Après tout, les Anglais ont toujours été des bons et commodes alliés des banquiers luxembourgeois, qui ont souvent pu profiter de la résistance britannique à ne pas pousser trop loin l’intégration européenne. Leur choix de ne pas faire partie de l’Union de stabilité budgétaire, décidée à 26, devrait accélérer l’adoption de dossiers sensibles pour la place financière du Luxembourg et qui rencontraient l’opposition de la Grande-Bretagne.
Invité à s’exprimer jeudi 8 décembre devant les représentants du Private banking group peu avant le sommet qui allait suivre à Bruxelles, le ministre des Finances Luc Frieden (CSV) avait déjà averti les opérateurs du secteur financier qu’ils pourraient avoir la « vie plus difficile » du fait de la partition de l’Union européenne en deux camps, les 17 de la zone euro et les 27. Le fait que Londres s’exclut des nouvelles règles budgétaires, aggravant ainsi son insularité, et que la Suisse de son côté joue de plus en plus solo, pourrait en effet peser sur l’attractivité de la place financière du Luxembourg.
Personne encore n’a mesuré l’ampleur du problème, les réflexions des organisations professionnelles restant au stade embryonnaire. « Nous devons rapidement y réfléchir », souligne toutefois un opérateur du secteur financier. Ses inquiétudes se concentrent sur deux points principaux : d’abord la fiscalité de l’épargne, ensuite la taxation sur les transactions financières. Faire cette taxe sans les Anglais serait « grave », d’autant que les Français et les Allemands sont en embuscade pour la faire passer dès 2013 et que le couple travaille main dans la main, selon les déclarations du ministre français des Finances François Baroin mercredi, à un « projet complémentaire » de taxation qui viendrait en surimpression de la proposition qu’a faite la Commission européenne (d’Land du 9 décembre). Le Premier ministre Jean-Claude Juncker a redit mercredi à la Chambre des députés son approbation au projet de taxation sur les transactions financières. Invité la semaine dernière par les Verts au Parlement européen, il avait également reconnu que sa position était à l’opposé de celle soutenue par son ministre des Finances du même parti que lui.
Si la taxe, à laquelle les Britanniques sont farouchement opposés, paraît désormais inéluctable, Luc Frieden devra aller au charbon une nouvelle fois face à ses partenaires pour défendre un niveau de taux moins élevé que ce que la Commission européenne a prévu (0,1 pour cent pour les actions et obligations, 0,01 pour les produits dérivés). Le ministre a reçu un papier de réflexion d’organisations du secteur financier laissant entendre que la Commission s’était trompée dans ses calculs et qu’elle devait revoir ses projections de recettes et si possible ramener le niveau de taxation à un taux indolore de 0,01 pour cent. Ce qui devrait être psychologiquement plus digeste à faire passer auprès des investisseurs pour les convaincre de ne pas délocaliser leurs opérations financières en dehors de l’UE (à 26 ?).
La réforme de la fiscalité de l’épargne est l’autre gros volet où la partie en solo des Anglais pourrait constituer un risque pour les autres places financières, à commencer par celle du Luxembourg. Là aussi, Luc Frieden devra dépenser de l’huile de coude, notamment pour court-circuiter la réforme de la Commission européenne (qui veut entre autres étendre le champ d’application de la directive aux produits d’assurance et généraliser l’échange automatique d’informations fiscales entre les États). Pour ce faire, le ministre luxembourgeois doit jouer la montre et braver les foudres de Bruxelles pour négocier des « amnisties » fiscales avec un de ses partenaires de l’UE. Et pourquoi pas l’Allemagne, offrant ainsi une sortie honorable à ses nombreux ressortissants qui ont des comptes non-déclarés dans les banques luxembourgeoises. Luc Frieden a déjà été tester le terrain en Suisse et peut-être aussi à Londres pour recueillir les réactions de ses partenaires en cas de conclusion d’un accord fiscal bilatéral de type Rubik. La Commission européenne, qui cherche actuellement à être associée aux négociations bilatérales de ses États membres autour de ce genre d’accords bilatéraux, se fait donc beaucoup de soucis sur le sort de « son » projet de réforme de la directive sur la fiscalité de l’épargne. D’autant que la crise de l’euro a relativisé l’urgence d’un accord au niveau de l’UE.
Les banquiers luxembourgeois ont encore un autre sujet d’inquiétude et les responsables politiques ont également des cheveux blancs à se faire : la Commission souhaite harmoniser l’assiette consolidée pour l’impôt sur les sociétés. Sans entrer dans les détails techniques, cette réforme devrait remettre en cause les rentrées fiscales en provenance du secteur financier du fait de la structure particulière de la place luxembourgeoise où de nombreuses transactions sont réalisées hors bilan. Le Luxembourg aurait beaucoup à perdre dans cette réforme, lorsqu’on sait que le secteur financier contribue dans son ensemble à 66 pour cent dans la réalisation de l’impôt sur le revenu des collectivités.