Vidéo-surveillance policière

« J’ai la conscience tranquille »

d'Lëtzebuerger Land du 21.01.2010

d’Lëtzebuerger Land : Le débat sécuritaire a atteint de nouveaux sommets après la tentative d’attentat de Detroit en décembre. Or, le ministre allemand de l’Intérieur Thomas de Maizière a annoncé qu’il voulait arrêter cette surenchère. Quelle est votre approche en la matière ?

Jean-Marie Halsdorf : Lors de la passation des pouvoirs l’année dernière, où je suis devenu ministre de la Police, j’ai déclaré que les citoyens avaient tous un droit à la sécurité. C’est d’ailleurs ma phrase préférée : la sécurité est un droit. Point c’est tout.

Comment les droits de l’homme sont-ils protégés ?

Ils sont un droit fondamental de notre société, c’est pourquoi il faut trouver le juste équilibre entre le droit à la sécurité et le droit à la vie privée. Mais il faut savoir que lorsqu’on se trouve sur la place publique, on n’est plus dans la sphère privée, individuelle.

Cet argument justifie en principe la surveillance de tout l’espace public.

Non, je ne suis pas d’avis qu’il faille tout contrôler. Mais la décision d’installer les caméras Visupol et de continuer la vidéosurveillance a été une bonne décision politique. C’est pourquoi nous organiserons un débat à la Chambre des députés en mars. À ce moment-là, nous disposerons des chiffres de l’année 2009, ce qui nous permettra de mieux les apprécier globalement..

En novembre dernier, vous avez donc pris la décision de prolonger Visupol sans pouvoir vous appuyer sur des données définitives ?

Là, je vous réponds par la question : est-ce qu’il est nécessaire de disposer d’une véritable évaluation pour pouvoir continuer ou pas ?

Le règlement grand-ducal le prévoit pourtant.

Nous disposons d’une évaluation, mais est-ce qu’il nous en faut une qui soit parfaite à mille pour cent ou est-ce que 99 pour cent suffisent ? Là n’est pas la question. L’essentiel est que ces caméras fonctionnent en toute légalité, contrairement à ce qui a été écrit (d’Land du 18 décembre 2009).

L’ancien règlement avait été publié au mémorial en août 2007, valable pour deux ans, alors que le nouveau ne court que depuis le 12 novembre 2009. Il y a donc eu un vide pendant deux mois.

Je précise que les caméras n’ont été activées que le 13 novembre 2007, le délai a donc été respecté, il n’y a pas eu de vide juridique. La prochaine décision sera prise le 13 novembre 2010. L’échevin François Bausch raconte que le comité de prévention communal n’a pas été d’accord pour une continuation de Visupol. Or, j’ai sous les yeux le rapport de la réunion du comité du 28 octobre 2009, dans lequel celui-ci « marque son accord à la prolongation du projet, avec les desiderata précitées ». Il voudrait mettre des personnes assermentées derrière les écrans. Sur ce point-là, j’estime qu’il n’est pas nécessaire d’y placer des policiers assermentés, car les agents de surveillance ne sont pas habilités à agir et à prendre des responsabilités. Ces personnes sont un peu comme des caisses enregistreuses. Elles ne font qu’observer et signaler des incidents. C’est tout. Elles ne prennent pas de décisions. Chaque geste est enregistré, chaque manipulation est répertoriée. L’accès au local de Visupol est strictement limité. Il y a une transparence totale.

Ces agents de surveillance sont quand même en contact avec des données sensibles et personnelles et ont la possibilité technique de voir beaucoup de détails.

Elles voient les mêmes scènes que tout autre personne qui se trouve dans les alentours. Je le répète : elles ne font que constater, des policiers s’occupent du reste. D’ailleurs, toutes ces procédures ont été validées par la Commission nationale pour la protection des données. J’ai pu constater sur place que tout se passait comme prévu. D’abord, je peux vous assurer que la criminalité a légèrement diminué. Ensuite, elle ne s’est pas déplacée en-dehors des zones de sécurité. C’est très clair. La stratégie de communication du ministre Frieden a été efficace et il a toujours fait jouer la transparence.

Pourquoi n’avez-vous pas continué ?

Nous le faisons toujours. Il y a des panneaux dans les zones surveillées.

Et pourquoi ne communiquez-vous pas les résultats aux citoyens ?

Je m’en tiens au règlement grand-ducal qui prévoit les deux avis obligatoires de la police et du parquet. Celui du comité de prévention communal est facultatif.

Il a quand même été prévu par le règlement grand-ducal en 2007 et il a disparu dans le règlement ministériel de novembre 2009. Est-ce que cela signifie qu’il n’aura plus son mot à dire ?

Tout ce que je peux dire, c’est que nous avons demandé deux fois à la Ville de Luxembourg de nous le communiquer et nous n’avons toujours rien reçu. J’ai la conscience tranquille. Ne vous faites pas de soucis. La vidéosurveillance est gérée selon les règles de l’art et n’est pas maniée de manière aussi stricte que vous le craignez. Il est par exemple prévu de garder les images enregistrées pendant deux mois, mais nous ne le faisons pas, faute de capacités de stockage. Pas besoin non plus d’être trop pointilleux en matière d’assermentation du personnel. Vu la manière dont Visupol est géré, cela ne fait pas de différence. Je puis affirmer avoir respecté la loi.

Rien ne vous aurait empêché de donner des chiffres et d’informer les gens avant de prolonger une telle mesure.

Nous devons encore mettre les chiffres dans leur contexte global et en mars, vous en connaîtrez tous les détails.

Il faut donc en déduire que vous ne disposez pas encore d’une évaluation digne de ce nom.

Si, mais il faut mettre les chiffres dans leur contexte. Je pense que les gens ont tendance à exagérer l’étendue de la vidéosurveillance. Nous disposons de chiffres concernant les infractions, combien il y en a eu, avant et après l’installation des caméras. Il faut donc interpréter correctement ces chiffres, sinon nous risquons d’en tirer les fausses conclusions.

Des conclusions n’ont-elles pas été tirées avec la prolongation du projet ?

Nous étions d’accord qu’il fallait poursuivre la surveillance caméra. Mais c’est toujours comme ça lorsqu’on lance quelque chose de nouveau : les statistiques peuvent être aussi bonnes et aussi neutres qu’on le souhaite, rien ne vaut l’étendue dans le temps. Avec l’augmentation de la durée de surveillance, l’objectivité des chiffres s’améliore.

Pourquoi avoir attendu la polémique avant d’annoncer un débat à la Chambre des députés ?

Le législateur a prévu une évaluation après deux ans. Je peux vous montrer l’avis favorable du procureur, qui n’est pourtant pas connu pour son laisser-faire. Je le répète : je n’ai pas du tout mauvaise conscience d’avoir autorisé la prolongation. C’est une bonne approche, la situation s’est améliorée, surtout au niveau des drogues. La vidéosurveillance n’est qu’un aspect de toute une stratégie qui englobe des patrouilles préventives, répressives tout comme elle peut être un moyen de preuve efficace pour les juges. Sans trucages. J’ai vu des scènes affreuses où toute une bande a rossé un gars pendant la Schueberfouer. Ces malfaiteurs doivent être punis ! C’est mon intime conviction. Personnellement, j’ai un fort sentiment de justice qui influence tous mes actes. Et d’ailleurs, une grande majorité des gens sont d’accord avec les caméras.

Est-ce que vous comptez étendre la surveillance aux territoires d’Esch et d’Ettelbruck ?

Je pense que c’est nécessaire, la situation y est parfois intenable et intolérable. Le procureur d’État a été du même avis.

Si la vidéosurveillance était un flop, seriez-vous prêt à l’admettre ?

Je serais capable de l’admettre, oui. Mais ce n’en est pas un. De toute manière, le Luxembourg est un microcosme. Toutes les informations circulent que vous le vouliez ou non. Il n’y a pas de secret. C’est pourquoi il faut être cohérent et agir en conséquence.

Pour moi, l’humanisme garde toute sa valeur. Il ne s’agit pas de criminaliser tout le monde, mais il faut se donner les moyens pour prendre les malfrats par les oreilles. Nous n’avons pas d’autre choix. C’est pareil avec les scanners corporels. Il s’agit de trouver un bon compromis et le meilleur des compromis est toujours celui qui ne plaît à personne.

Les discussions autour des scanners corporels dans les aéroports sont à l’ordre du jour de la réunion informelle des ministres de l’Intérieur des pays de l’UE1. Quelle est votre position ?

Pour moi, une stratégie n’a de sens que si tous les pays font la même chose. C’est l’histoire du maillon faible : c’est lui qui détermine les conditions du système. Mais là-dessus, les points de vue sont divergents. L’Angleterre et les Pays Bas sont avant-gardistes, la France a une approche plus sélective et souhaite ne soumettre que les passagers des vols en destination des États-Unis à ces contrôles.

Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?

Il faut trouver un équilibre entre le respect de la vie privée et le droit de voyager en sécurité. C’est comme avec Visupol : ce qui est pour les uns une atteinte à la vie privée, est pour les autres insuffisant pour garantir leur sécurité.

Il n’est donc pas exclu que des scanners soient installés au Findel.

La décision est de la compétence du ministre des Transports, mais pourquoi pas en prévoir pour les voyageurs qui partent plus loin, sur d’autres continents ? Ou bien on peut aussi leur laisser le choix : le scanner ou la fouille. C’est une question de sécurité interne dans toute l’Union européenne. Nous en faisons partie et il faut se mettre à niveau pour garantir cette sécurité interne.

En Arabie Saoudite, une personne a tenté d’assassiner un prince cet été. L’agresseur avait la bombe dans le ventre et l’a activée par GSM. Aucun scanner n’aurait pu détecter ces explosifs. Comment est-il possible d’atteindre une sécurité à cent pour cent ?

Il est clair que cet objectif ne peut être atteint, mais il faut essayer de s’en rapprocher. Tout en sachant que l’imagination ne connaît pas de limites. Il faut veiller à ce que les instruments dont nous disposons fonctionnent de façon optimale, ce qui n’était manifestement pas le cas aux États-Unis, le mois dernier. C’est pour cette raison que l’Union européenne tente d’améliorer l’échange d’informations entre toutes ses agences en charge de la sécurité.

L’aéroport de Tel Aviv est le plus sécurisé au monde. Là, les autorités préfèrent investir dans la formation d’agents de sécurité hautement spécialisés, plutôt que de mettre de l’argent dans des machines. Pourquoi cette course à l’équipement sécuritaire ?

C’est comme toujours en politique : chaque situation extrême engendre un certain activisme. Le scanner ne peut être qu’un seul élément de toute une stratégie. Il faut se donner les moyens d’intégrer aussi une approche nuancée par des contrôleurs professionnels. Je le répète : il faut faire le maximum pour ne pas rendre la tâche trop facile aux personnes malveillantes.

1 Au moment de l’interview, la réunion de Tolède du 21 et 22 janvier n’avait pas encore commencé.
anne heniqui
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