le plus impressionnant dans vos résultats européens est le score de Claude Turmes, qui s'était placé septième seulement en 1999 avec un peu plus de 2000 voix, et qui en atteint presque 14 000 en 2004, multipliant son résultat par sept. Son exemple pourrait prouver que le Parlement européen n'est pas uniquement une maison de retraite, mais qu'il peut vraiment constituer une carrière politique... Comment voyez-vous l'articulation entre la politique nationale et la politique européenne?
Henri Kox : Dans tout notre travail, nous essayons toujours d'établir un lien direct entre les deux niveaux de politique. Claude Turmes a toujours traité ses dossiers européens en gardant un oeil sur leurs retombées sur le plan national. D'ailleurs, nous le considérons, lui, un peu comme notre huitième député, il assiste régulièrement à nos réunions. Les électeurs ont constaté à quel point Claude Turmes est engagé et ils l'ont honoré.
Viviane Loschetter: J'estime que ce furent son honnêteté et son intégrité qui ont été honorés par les électeurs : il s'est présenté en tant que tête de liste aux européennes pour rester député européen et les gens l'ont compris ainsi, sans aucun stratagème. Par ailleurs, je tiens à souligner que 80 pour cent de notre politique nationale sont aujourd'hui déjà décidés à Bruxelles, on ne peut certainement pas faire une politique verte à l'intérieur des frontières nationales.
Comment voyez-vous votre parti aujourd'hui ? Où le situeriez-vous sur l'échelle gauche/droite ? Vos détracteurs, à l'interne - notamment ceux qui sont partis récemment - comme à l'externe estiment que vous êtes devenus trop réalistes - ou «realos» comme disent les Allemands - trop pragmatiques, que vous avez abandonné les idéologies des «fundis» de la première heure, que vous n'êtes plus assez contestataires. Que leur répondez-vous ?
Viviane Loschetter : Nous nous situons clairement sur la gauche, il n'y a aucun doute à cela. Dans le paysage politique luxembourgeois, nous voulons être une alternative au LSAP, entre les socialistes et Déi Lénk. Pour la deuxième partie de la question : bien sûr que notre parti est devenu plus réaliste ou «realo», c'est une évolution tout à fait normale pour un parti. Mais je ne trouve pas forcément qu'elle doive être vécue comme une évolution négative, au contraire. Le parti n'aurait jamais été créé sans les idées fondamentalistes, ce sont ces fondateurs qui nous ont mené jusqu'ici. Mais l'adaptation au pragmatisme a été essentielle à ce moment-ci.
Henri Kox: Les fondateurs, les «anciens», très idéalistes, n'étaient pas aussi terre-à-terre que notre génération. Nous sommes aujourd'hui nombreux à être sur le terrain, à travailler dans les communes, dans un environnement réel. On y devient forcément plus réaliste. Mais je crois que parallèlement, la remise en question critique qui a toujours caractérisé les Verts restera garantie, par le biais du parti et de ses organes constitutifs, comme le comité exécutif ou le conseil national. Nous travaillons ensemble. Ces structures du parti sont essentielles pour nous, car elles nous permettent de nous renouveler. C'est aussi pour que ce renouvellement se fasse que nous abandonnons nos mandats de porte-parole pour nous consacrer à part entière à celui de député(e). Cela permettra à d'autres, plus jeunes, avec de nouvelles idées, d'accéder aux postes de porte-parole.
Après les élections de juin, vous avez participé aux premières rencontres du formateur Jean-Claude Juncker, qui sondait les possibilités de former une coalition avec le CSV. À cette occasion, il ne tarissait pas d'éloges pour les Verts, estimant que vous étiez maintenant devenu un parti à prendre au sérieux. On vous voyait déjà tendre la main vers le pouvoir, mais cela ne s'est pas fait. François Bausch, le président de votre groupe parlementaire, ne se lasse pas de dire que ce n'est que partie remise, que les Verts seront au gouvernement en 2009. Pourquoi cette perspective est-elle si alléchante ? Est-ce un but ultime pour un parti de gouverner?
Viviane Loschetter: Faire partie d'un gouvernement n'est certainement pas une fin en soi. Néanmoins, c'est important si on veut réaliser le maximum de ses idées. Il est clair que dans un programme de coalition qui porterait une signature verte, on retrouverait plus de nos idées que sans nous.
Henri Kox : Nous avons su montrer sur le plan local que nous savons gouverner et prendre nos responsabilités. Il n'est donc que normal que nous ayons également envie de participer à la prise de décision sur le plan national. Nous y serions certainement aussi compétents.
Mais seriez-vous à même de reprendre n'importe quel domaine, n'importe quel ministère? Ou vous limiteriez-vous sur les dossiers «typiquement verts» comme le ministère de l'environnement, les transports peut-être encore...
Viviane Loschetter : Nous reprendrions en tous les cas tous les dossiers dans lesquels nous avons des compétences particulières, comme les transports justement, l'écologie, mais aussi par exemple les affaires intérieures avec l'aménagement du territoire...
Henri Kox : ...et puis il faudrait réussir à avoir le budget. Car c'est le ministre du budget qui pose les jalons, qui peut vraiment définir la politique du gouvernement. Mais en tant que «petit» partenaire, c'est de toute façon toujours difficile de décider des ressorts dont on va hériter.
En attendant, vous venez de commencer tous les deux une nouvelle carrière de député(e). Les Verts constituent un groupe parlementaire très jeune, avec seulement trois membres (François Bausch, Camille Gira et Muck Huss) sur sept qui ont de l'expérience sur les bancs de la Chambre des députés. Est-ce que le travail avec une équipe si peu expérimentée s'annonce difficile ? Comment ce groupe parlementaire va-t-il fonctionner par rapport au parti ?
Viviane Loschetter : Si notre groupe parlementaire est «jeune», il reflète d'autant mieux la jeunesse du parti et la jeunesse de nos membres : ces dernières années, nous sommes passés de 230 à 350 membres. Notre parti pratique encore vraiment la démocratie de base, il existe une vraie collégialité entre les députés et les membres du parti, le dialogue est permanent.
Henri Kox : Lors de notre congrès extraordinaire de demain, samedi, nous allons aussi essayer de nous donner une nouvelle structure pour améliorer encore la communication avec et entre la base et les différents organes du parti. Nous allons proposer de décharger le comité exécutif de tous les travaux administratifs qui prennent aujourd'hui beaucoup trop de temps. Cela permettrait au comité exécutif de se concentrer davantage sur le travail proprement politique. Nous, en tant que députés, ne sommes pas seulement là pour défendre nos intérêts ou ceux de nos électeurs, mais aussi pour défendre l'opinion des Verts sur un sujet.
Si le congrès de demain doit élire de nouveaux porte-parole, c'est parce que les statuts du parti prévoient des règles très strictes interdisant le cumul des mandats. Pourtant, vous auriez maintenant eu une certaine expérience et un certain savoir-faire qu'on pourrait aussi considérer comme un atout pour un ou une porte-parole. Le DP par exemple n'y voit aucun inconvénient, le président du CSV est en même temps ministre... Est-ce que, selon vous, cette incompatibilité des mandats est une bonne ou une mauvaise chose ?
Viviane Loschetter : Sans aucun doute une bonne chose ! Pour moi par exemple, ce serait trop que de devoir jongler avec les deux mandats. Et puis cela établit une certaine distance entre le parti et le groupe parlementaire, ce qui est important aussi.
Henri Kox : Ce poste est un bon moyen pour politiser de nouvelles recrues, il constitue une bonne école pour apprendre la politique. Certes, le job de porte-parole demande de l'engagement et beaucoup de temps, mais on y apprend le métier.
Viviane Loschetter : Je suis à cent pour cent pour ce système, mais je trouve en même temps aussi que c'est essentiel qu'on soit deux à ce poste chez les Verts. Cela réduit la charge de travail pour chacun des deux et cela encourage l'échange, on peut toujours réfléchir ensemble sur un sujet.
Si vous êtes deux à ce poste, c'est parce que les Verts s'engagent fortement pour l'égalité des chances et l'équilibre entre femmes et hommes. Pour cela, vous avez des mesures très strictes pour la parité, toutes les têtes de listes aux élections étaient doubles, un homme et une femme à chaque fois, puis cinquante pour cent de chaque sexe sur les listes... Et pourtant, une seule femme verte est entrée au parlement, elle sera seule avec six hommes. Comment vous l'expliquez-vous ? Et comment faire pour qu'il y ait plus de femmes élues ? Est-ce que quelques hommes auraient dû abandonner leur mandat au profit de la prochaine femme élue ?
Viviane Loschetter : Ah non, ça, certainement pas ! On doit quand même respecter la décision des électeurs. Mais il est vrai que c'est une de mes grandes déceptions à l'issue de ce scrutin. Sincèrement, nous n'aurions pas pu faire plus en tant que parti. Pour qu'il y ait plus de femmes élues, il faudrait probablement changer le système électoral : en Allemagne, où le parti décide qui entre au parlement par exemple, il y a 32 femmes et 23 hommes sur 55 députés verts au Bundestag. Mais le résultat au Luxembourg est extrêmement frustrant.
Sur votre page Internet, vous vous vantez que 28 membres des Verts siègent actuellement déjà dans un conseil communal, qu'il y a quatre échevins et deux bourgmestres verts. Tous vos députés sont aussi actifs dans la politique communale et vous ne cachez pas l'importance que revêt le scrutin d'octobre 2005 pour consolider le poids politique du parti, aussi déjà en vue de l'échéance des élections législatives de 2009. Quand est-ce que vous allez commencer à préparer les élections communales ??Viviane Loschetter : Notre campagne communale est déjà lancée. Nous avons eu un premier séminaire de réflexion et de préparation la semaine dernière. Une partie de la campagne sera menée sur le plan national, et une part très importante du travail préparatif pour ces élections est réalisé sur le plan régional.
Retrouvez tous les entretiens de notre série sur les partis après les élections, avec Alex Bodry (LSAP), François Biltgen (CSV) et Lydie Polfer (DP) en ligne sur notre site www.land.lu, dossier élections législatives.
.