Entretien avec Alex Bodry, président du LSAP

Alex et les voix dissidentes

d'Lëtzebuerger Land du 19.08.2004

d'Land: Lors du congrès de Dudelange en 1996, les statuts du LSAP devaient être amendés afin que soient levées les clauses interdisant le cumul des mandats de président et de ministre - pour que vous puissiez devenir président du parti. Or, cela n'a pas marché. Il y a cinq ans, après que le LSAP eut perdu les élections législatives de juin 1999, on vous a vu, ensemble avec Jeannot Krecké, demander le renouveau à la tête du parti socialiste devant les caméras de RTL Télé Lëtzebuerg - ce qui ressemblait fortement à un putsch. Or, aux élections au congrès de Rumelange en 2000, vous n'avez récolté que 40 pour cent des voix en tant que candidat à la présidence, Jean Asselborn ayant été élu à 54 pour cent ; il a été confirmé en 2002 en tant que président. Maintenant qu'il est entré au gouvernement, il ne peut donc plus garder ce mandat. Étant vice-président, vous assurez actuellement l'intérim jusqu'au congrès d'automne... Est-ce que vous croyez que cela va marcher cette fois-ci pour cette élection ? ? Alex Bodry : Les modifications des statuts de 1996 devaient effectivement être faites pour moi, pour que je puisse devenir président, mais le congrès ne nous a pas donné la majorité des deux tiers qui aurait été nécessaire, nous n'avons eu qu'une majorité simple. Le reportage à la télévision en 1999 a fait beaucoup de dégâts à l'époque, alors qu'il était le fruit d'un enchaînement de hasards. J'étais sorti premier des urnes et nous étions persuadés qu'il fallait changer des choses au sein du parti après cette défaite. Mais tout cela est du passé, je dirais que cette fois-ci, cela devrait marcher : jamais deux sans trois. Le congrès décidera.

Pourquoi vous accrocher autant à ce poste? Qu'est-ce qui rend la présidence du LSAP si attractive ou si importante à vos yeux?

Je suis dans ce parti depuis 1974, j'ai encore connu l'époque qui a suivi la scission du parti, en 1971, c'était une période très forte, très chargée émotionnellement. J'ai fait mon chemin aux Jeunesses socialistes, aux étudiants socialistes, je me sens depuis lors fortement enraciné au parti. Et puis je trouve que c'est une mission très noble que de diriger ce parti. Pour moi, cela constitue un plus grand défi que ne l'aurait été un autre mandat ministériel - cela, je l'ai fait déjà.

Justement, vous étiez troisième élu socialiste au Sud, derrière Mars di Bartolomeo et Jean Asselborn - et devant Lucien Lux, qui pourtant est maintenant ministre des Transports. Le rôle de bourgmestre de Dudelange est-il une «consolation» pour avoir renoncé à un mandat de ministre?

Non, certainement pas. Bourgmestre de Dudelange est pour moi un mandat de rêve dans cette période de ma vie. Je ne me suis pas sacrifié - bien que je connaisse aussi la «logique du parti» et que je m'y soumets s'il le faut. Mais ce n'était pas le cas ici. Après la mort de Marc Zanussi, il était clair pour Mars di Bartolomeo et moi qu'un de nous deux devait rester à Dudelange. C'est mon choix personnel.

Dudelange est un vrai bastion du LSAP, lors des élections de juin, vous avez collecté presque cinquante pour cent des suffrages pour le parti ici. Mais à l'intérieur du parti, ce n'est pas toujours vu comme un avantage d'être de Dudelange, vous l'avez constaté vous-même lors d'élections internes. Pourquoi ? 

Parce que le succès provoque de la jalousie. Nous avons récolté plus de voix ici qu'à Esch, par exemple. Ce qui nous distingue de villes typiquement socialistes comme Esch, Rumelange ou Differdange, qui sont traditionnellement à gauche, c'est que Dudelange a connu une véritable restructuration sociologique. De moins en moins d'habitants d'ici sont ouvriers à l'usine. Aujourd'hui, une bonne partie des Dudelangeois travaillent dans le secteur public, qui spontanément, serait plutôt un électorat de centre-droite. Or, nous avons toujours eu une attitude très combative, optimiste en temps de crise - et si je dis «nous», je ne parle pas que des responsables politiques, mais de la population en général. C'est cette attitude qui nous a permis de nous en sortir. Et les socialistes ont fortement contribué à réorienter Dudelange et son économie, mais aussi à augmenter la qualité de vie pour les habitants. Ces efforts, les gens les ont reconnus et les honorent. Pour moi, c'est cela l'explication principale de notre succès. Il s'y ajoute une stratégie de relations publiques réussie.

Donc votre appel pour plus de courage vaut aussi pour les socialistes au gouvernement?

Oui, certainement, nous devons nous affirmer en tant que socialistes, avoir confiance en nous. Car il ne faut jamais oublier que le CSV reste dans son essence même un parti conservateur - ce qui est parfois masqué par le discours volontairement plus progressiste de Jean-Claude Juncker. Mais parfois, le grand écart du CSV, qui essaie de servir tous les bords, ne réussit pas. Un vrai partenariat se base sur l'égalité des deux intervenants : entre le CSV et le LSAP, il existe certainement aussi beaucoup de points communs, nous avons beaucoup d'expérience dans la collaboration au gouvernement et le climat de travail était dès le début dominé par le respect mutuel. Le programme a été établi ensemble, si les deux partenaires le réalisent et se donnent le temps nécessaire pour expliquer leur politique, je crois pouvoir dire que mon parti va soutenir pleinement ce gouvernement. Et je veux dire par là les ministres des deux partis, car les deux partis se sont engagés sur un programme. Nous voulons aider à ce que ce programme puisse être réalisé, même si certains cercles du CSV se montrent réticents sur différents points. Nous resterons vigilents.

En 1999, le DP devait se battre durant plusieurs mois contre le reproche de n'être que le «petit» partenaire - le «junior» - d'un CSV ultra-dominant. Aujourd'hui, la même blague circule à l'encontre du LSAP. Qu'est-ce que vous allez faire contre la menace de connaître le même sort que le DP dans ce rôle après cinq ans?

D'abord, l'échec du DP en juin ne s'explique pas par sa participation au gouvernement durant les cinq années écoulées, mais par son succès «artificiel» en 1999. Ce n'était qu'un château de sable, construit sur des promesses qu'ils n'ont pas pu tenir. Le DP s'est déchiré dans le grand écart qu'il a essayé de faire entre son électoral traditionnel, libéral, et les nouveaux électeurs de la fonction publique, qu'ils ont conquis grâce à leur politique opportuniste en 1999. Ils n'ont pas pu assurer dans la durée, la contradiction était trop évidente. Ceci dit, il ne faut pas se leurrer sur le LSAP non-plus: nous n'avons pu reconquérir qu'un tiers des voix perdues en 1999 et bien que nous ayons stabilisé nos résultats dans les deux grandes circonscriptions, la tendance vers le bas continue dans le Nord et à l'Est. Nous devons donc continuer à travailler à la réorganisation et la rénovation du parti - et là, je parle de l'engagement de toute une équipe, non seulement du président. 

Est-ce que tous les mandats seront renouvelés au congrès en automne?? Oui, car les mandats arrivent à leur fin. Les anciens mandataires avaient été prolongés dans leurs fonctions jusqu'après les élections. Mais le président élu et le secrétaire général, Lucien Lux, ne peuvent plus exercer leurs fonctions depuis qu'ils sont ministres. Il m'importe que nous évitions qu'il y ait un vide. D'autant plus que la prochaine échéance, les élections communales d'octobre 2005, s'annonce déjà. Elles seront pour nous un moyen de continuer à nous affirmer, à élargir nos bases locales, qui, traditionnellement, sont plus faciles à motiver pour les communales. Quand je lis Henri Grethen qui annonce un grand renouvellement du DP en automne, je constate que cela se fait tout naturellement chez nous : nous avons par exemple huit nouveaux députés au parlement, dont cinq qui, à moins de 45 ans, ont une carrière devant eux. Je suis persuadé qu'on retrouvera certains de cette jeune génération aux postes à responsabilité du parti.

Le groupe parlementaire compte quatre femmes aussi, dont deux novices. Pourtant, le LSAP ne s'est pas vraiment démarqué par une attitude féministe durant la campagne... 

Certes, nous n'avions pas réussi à imposer des quotas sur nos listes, mais il demeure que le congrès a exprimé une recommandation allant dans le même sens. Je crois que le message pour la constitution des listes pour les communales doit être clairement d'encourager les sections à présenter des femmes et des jeunes comme candidats.

Lors du congrès extraordinaire de Bettembourg, le 30 juillet dernier, qui discuta le programme gouvernemental ainsi que la constitution de l'équipe ministérielle socialiste, 18 pour cent des délégués ont voté contre. John Castegnaro regretta d'être traité comme «un paria» et a même annoncé qu'il allait pratiquer une «politique d'opposition constructive et sincère». Durant la première session, il a même voté une motion du DP contre le projet de financement du forfait éducation proposé par le gouvernement... Comment allez-vous, en tant que président, gérer cette situation? Comment calmer les «dissidents» internes et éviter les luttes intestinales que vos adversaires politiques vous reprochent souvent?

Je vous ferais remarquer que sur les questions personnelles, nous som-mes plus unis que nous ne l'avons été depuis longtemps. Le CSV a souvent des problèmes personnels, comme cette fois-ci avec l'affaire Hennicot, mais la plupart du temps, ils arrivent à les régler à l'interne. Ou prenez le DP : si Henri Grethen se prononce publiquement en faveur de Claude Meisch à la présidence du parti, cela constitue aussi un coup de semonce à l'encontre de Charles Goerens, qui semblait vouloir manifester son intérêt pour le poste. Donc sur ce plan-là, le LSAP n'a pas de leçon à recevoir des autres partis. Les seules divergences qu'il pourrait y avoir actuellement au LSAP, ce sont des divergences sur le contenu, programmatiques. La solution retenue pour le financement du forfait éducation est le fruit d'un consensus entre les deux partenaires de coalition. Nous avons réussi à ce que le cercle des bénéficiaires soit considérablement élargi. Et, en plus, ce mode de financement libère des moyens budgétaires pour réaliser notre politique, ce qui est aussi un avantage. Par ailleurs, en démocratie, il y a un principe qui s'appelle majorité: une majorité des délégués a voté pour le paquet proposé, donc il est adopté. En ce qui concerne John Castegnaro, je crois qu'il doit tout simplement trouver sa place, son nouveau rôle. Personne ne veut l'exclure, ce serait stupide de ne pas profiter de son expérience et de ses compétences sociales. Je suis persuadé qu'il peut accéder à des fonctions éminentes aussi bien au sein du parti que dans le groupe parlementaire - s'il est prêt à faire des concessions, lui aussi. 

Quelle sera la direction idéologique du parti sous un président Bodry, sur l'échelle gauche/droite?

Nous n'avons aucune raison de nous repositionner. Certes, nous ne sommes pas le «grand vainqueur» des élections législatives, mais la tendance va vers le haut. Le programme fondamental que nous nous sommes donné en octobre 2002 reste actuel. Et nous n'allons certainement pas changer nos grands principes que sont la liberté, la solidarité, la justice et la sécurité. C'est sur ces fondements que nous pouvons prendre un nouvel essor. Le LSAP reste un grand parti populaire de gauche, qui, par sa définition même, n'accepte jamais la société telle qu'elle est, mais cherchera toujours à l'améliorer, à combattre les injustices, les inégalités. Le grand défi que je vois est de garder les bons réflexes que nous avons acquis durant les cinq années passées dans l'opposition  d'aller à la rencontre des gens, de toujours et encore expliquer, de convaincre et de rappeler notre philosophie, le projet de société qui se dessine derrière telle ou telle politique.

Quand allez-vous préparer la campagne pour les communales 2005?? On commence dès la rentrée à préparer la stratégie du parti en tant que tel, mais il ne faut pas oublier que les communales sont en fait composées de nombreuses campagnes locales, avec autant de positions de départ différentes. Or, comme des pièces d'un puzzle, toutes ces campagnes locales doivent déboucher sur une image cohérente du parti socialiste dans son ensemble. Les communes sont notre point fort, nous avons actuellement plus de vingt maires socialistes dans le pays. En nombre de conseillers dans les communes votant à la proportionnelle, nous sommes à égalité avec le CSV. Et je suis persuadé que nous allons conquérir - ou reconquérir - d'autres communes. Les gens font confiance à la politique de proximité des socialistes, qui font des politiques plus innovantes, qui cherchent de nouvelles voies et offrent de vraies perspectives d'avenir sur le plan local. Le défi pour le parti est alors de réunir ces atouts locaux dans un programme-cadre national, que nous allons développer avec notre fédération des conseillers communaux socialistes durant les mois à venir, mettant l'accent sur les réussites concrètes des élus locaux. Pour unifier les campagnes locales, nous allons développer de grands thèmes pour tout le pays. Et puis nous allons mettre un accent particulier, en tant que parti, sur la formation des candidats et candidates, afin de les familiariser avec les dossiers politiques et de leur apprendre les techniques du métier.

 

 

josée hansen
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