Peu d’auteurs se voient éditer deux ouvrages simultanément ou presque. Mis à part le prolifique Lambert Schlechter. Lequel se fait rattraper dans sa performance par la jeune Nathalie Ronvaux. Et même en mettant de côté l’aspect doublet, il continue de s’agir bien là d’une performance. De qualité et de diversité. Les deux recueils en question ? Le lyrique Vol de nuit à ciel ouvert et le dramaturgique La vérité m’appartient.
Vol de nuit à ciel ouvert est un recueil sans concessions ni compromission. L’auteure ne veut pas charmer ; elle crée comme on procrée (« Je m’enfuis / Je m’échappe / Je me disperse et me multiplie »). L’inspiration génitrice – la nuit – n’a pas besoin de n’endosser qu’un seul rôle du début à la fin (théâtre de l’action, la nuit se fait aussi espace de méditation), de même que les engendrés n’ont pas besoin de se ressembler. La seule récurrence formelle dans cet hétéroclisme : la concision. Les poèmes de Vol de nuit à ciel ouvert sont si courts que les mots claquent. Parcimonieux, ils sont car ils trahissent des ressentis plus ou moins intimes (« Nos chairs s’unissent à perpétuelle demeure et défient les anges / Noirs / Noirs de leur ennui / Noirs de nos envols inépuisables »), donc nul besoin de s’étendre. Et tant pis ou tant mieux s’il faut les lire et les relire pour pouvoir les appréhender. Ici et là, ils s’octroient même le droit de rester insaisissables comme la vie (« À peine t’ai-je enrobé dans le parchemin des noirceurs oniriques que tu t’échappes dans la blancheur d’une éclipse »). L’auteure se laisse parfois aller au lyrisme métaphorique lorsque les marins au port sont des « rides salées de la mer accoudées au comptoir ». Tout lui réussit. Souhaitons-lui de nombreuses nuits à venir. Même si sa muse peut aussi être bourreau (« La nuit accorde aux âmes vagabondes ses consolations volages / Elle pose ses bleus ridés sur les paupières du jour »).
La vérité m’appartient est un livre gigogne, regroupant quatre pièces, La vérité m’appartient, Histoire(s), Échographie et Enterre-moi. Deux (Échographie et Enterre-moi) ont déjà été jouées, une (La vérité m’appartient) va l’être et la quatrième (Histoire(s)) le sera certainement. Car tel est le but des textes de théâtre. Mais parfois, nul besoin de les entendre mis en scène ; on peut aussi prendre du plaisir à les lire. Ce plaisir qui devrait pouvoir être systématique ne l’est malheureusement pas. Mais ici bel et bien présent.
Dans La vérité m’appartient, aux accents ionescosiens, c’est la Deuxième Guerre mondiale qui sert de terreau, comme c’était déjà le cas dans La liberté meurt chaque jour au bout d’une corde. Inépuisable source d’analyses sociologiques. Ici transposables à d’autres temps, plus actuels par exemple, et d’autres – tous les – lieux. Les thématiques ? L’épuration et ses zones d’ombre, la rectilignité supposée des hommes dans leurs comportements, la justice soi-disant impartiale, mais rendue par des hommes et donc subjectivement tarée. Malgré l’absurde, il y a de la subtilité. Et même si la justice tranche à la fin, les questionnements restent entiers.
Intime, Échographie est un monologue bouleversant et terrible. Une histoire banale qui évolue tel un thriller et dont la fin reste en suspens (la tension dramatique doit beaucoup aux mots, pesés et sonnant toujours juste). Qui ose traiter de tabous : le caractère non anodin de la maternité, les divers héritages, génétiques et comportementalement mimétiques, le libre arbitre et la fatalité, le secret médical, l’infanticide, le cycle bourreau-victime.
Le passage de victime à bourreau, c’est l’histoire de la jeune fille d’Histoire(s). Trois personnages, trois vies collatéralement brisées. Sous l’apparence d’un fait divers.
Dans Enterre-moi, les mots ne sont pas plus déliés. Comment pourraient-ils l’être ? Au-dessus d’eux plane la menace des pierres qui lapident. Même les deux personnages – féminins – n’ont pas de noms. Elles ne sont que A et B. À l’identité déniée. Leur crime ? Avoir le mauvais sexe. Être donc privées de droits, si ce n’est celui d’être soumis au pouvoir de vie et de mort de l’autre sexe, le fort. Des destins au féminin. D’ailleurs et d’ici. D’hier et d’aujourd’hui. Entre acceptation et révolte. Pour éveiller les consciences et que demain soit enfin différent.
Quatre pièces engagées. Nécessaires aussi. Car même si la condition des femmes évolue, elle le fait avec beaucoup trop de lenteur. Nathalie Ronvaux apporte sa pierre à l’édifice sans qu’on puisse pour autant la catégoriser de féministe. Juste une femme, sensible et alerte, qui sait très bien parler des siennes.