Vidéosurveillance par la police

« Un amas de statistiques »

d'Lëtzebuerger Land du 17.12.2009

Les détracteurs de la politique sécuritaire de l’ancien ministre de la Justice, Luc Frieden (CSV), sont sur le point de déplorer son départ après avoir découvert le « pragmatisme » de son successeur aux commandes de la Police, Jean-Marie Halsdorf (CSV), ministre de l’Intérieur et à la Grande Région. Il y a un mois, il a émis en catimini un règlement ministériel qui prolonge la vidéosurveillance des forces de l’ordre (Visupol) dans les trois zones existantes – quartier de la Gare, centre Aldringen et Limpertsberg, aux alentours du Glacis. Une nouvelle zone y a été ajoutée : la rue du Stade, la route d’Arlon et l’enceinte du stade Josy Barthel. Cependant, la vidéosurveillance n’y est pas constante, les caméras ne sont allumées que pendant les matchs « d’une certaine envergure ». La détermination de cette « envergure » n’est pas encore connue, toujours est-il qu’il doit s’agir de matchs qui attirent plusieurs milliers de spectateurs – ce qui n’est pas souvent le cas.

La décision du ministre de prolonger cette surveillance dans les trois zones existantes n’est pas conforme aux dispositions légales autorisant la création et l’exploitation par la Police d’un tel système de caméras. Car le ministre n’est autorisé de les renouveler annuellement que « suite à une évaluation de l’utilité et de la nécessité de la vidéosurveillance de chaque zone de sécurité sur base de l’avis du directeur général de la police et du procureur d’État territorialement compétent, le comité de prévention communal ou intercommunal territorialement compétent ayant été demandé en son avis »1. Or, ce dernier n’apparaît plus dans le règlement ministériel du 10 novembre dernier, alors qu’en 2007, lors du lancement du projet-pilote, ce comité2 avait encore été de la partie. À l’époque, il avait donné son feu vert au démarrage du projet dans la capitale, ce qui avait d’ailleurs terni l’image des libéraux et des verts qui se sont toujours posés en défenseurs des libertés fondamentales.

La décision de prolonger la vidéosurveillance policière jusque fin 2010 a donc été prise sans l’approbation du comité de prévention de la Ville de Luxembourg. Selon l’échevin vert François Bausch, ce comité n’aurait pas été d’accord de jouer les prolongations sous les conditions qui lui ont été présentées par les autorités. Celles-ci se sont limitées à présenter un amas de statistiques que ses membres n’ont pas considéré comme étant une « évaluation de l’utilité et de la nécessité de la vidéosurveillance ». Le comité a plutôt exigé qu’on lui présente un benchmarking, une analyse comparative de la situation avant et après l’installation des caméras pour définir les changements éventuels de comportement de la population, pour mesurer leur sentiment d’insécurité et voir les évolutions de la délinquance dans ces zones et dans les alentours. « C’est la raison pour laquelle il faut charger des experts externes de cette évaluation, des criminologues ou des chercheurs de l’université par exemple, » précise François Bausch qui met en garde contre « un faux sentiment de sécurité » causé par la présence des caméras. Car selon lui, il est clair que la vidéosurveillance n’est pas un outil de dissuasion ni de prévention, ce qui a pourtant été un des arguments-clé lors de son lancement en 2007. « Les chiffres sont de manière générale relativement stables, a indiqué Andrée Colas, la conseillère du ministre en matière de sécurité publique dans une interview au Quotidien le 28 novembre dernier. Certaines infractions sont en recul, d’autres en augmentation. Mais globalement, la criminalité reste constante. » Et de préciser que « la vidéosurveillance constitue un élément parmi d’autres. »

Pourquoi ne pas jouer cartes sur table et publier cette évaluation qui a, selon la conseillère du ministre, bien été réalisée cette année ? « Tout simplement parce que cela n’est pas prévu par le législateur. » L’argument est tranchant. On refuse de communiquer, alors que l’ancien ministre de la Police, Luc Frieden, avait toujours préféré rendre des comptes, ayant sans doute compris qu’il s’agissait là d’une matière hautement sensible et que le refus de communiquer s’apparenterait à une pure provocation à l’adresse des citoyens dont une majorité s’était laissée persuader de l’utilité de se faire filmer pendant deux ans. Et le fait que le comité de prévention communal – où ils sont représentés par des élus locaux – ait été écarté de la décision, laisse un arrière-goût amer.

Or, six mois après l’installation de Visupol, l’ancien ministre de la Justice avait précisé dans une réponse à une question de la députée socialiste Claudia Dall’Agnol que les faits constatés ou élucidés concernaient avant tout des affaires de drogue (neuf affaires de trafic et une mort par overdose), neuf coups et blessures volontaires, neuf contraventions au règlement de police de la Ville, huit vols, deux faits de vandalisme, deux délits de fuite, un délit sexuel, quatre arrestations d’au­teurs pour infractions diverses comme des troubles à l’ordre public et des faits commis en dehors de la zone surveillée. Finalement, la police a porté secours à six personnes en détresse. À interpréter les propos d’Andrée Colas, un an et demi plus tard, les statistiques semestrielles ont dû rester plus ou moins stables. Ce qui n’est pas rien, mais la question de la proportionnalité des moyens techniques (plus de 70 caméras ont été installées et 25 personnes sont occupées à surveiller les écrans) reste posée. Le lancement de Visupol en novembre 2007 (avec une cinquantaine de caméras) avait coûté 1,5 million d’euros. Dans leur rapport d’activités 2008, les responsables de la police grand-ducale avaient d’ailleurs promis noir sur blanc que « les statistiques exactes du service Visupol seront publiées dans l’évaluation du projet-pilote au mois de novembre 2009 ».

Pour en revenir au personnel occupé à observer les passants, Luc Frieden avait encore assuré qu’ils avaient tous été formés sur des sujets concernant notamment la déontologie policière, le secret professionnel, les notions de droit pénal, la législation sur la protection des données. Or, selon les informations du Land, ce ne sont pas des policiers assermentés, mais d’anciens employés de la WSA, anciennement occupés sur le site américain de maintenance de matériel militaire à Bettembourg-Dudelange. Cette information est confirmée par François Bausch, qui s’offusque du manque de cohérence du discours officiel : « Lorsque nous voulons accorder plus de pouvoirs aux agents municipaux, on nous répond qu’il faut éviter de créer une deuxième police, alors qu’ici, on n’hésite pas à permettre à de simples employés de se charger de données beaucoup plus sensibles. » Plus de présence sur le terrain, un renforcement des commissariats de proximité seraient des moyens beaucoup plus utiles pour prévenir et combattre la criminalité.

Les caméras servent surtout à intervenir dans des cas de flagrant délit ou à retracer l’identité d’un voleur ou d’une personne qui a causé des actes de vandalisme par exemple. Deux exemples concrets : la personne nue qui s’était promenée masquée dans le parc municipal, en novembre dernier, n’a pas pu être identifiée par Visupol, mais le camion qui avait endommagé en marche arrière un Veloh et un panneau dans les alentours de la Kinnekswiss le 21 septembre a pu l’être.

Dans une question parlementaire adressée à Jean-Marie Halsdorf, le député de la gauche, André Hoffmann voudrait savoir si le ministre n’estimait pas que l’intérêt public dans ce domaine sensible qui touche à la protection des données et de la vie privée justifiait une publication et un débat public autour des résultats de ce bilan exhaustif ainsi que des conclusions à en tirer. Et d’insinuer plus loin qu’entre le 28 septembre et le 13 novembre 2009, les caméras avaient fonctionné de manière illégale puisqu’il y avait un vide entre ces deux dates. L’ancien règlement avait expiré et le nouveau n’était pas encore entré en vigueur. Ce qui signifierait que pendant ces deux semaines, la police se serait servie de données illégales. Et qui expliquerait la façon peu élégante du ministre de bâcler un dossier aussi sensible et de se défiler des engagements du gouvernement de faire régner la transparence. Alors qu’il est envisagé d’étendre le système aux villes d’Esch/Alzette et d’Ettelbruck.

1Article 10 du règlement grand-ducal du 1er août 2007
anne heniqui
© 2024 d’Lëtzebuerger Land