Coup de froid dans les relations entre la France et ses partenaires européens. L’annonce de la mise en place d’une taxe sur les transactions financières le plus rapidement possible en cavalier seul a en effet pris de court les autres capitales européennes et la Commission, qui en majorité mettent en garde contre cette approche solitaire. À commencer par Berlin qui accueillait le président français Nicolas Sarkozy le 9 janvier.
La France « n’attendra pas que tous les autres soient d’accord » pour mettre en œuvre la taxe sur les transactions financières, avait assuré Nicolas Sarkozy la semaine dernière sans toutefois préciser de date. Benoist Apparu, secrétaire d’État au Logement, a précisé sur Radio J qu’un texte serait discuté en Conseil des ministres « probablement en février ».Lors de ses vœux aux Français, le 31 décembre au soir, le président français avait à nouveau fustigé les dérives du secteur financier et évoqué la nécessité de le faire payer : « Il faut faire participer la finance au redressement de la situation » provoquée depuis 2008 par ses « dérèglements scandaleux et inadmissibles », a-t-il rappelé lundi à Berlin.
Un porte parole du gouvernement allemand a sèchement rappelé que la position de celui-ci était « inchangée » : privilégier un consensus au niveau européen de peur de plomber la compétitivité de la place financière de Francfort. Même sentiment auprès d’experts de la Commission proches du dossier. Les portes parole de l’institution se bornant à déclarer que celle-ci a pris connaissance d’une « annonce » et « n’a pas la moindre idée de ce que la France est en train d’imaginer ».
Le principe de taxer les transactions monétaires ou sur action, obligation ou produits dérivés d’un pays à l’autre n’est pas nouveau : on le doit au prix Nobel d’Économie James Tobin, professeur d’économie à l’université américaine de Princeton et ancien conseiller du président Kennedy qui l’a imaginé en 1972 au départ pour réduire la spéculation et l’instabilité des marchés. Les altermondialistes l’ont reprise à leur compte espérant collecter des fonds au profit des pays en développement. La crise aidant, elle est perçue par certains gouvernements européens comme un moyen d’atténuer les à coups de la spéculation tout en apportant de l’argent frais pour renflouer les caisses.
Il est surprenant que le président français, qui la qualifiait d’« absurdité », il y a quelques années, s’approprie la paternité avec l’Allemagne d’un projet d’instauration dans l’UE. Son forcing y est perçu comme irréaliste à tout le moins comme un coup électoral pour déstabiliser la gauche à 100 jours du premier tour de l’élection présidentielle. C’est le sentiment qui ressortait des débats qui ont eu lieu le 9 janvier autour de la proposition de directive de la Commission européenne visant à instaurer une telle taxe sur à l’échelle de l’Union. Y compris par les partisans du président, tel l’eurodéputé Jean-Paul Gauzes (PPE), qui a placé dans le contexte de la « période électorale » française les déclarations de Sarkozy.
Ce premier examen du texte par le Parlement a dénoté un certain consensus quant à la pertinence d’une telle taxe. Anni Podimata (S[&]D, Grèce), qui rédigera le rapport dans le cadre de la procédure de consultation en vigueur dans le domaine fiscal, a estimé « équilibrée » la proposition de directive, dont la mise en œuvre ne provoquera pas, selon elle, les délocalisations massives d’activités financières que d’aucuns redoutent, en particulier dans les rangs britanniques des groupes des Conservateurs et réformistes européens (ECR) et Europe libertés démocratie (EFD). Elle a souligné que les faibles taux d’imposition retenus par la Commission – 0,1 pour cent pour les actions et obligations et 0,01 pour cent pour les produits dérivés – éviteraient ces risques. Pascal Canfin (Verts/ALE, France) a insisté sur le fait que la future taxe viserait avant tout les sociétés qui font du trading à haute fréquence et les banques qui agissent sur les marchés pour leur propre compte. Il serait donc illogique qu’elles reportent sur les consommateurs le surcoût qu’engendrera pour elle la TTF. Reste, selon lui, problématique « le principe du sous-jacent européen ». Il se demande s’il « ne conviendrait pas de taxer toutes les transactions portant sur des actions, des obligations ou des produits dérivés européens, indépendamment du lieu où sont établis les opérateurs et effectuées les transactions ».
Outre les Britanniques, surtout du groupe ECR farouchement opposés à une telle taxe, restent braqués une majorité de Suédois, essentiellement libéraux, et de Polonais du PPE. Les Danois qui président l’UE pour six mois ne sont pas plus favorables au projet sur la table : il « n’est pas très solide », a estimé la ministre de l’Économie, Margrethe Vestager, lors d’une rencontre avec des journalistes étrangers à Copenhague le 10 janvier. De plus, arguant les résultats d’études réalisées par la Commission démontrant qu’une telle transaction introduite seulement en Europe risquait de coûter un demi-point de croissance économique au continent et « des centaines de milliers d’emplois » du fait de la délocalisation d’activités bancaires et financières hors de l’UE, elle s’est dit réticente « à soutenir une proposition qui aurait l’effet inverse, celui de minimiser la croissance et d’entraîner d’importantes pertes d’emplois ».
Autant dire que l’unanimité requise dans le domaine fiscal est loin d’être acquise. D’où les scenarii qui se font jour d’une option limitée au moins aux pays de la zone euro.