L’éclatement de la crise financière a démontré ce qu’il fallait démontrer. L’économie basée sur des valeurs virtuelles est une chimère. Elle construit un monde en trompe-l’œil et déconstruit les rêves, une fois le voile levé.
Hélas, les conclusions tirées du tsunami financier sont étonnantes. Une panoplie d’efforts est déployée pour venir à la rescousse des banques, des sommes immenses sont mobilisées sur les budgets de l’État, les premiers cris d’indignation à l’adresse des joueurs de fortune ont été étouffés par d’autres refrains, déviant l’écoute et la dirigeant vers des terrains de diversion.
Un vent froid souffle désormais dans les démocraties. Le dialogue social est mis en péril. Le principe de la cohésion sociale ne paraît plus faire l’unanimité. Les solidarités sont remises en question. Les différences sont de plus en plus mises en avant pour défendre des revendications égoïstes ou communautaristes. Les êtres humains oublient bien vite, alors qu’un regard en arrière peut être bien instructif, freiner les dérives suicidaires et ramener à une attitude raisonnable.
En effet, que nous apprennent nos ancêtres d’il y a un siècle ? L’adoption de la loi du 31 juillet 1901 sur l’assurance-maladie, l’introduction de l’assurance contre les accidents le 5 avril 1902, la création de l’assurance pension le 6 mai 1911 jetaient les bases de la sécurité sociale telle que nous la connaissons aujourd’hui.
La sécurité sociale se fonde sur l’accord des travailleurs de « céder » une partie de leur salaire et de la confier à des institutions créées spécifiquement à cette fin. Et ce à une période de l’histoire où le salaire couvrait des besoins de première nécessité tels que la nourriture, les vêtements et le logement. Le réflexe égoïste était relégué par le geste solidaire. L’épargne collective était privilégiée par rapport à l’épargne individuelle.
La sécurité sociale se base sur l’accord entre employeurs et travailleurs de gérer ensemble, avec les représentants de l’État, les institutions nouvellement créées, et ce en toute transparence et en réel partenariat.
Lieu de participation directe, de négociation transparente, la gestion de la sécurité sociale représente un acte démocratique dont on sous-estime parfois l’importance. Sortir maintenant, à la demande de milieux intéressés, de ces mécanismes bien rôdés signifie abandonner un réflexe démocratique ayant fortement modelé notre société.
Est-ce que ce système serait effectivement à bout de souffle, dépassé par de nouveaux défis ou est-ce que ce sont des mauvaises langues nourries par des appétits lucratifs qui médisent, avec arrière-pensées bien claires.
L’introduction récente de l’assurance-dépendance démontre que les citoyennes et les citoyens continuent à faire confiance à (la gestion du système de) la sécurité sociale. En effet, l’assurance-dépendance a introduit une nouvelle cotisation et inclus dans le calcul de la cotisation d’autres revenus au-delà du revenu strictement professionnel. Cela s’est fait sans remous majeurs. Les salariés ont accepté le principe de participer au financement d’une nouvelle assurance. Une assurance qui s’insère, elle aussi, dans la logique de la solidarité et de la cohésion sociale.
Les chambres salariées proposent d’ailleurs de s’inspirer des modalités du calcul de la cotisation pour l’assurance dépendance dans le cadre de la réforme de l’assurance-pension. Une proposition qui mérite réflexion.
S’il y a consensus sur le besoin de réformes de la sécurité sociale, il n’y a pas de consensus sur l’objectif des réformes. Est-ce que le système de la sécurité sociale sera réformé pour mieux braver les nouveaux défis ? Ou est-ce que son démantèlement est l’objectif, avec comme alternative le recours aux assurances privées ? La réforme dans le premier sens prend comme fondement la cohésion sociale, tandis que la réforme dans le deuxième sens s’appuie sur un modèle libéral qui, faut-il le prouver, creuse les inégalités.
Autrement dit : faut-il réformer pour consolider le système ou faut-il changer de cap et de système ? La success story du système de la sécurité sociale depuis sa création jusqu’à aujourd’hui dicte la réponse. Gardons les acquis démocratiques : continuons à gérer en partenaires et en transparence.
Réformons à tête reposée. Et faisons le choix de la société : voulons-nous développer une société démocratique, basée sur la valeur du travail (et non la spéculation) et sur la cohésion sociale ou voulons-nous casser cette société ?
Qui dit société démocratique dit droit au travail. Lors de sa 98e session, en 2009, la Conférence internationale du travail à Genève a adopté à l’unanimité de ses participants, à savoir les délégués des gouvernements, des employeurs et des travailleurs des États membres de l’OIT, un texte intitulé « Surmonter la crise : un pacte mondial pour l’emploi ».
Citation : « Le pacte propose des mesures et des politiques pour
• Maintenir les femmes et les hommes dans leur emploi dans toute la mesure possible, et soutenir les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises, ainsi que les microentreprises
• Soutenir la création d’emplois et promouvoir les investissements dans des secteurs à forte densité d’emploi, y compris les emplois verts
• Faciliter un retour plus rapide à l’emploi et remédier à la déflation salariale
• Protéger les personnes et les familles touchées par la crise, en particulier les plus vulnérables, et celles de l’économie informelle en renforçant les systèmes de protection sociale de façon à leur garantir un revenu, des moyens d’existence durables ainsi qu’une pension de retraite
• Accélérer le rétablissement de l’emploi et élargir les perspectives d’emploi en agissant simultanément sur la demande et l’offre de main d’œuvre
• Doter les travailleurs des compétences dont ils auront besoin aujourd’hui et demain
Le pacte pour l’emploi est fondé sur l’Agenda du travail décent et rappelle que le respect des principes et droits fondamentaux au travail, la promotion de l’égalité entre femmes et hommes ainsi que la libre expression, la participation et le dialogue social sont aussi des éléments indispensables pour la reprise et le développement.
La meilleure réforme possible de la sécurité sociale est la consolidation du travail, salarié ou indépendant, privé ou public, à temps plein ou à temps partiel.
Que ce soit la création d’un fonds public d’investissement et de participation comme instrument de financement d’intervention rapide et efficient tel que proposé récemment par la Chambre des fonctionnaires, que ce soit la réforme douce des pensions, l’analyse d’impact des transferts sociaux dans le contexte de la libre circulation, l’équilibrage de la charge fiscale entre personnes actives et en retraite, l’encouragement du développement des droits personnels… tout est possible.
C’est le but visé qui déterminera l’adhésion ou le rejet par les cotisant-e-s.