La sénatrice Dianne Feinstein, qui préside le Comité du Sénat américain sur le renseignement, a confirmé cette semaine ce que des médias états-uniens subodoraient depuis quelque temps : à savoir que la CIA a espionné le réseau informatique de ce Comité, a soustrait à ce Comité des documents de manière ciblée et cherche à présent à intimider son personnel. Mme Feinstein a précisé devant l'assemblée plénière qu'elle abordait ce problème en plénière « avec réticence », après avoir tenté en vain de le résoudre discrètement.
Le Comité présidé par Mme Feinstein enquête depuis plusieurs années sur les méthodes de détention et d’interrogation de la CIA, c’est-à-dire sur les inadmissibles brutalités commises par des agents américains à Guantanamo et ailleurs au nom de la lutte anti-terroriste. Après la destruction de bandes vidéo témoignant de ces interrogatoires, révélée par le New York Times en 2007, le Sénat avait convenu avec la CIA qu’il étudierait les transcripts et autres documents décrivant ces méthodes en un lieu dédié, où les techniciens de la CIA installeraient pour le Comité sénatorial un réseau informatique sécurisé. Devant la masse des documents transmis – plus de six millions au total – le personnel du Comité avait demandé, et obtenu, que ces techniciens ajoutent au système un moteur de recherche, a raconté Mme Feinstein. Parmi les documents que ce moteur de recherche a permis d’identifier dans la documentation transmise figure un résumé interne des mêmes documents fournis au Comité, dit le « Panetta Internal Review », d’après le nom du directeur de la CIA de l’époque, qui, croit-on comprendre, conclut lui aussi au caractère inhumain des méthodes utilisées par l’agence.
Au cours de ce processus, la CIA a au moins deux fois retiré du système informatique dédié des documents déjà transmis. Après s’être fait taper sur les doigts une première fois, elle avait promis de ne plus se
livrer à ces petites manœuvres. Mais vers la fin 2013 ou au début de 2014, elle a non seulement récidivé mais s’est livrée à une fouille informatique du réseau réservé au Comité pour y vérifier la présence de ce fameux rapport interne de la CIA. Affirmant à présent qu’il s’agit d’un document classé obtenu de manière frauduleuse, la CIA a essayé ces dernières semaines de discréditer le travail du Comité sénatorial à coup d’informations fournies anonymement à la presse.
C'est cette même Mme Feinstein, une démocrate élue en Californie, qui avait dans un premier temps, après les révélations d'Edward Snowden en juin dernier, pris la défense de la NSA. Avant il est vrai, devant l'ampleur du scandale des écoutes illégales, de mettre de l’eau dans son vin. N’empêche : que la présidente du Comité du Sénat sur le renseignement en vienne à dénoncer ainsi publiquement l’action de la CIA témoigne d’un conflit grave au sein des institutions américaines.
En résumé, nous avons donc la CIA convaincue d’avoir fouillé dans les affaires des législateurs chargés de la mission de surveiller les agences de renseignement : un comble. L’action de la CIA est contraire à la séparation des pouvoirs, a asséné Feinstein. Elle demande à présent que le Sénat autorise la publication du rapport de 6 200 pages sur les agissements de la CIA, afin que « nous soyons en mesure de nous assurer qu’un programme de détention et d’interrogation contraire aux valeurs américaines et brutal ne soit plus jamais envisagé ou autorisé ».
Il est sans doute encore trop tôt pour savoir ce qui s’est vraiment passé lors de cette enquête du Comité sénatorial. La CIA a-t-elle cru pouvoir noyer les employés de ce comité, assez peu nombreux et aux ressources limitées, sous un déluge d’informations, pour être ensuite piégée par la simple demande d’ajouter au système d’information un outil de recherche ? À en juger par le plaidoyer passionné de Dianne Feinstein, c’est probable. Le succès de Google en témoigne : il ne faut jamais sous-estimer le potentiel d’un simple moteur de recherche. Si cette fois, au lieu de servir à une surveillance abusive, un moteur de recherche peut contribuer à dévoiler et à dénoncer les tortures commises à Guantanamo, il faut s’en réjouir.