Il y a trois mois à peine, Anne Simon et sa troupe : Steve Karier comme comédien féroce, Emre Sevindik comme créateur musical et Anouk Schiltz à la scénographie, nous livraient un Begrabt mein Pferd in la Mancha (adaptation de Kicking a dead horse de Sam Shepard) puissant sur les planches du Théâtre des Capucins. Depuis s’y sont ajouté Luc Feit et une ribambelle de techniciens qui apparaissent et disparaissant, au gré de gags et voici la suite : Don Quijote.
Plantés dans un décor décharné, fait de toile suspendue abîmée, de machines qui montent et qui descendent, de costumes de théâtre inspirant de multiples références et personnages, nous retrouvons, cette fois-ci sur la scène du Théâtre national, la carcasse du cheval qui s’animera sous les volontés loufoques du chevalier à la triste figure, Don Quijote (incarné par Luc Feit) et un Hubert Struther transfiguré en Sancho Pansa (Steve Karier). Ces deux âmes perdues poursuivent une quête imaginaire, l’aventure absolue, salvatrice, la dernière sans doute que puisse avoir un homme perdu, celle qui est censée surpasser l’imaginaire. Dans un humour léger, créé par une multitudes de gags (un peu trop nombreux), le jeu constant entre le récit de Don Quijote de Miguel de Cervantès et les mésaventures de ces deux personnages fusent comme autant de combats, de confrontations avec la réalité – celle qui constitue notre triste sort d’une part, mais d’autre part aussi celle du théâtre.
Un texte bien aménagé, sans doute par la candeur de la metteuse en scène, permet au public de glisser dans les bottes des deux rêveurs, mais pas autant que lors de Begrabt mein Pferd in la Mancha, pièce plus réfléchie. Le rythme ici est bon, car judicieusement amené par deux très bons comédiens, mais le public en prendra un peu trop de tous les côtés, se perdra parfois et ne saura plus distinguer quelles drôleries ont été travaillées et lesquelles se sont ajoutées (portable qui sonne jusqu’à la rage des comédiens, qui sont illico expulsés de leurs rôles respectifs – ce qui d’ailleurs crée une dimension supplémentaire qui ne gêne pas, au final, au vu de la convention choisie pour la pièce). On aura ri d’un rire léger, ce qui semble plaisant, c’est donc que la pièce, même un peu décousue, fonctionne.
On en retiendra qu’il est intéressant mais périlleux de s’attaquer à plusieurs dimensions à la fois, celles de la réalité et l’imaginaire, d’une part, et celle de la réalité et du théâtre, d’autre part. Mais ce qui semble évident ici, dans le message, si toutefois on souhaite le trouver, c’est qu’à travers l’imaginaire inscrit dans l’esprit des enfants et refusé par les adultes (car trop dangereux et trop déraisonnable) même l’homme moderne, désillusionné, qu’était le personnage d’Hubert Struther, à la limite de la schizophrénie, se transforme en héros – en Sancho Pansa. Un antihéros d’ailleurs, capable de réanimer à sa propre réalité, la figure mythique de Don Quijote et de tous ses rêves que celui-ci se doit d’accomplir pour ravir le cœur de sa Dulcinea. Car, comme l’avait étudié Kafka, dans La vérité sur Sancho Pansa, c’est bien Sancho qui tient les rênes et dirige son compère et chevalier, Don Quijote.
Don Quijote s’inscrit donc au rang de bon spectacle tout public, léger, avec des très bons interprètes, y compris le personnel technique qui apparaît çà et là – une troisième partie semblerait presque appropriée pour redonner un équilibre entre cette désinvolture de forme et l’introspection que nous livrait Begrabt mein Pferd in la Mancha.