Si la liberté d’entreprendre est consacrée par la constitution du Luxembourg, l’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou industrielle est soumis à l’obtention d’une autorisation préalable d’établissement accordée par le ministère des Classes moyennes1. La mise en place d’un système d’autorisation d’établissement préalable à tout exercice d’une activité commerciale trouve son fondement dans la nécessaire protection des consommateurs et des entreprises.
Le droit d’établissement a fait l’objet, en septembre dernier, d’une réforme ayant pour but de faciliter l’accès aux activités du commerce, de l’artisanat et de l’industrie sur le territoire du grand-duché matérialisée par la loi du 2 septembre 20112 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel ainsi qu’à certaines professions libérales. Après plusieurs modifications apportées à la loi du 28 décembre 1988 qui règlementait le régime du droit d’établissement jusque là, particulièrement en 1997 et 2004, et grâce à un recul de plus de vingt ans de pratique par le ministère des Classes moyennes, il est apparu nécessaire, non pas d’apporter une nouvelle modification à la loi de 1988, mais de refondre entièrement le droit d’établissement et de l’adapter aux réalités économiques actuelles en le modernisant et en facilitant l’accès aux activités visées afin de développer l’entreprenariat au Luxembourg.
En comparaison avec les règles édictées par les pays voisins, il était nécessaire en effet que le système luxembourgeois en place ne constitue pas un frein au développement des activités commerciales et artisanales, notamment des petites et moyennes entreprises. Les directives encadrant la matière au niveau européen étaient en effet plus souples que le régime luxembourgeois précédemment en vigueur, notamment au regard des critères de qualification requis pour exercer telle ou telle activité. Il fallait également s’assurer qu’aucune discrimination n’existe entre un ressortissant luxembourgeois et un ressortissant d’un autre État membre de l’Union européenne.
Ainsi, après le dépôt d’un projet de loi auprès de la chambre des députés en juillet 2010 et son examen par la commission des classes moyennes et du tourisme, la chambre des métiers, les différents ordres des professions réglementées et le Conseil d’État, le parlement a adopté un nouveau texte de loi le 2 septembre 2011.
Ce texte, qui régit désormais l’accès aux activités commerciales, artisanales et industrielles et qui a abrogé la loi de 1988, met désormais le droit luxembourgeois en conformité avec les directives européennes dites « Qualification » et « Services »3 et simplifie la procédure administrative en vue de l’obtention d’une autorisation d’établissement.
L’obtention de l’autorisation d’établissement reste fondée sur des critères à la fois d’honorabilité professionnelle et de qualification professionnelle, mais l’accès à l’établissement est élargi aux personnes non seulement détentrices d’un diplôme, tel que précédemment visé par la loi de 1988, mais également désormais aux personnes bénéficiant d’une expérience professionnelle de trois ans, telle que consacré par la pratique.
a) Honorabilité et qualification professionnelles du candidat
Il faut noter que l’autorisation d’établissement est accordée non pas au nom de la société qui exerce l’activité, mais au nom de son dirigeant. Afin d’être considéré comme dirigeant, le candidat doit :
− assurer effectivement et en permanence la gestion journalière de l’entreprise ;
− avoir un lien direct avec l’entreprise en en étant propriétaire, associé, actionnaire ou salarié ; et
− ne pas s’être soustrait précédemment aux charges sociales et fiscales, soit en son nom propre soit par l’intermédiaire d’une société qu’il dirige ou a dirigée4.
Le dossier que dépose le dirigeant auprès du ministère des Classes moyennes doit démontrer en outre que ce dernier satisfait aux exigences de qualification et d’honorabilité professionnelle.
La loi du 2 septembre 2011 rappelle le principe énoncé par la loi de 1988 concernant l’honorabilité professionnelle du dirigeant, qui vise à garantir la protection des tiers et l’intégrité de la profession et précise, par ailleurs, que celle-ci est analysée sur les dix dernières années. Le casier judiciaire du candidat sera examiné ainsi que son éventuelle implication dans une faillite ou une liquidation judiciaire, ou encore l’accumulation de dettes importantes par celui-ci auprès des créanciers publics. Le défaut de publication légale auprès du registre de commerce et des sociétés (notamment des comptes annuels d’une société dont il s’occupait) ou de tenue d’une comptabilité conforme constitue un manquement d’office affectant l’honorabilité professionnelle du dirigeant.
Par ailleurs, la loi précise que la condition d’honorabilité professionnelle concerne également les personnes en mesure d’exercer une influence significative sur la gestion ou l’administration de l’entreprise ainsi que le détenteur majoritaire des parts sociales de celle-ci. Afin de faciliter l’accès aux activités commerciales, artisanales et industrielles, la loi du 2 septembre 2011 rend plus flexible la qualification professionnelle requise du dirigeant. L’approche n’est plus seulement fondée sur les diplômes que possède le candidat, mais prend en compte l’expérience professionnelle de ce dernier, en validant expressément une pratique effective de trois ans. Dans les faits, le ministère des Classes moyennes a accordé sur cette base une autorisation d’établissement à certains candidats, dont la demande était basée uniquement sur une expérience professionnelle avérée.
La loi du 2 septembre 2011 détaille en outre les critères particuliers de qualification professionnelle que doivent présenter certaines professions, comme celles d’agents immobiliers, artisans, architectes, experts, comptables, conseils, etc.5 Toutefois, bien que la loi avait pour objectif de refondre l’ensemble du droit d’établissement en un seul texte, elle ne l’a pas fait complètement : certains textes qui régissent d’autres domaines professionnels subsistent encore, comme par exemple la loi du 21 avril 1993 sur la profession de transporteur de marchandises par voie navigable ou encore la loi du 14 juin 1994 sur l’organisation et la vente de voyages ou de séjours.
b) Renforcement de l’exigence de la présence d’un établissement au Luxembourg
La présence d’un lieu d’exploitation fixe sur le territoire du Luxembourg de la part de l’entreprise qui exerce l’activité pour laquelle son dirigeant demande une autorisation est une condition impérative fixée par la loi du 2 septembre 2011.
La loi dispose que ce lieu d’exploitation doit se traduire par :
– une installation matérielle appropriée ;
– une infrastructure comportant les équipements administratifs et techniques nécessaire ;
– l’exercice effectif et permanent de la direction des activités ;
– la présence régulière du dirigeant sur ce lieu ; et
– la conservation des documents comptables et autres documents légalement requis6.
Malgré l’objectif énoncé depuis un certain nombre d’années de limiter les entreprises « boîtes aux lettres » à Luxembourg, la pratique avait fait ressortir que de nombreuses entreprises avaient pu obtenir une autorisation d’établissement en ne possédant qu’une adresse auprès d’une société de domiciliation. Par conséquent, le législateur a expressément exclu par la loi du 2 septembre 2011 la domiciliation de sociétés (au sens de la loi modifiée du 31 mai 1999) de la définition de l’établissement nécessaire à l’obtention de l’autorisation d’établissement. Il a en cela fait sien la jurisprudence récente des cours et tribunaux de Luxembourg qui établit certains critères pour révéler qu’une location alléguée cache en réalité une domiciliation.
Ainsi faut-il tenir compte du nombre de sociétés par rapport aux bureaux disponibles, de l’exiguïté éventuelle des locaux, de l’infrastructure offerte, du nombre de personnes qui travaillent réellement sur les lieux et de l’activité des sociétés concernées, ainsi que de la question de savoir si des services comparables sont offerts simultanément aux sociétés siégeant à la même adresse et si les mêmes personnes sont affectées à l’exécution de ces services7. Par ailleurs, la loi du 2 septembre 2011 a également consacré la pratique existante en précisant que les activités intra-groupes sont expressément exclues de la procédure d’établissement8. Les services commerciaux ou industriels qu’une société fournit à une autre société du groupe sont donc libres de toute autorisation d’établissement. Enfin, un pan important de la directive « Services »9 a été consacré par la loi s’agissant de la prestation de services à titre occasionnel et temporaire, afin que tout membre de l’espace économique européen ait la possibilité de fournir des services à titre occasionnel et temporaire au Luxembourg. La loi du 2 septembre 2011 précise toutefois que ce caractère « est à apprécier au cas par cas en fonction de la durée de la prestation, de sa fréquence, de sa périodicité et de sa continuité »10.
a) Procédure administrative et évaluation par le ministère des Classes moyennes
Le dépôt du dossier de demande d’autorisation se fait par envoi recommandé avec accusé de réception, faisant courir des délais strictement encadrés par la loi. Le ministre des Classes moyennes accuse réception du dossier dans les quinze jours et indique le cas échéant si des pièces s’avérent manquantes. La procédure d’instruction et d’autorisation11 est limitée à trois mois, sauf prorogation exceptionnelle d’un mois. Le législateur a mis en place un principe d’autorisation tacite de la demande en l’absence de décision dans le temps imparti. La loi prévoit, en outre, que la décision du ministre des Classes moyennes doit être dûment motivée en cas de refus.
La loi innove également en instaurant un registre regroupant le suivi des autorisations d’établissement et dont les données sont librement consultables en ligne, rendant ainsi accessible aux tiers le nom du dirigeant titulaire de l’autorisation.
En effet, en cas de changement de dirigeant ou d’objet social de l’entreprise, le ministère des Classes moyennes doit en être notifié. L’autorisation d’établissement étant personnelle, il est impératif que le nouveau dirigeant de l’entreprise soumette une nouvelle demande d’autorisation en son nom afin que l’administration puisse vérifier s’il remplit personnellement les critères requis. Dans l’attente d’une nouvelle autorisation, le ministre délivre une autorisation provisoire valable six mois renouvelable une seule fois.
b) Infraction au droit d’établissement
La réception d’une autorisation d’établissement par le ministre des Classes moyennes conditionne l’exercice de toute une activité commerciale, industrielle ou artisanale. L’article 203 de la loi amendée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales prévoit que toute société en infraction avec le droit d’établissement pourra être dissoute et liquidée. L’exercice d’une activité commerciale, artisanale ou industrielle sans autorisation d’établissement, ou l’utilisation d’une personne interposée mettant à disposition sa qualification et son honorabilité professionnelle en abandonnant la gestion réelle de l’entreprise à un tiers est sanctionné pénalement. La fermeture provisoire ou définitive de l’établissement peut être exigée ainsi qu’une interdiction d’exercice de la profession allant de deux mois à cinq ans12.
Par contre, la validité des actes passés par une personne n’ayant pas reçu d’autorisation d’établissement n’est pas remise en cause par ce simple fait. Ainsi, la Cour d’Appel de Luxembourg a décidé en 2006 qu’un contrat passé par des parties non munies de l’autorisation ministérielle requise pour l’exercice d’une profession commerciale ou artisanale n’est pas frappé de nullité par la loi, alors qu’un tel contrat n’est illicite ni par son objet, ni par sa cause, et ne contient du fait du défaut éventuel de l’autorisation d’établissement requise aucune stipulation contraire à l’ordre public luxembourgeois13.
Il ressort de ce bref exposé que la nouvelle loi du 2 septembre 2011 a permis d’intégrer dans le corps législatif les aspects validés par la pratique de manière à les rendre plus clairs et transparents. Toutefois, il n’en demeure pas moins que la liberté d’entreprendre à Luxembourg reste bien encadrée. Ceci correspond à la volonté du législateur qui estime que « la situation du Luxembourg présentant trop de particularités », il est nécessaire de protéger les entrepreneurs14, ce qui passe nécessairement par le contrôle des points soulevés ci-dessus.