Tel est le thème ambitieux que s’était fixé le 21e Forum Assurance Vie de la revue belge Risk, qui s’est tenu le 27 octobre 2011 à Bruxelles.
D’emblée, un constat s’est imposé : voici des lustres, sinon des décennies que tous les observateurs prédisent des difficultés pour maintenir à flot les régimes de retraite par répartition tels qu’ils ont été mis en place dans la plupart des pays européens après la fin de la seconde guerre mondiale.
L’essoufflement programmé de ces régimes résulte de la conjonction de deux facteurs : une population vieillissante et bien soignée dont la durée de vie ne cesse de s’allonger ; et un (trop) faible taux de natalité. Comme l’a souligné la Commission européenne dans son Livre vert sur les retraites de juillet 2010, il en résulte un rapport de plus en plus défavorable entre le nombre de personnes en âge de travailler, c’est-à-dire de cotisants, et le nombre d’ayants droit à une pension de retraite. Ce qui remet en cause la viabilité des régimes de retraite de base (dits du « premier pilier ») applicables à l’ensemble de la population.
La crise financière de 2008, suivie en 2011 de la crise des dettes souveraines n’ont fait qu’exacerber le problème. Lequel, faute d’avoir été pris à temps, doit être désormais traité dans l’urgence.
Pourquoi avoir tant tardé ? La réponse est apportée par un politicien cynique, mais lucide : « Les retraites constituent un problème à long terme qui réclame des mesures impopulaires. Or à long terme nous sommes tous morts ; à court terme rééligibles ». Aussi bien est-ce dans un contexte tendu, marqué par la nécessité de rétablir rapidement, sous la pression des marchés, l’équilibre financier des régimes de retraite que le problème doit désormais être réglé.
Il entre dans le métier des assureurs d’y apporter une contribution en proposant des solutions de retraite complémentaires, que ce soit à titre collectif au niveau des entreprises (« second pilier »), ou au niveau individuel (« troisième pilier »). Mais, tout comme les institutions de retraite en charge du premier pilier, les assureurs sont confrontés dans cette tâche à de multiples défis.
Au premier rang de ces défis figure la situation des marchés financiers, dont les assureurs-vie et les caisses de retraite sont des acteurs importants. Elle est plus que jamais préoccupante et personne, parmi les collaborateurs de la revue Risk, n’était plus qualifié pour en parler que Jacques Drossaert, directeur général fondateur de la société d’assurance vie PanEuroLife après avoir été directeur général de Merryl Lynch (France).
Il a rappelé que depuis le début du 3e millénaire, les places financières avaient connu trois crises majeures ayant entraîné des chutes de cours qui ramènent aujourd’hui les indices boursiers à des niveaux très inférieurs à ce qu’ils étaient au début de l’année 2000. Les entreprises – et singulièrement celles relevant du secteur financier – y sont désormais valorisées à des niveaux tellement bas qu’ils constituent un défi à la raison. Ainsi la valorisation de l’ensemble des sociétés qui composent l’indice CAC 40 est-elle à peine supérieure à l’actif net comptable de ces sociétés ! Ce qui montre à quel point la bourse a perdu ses repères. Elle est en réalité perturbée par les risques liés à l’environnement : surendettement de nombreux pays dont certains pourraient faire défaut ; et crainte d’une récession économique. Les tâches à accomplir pour conjurer ces risques constituent autant de défis : soulager la crise de la dette publique au sein de la zone euro et ramener à l’équilibre budgétaire les pays qui la composent ; renforcer la solidité financière des compagnies d’assurance (directive Solvency II) et des banques (règles de Bâle III). Concernant les banques, l’orateur juge en outre souhaitable le retour à une séparation des activités de détail (dépôts et crédits) et des activités d’investissement (prises de position sur les marchés) telle que l’avait édictée le Glass Steagall Act du Président Roosevelt. Au plan européen, enfin, il importe de doter la zone euro d’une gouvernance communautaire en matière budgétaire et fiscale, ce qui promet d’être difficile eu égard aux transferts de souveraineté impliqués par une telle démarche. Mais c’est le prix à payer si l’on veut conserver la monnaie unique. Laquelle, de surcroît, apparaît actuellement surévaluée. Alors que l’euro a été introduit avec une parité de 1,17 par rapport à la devise américaine, il est actuellement encore proche de 1,40. Ce qui paralyse la croissance et les exportations de la plupart des pays de la zone euro.
Au terme de son exposé l’orateur a, sans surprise, estimé que le rétablissement de la confiance prendra beaucoup de temps et qu’il faudra attendre plusieurs années avant de voir la bourse reprendre une phase durable de hausse.
Parmi les réformes évoquées par Jacques Drossaert, la directive Solvency II a été commentée par un actuaire parfaitement au fait du sujet, Frédéric Chandelle. Il a dans son exposé soulevé de graves interrogations sur la pertinence des réformes envisagées, lesquelles devraient s’appliquer aux assureurs au 1er janvier 2013. Les nouvelles règles de solvabilité des compagnies d’assurance sont en effet, dans leur état actuel, d’une incroyable complexité qui va entraîner d’importants surcoûts administratifs sans améliorer pour autant l’estimation des risques. Les conséquences qu’on peut en attendre sont, d’après Frédéric Chandelle, funestes. La surestimation des capitaux réglementaires exigés va provoquer une hausse du coût du financement des entreprises d’assurance. Les mutuelles, qui n’ont pas accès au marché financier, s’en trouveront pénalisées. Et, de manière plus générale, tous les acteurs de taille moyenne risquent d’être écartés du marché par les exigences de la nouvelle directive, laquelle va donc entraîner un phénomène de concentration de nature à aggraver le risque systémique. De surcroît, elle va provoquer une réallocation des investissements des assureurs en faveur des obligations d’État sans risque et au détriment des actions et obligations d’entreprises, pesant ainsi négativement sur le financement de l’économie et sur l’emploi. Enfin l’impact de la directive devrait, selon l’orateur, être négatif pour les assurés qui vont subir des hausses tarifaires ou une réduction des garanties et couvertures. Au terme d’un aussi sombre tableau, on ne peut que partager le souhait de Frédéric Chandelle lorsqu’il appelle de ses vœux, pendant qu’il en est encore temps, un sérieux recadrage de la directive Solvency II.
Ce sont les régimes de retraite complémentaire individuels, dits du troisième pilier, qui ont retenu particulièrement l’attention. Dans une intervention intitulée : La Branche 23, L’avenir de l’assurance-vie, Thierry Mooij, directeur exécutif de la compagnie Patronale Life, a chanté les louanges de l’assurance vie en unités de compte (branche 23 en Belgique), dont il est allé jusqu’à se demander si elle ne constituait pas la panacée pour l’épargnant à la recherche d’un complément de retraite. Il est vrai que les perspectives ouvertes par les contrats en unités monétaires à rendement garanti (branche 21) ne sont guère exaltantes compte tenu de la crise des dettes souveraines qui servent de support financier à ce type de produit. Ces actifs sont, soit exposés à un risque de défaut, soit affligés d’une rentabilité extrêmement faible (moins de deux pour cent pour le Bund allemand à 10 ans). Dans un tel contexte, les contrats en unités de compte constituent une alternative attractive : ils offrent désormais une grande variété de supports d’investissement ; ils se déclinent en formules individualisées (contrats à fonds dédiés) ; et ils peuvent être assortis d’une garantie de capital limitant le risque boursier. Mais malgré toutes leurs qualités, ces produits constituent-ils un authentique complément de retraite ?
Dans mon exposé : Les assureurs privés sont-ils en mesure de relayer les régimes de retraite étatiques défaillants ?, j’ai défini le véritable produit de retraite comme étant celui qui procure des revenus réguliers à la cessation d’activité et qui se caractérise par deux traits : l’aliénation du capital accumulé, indisponible pour son titulaire tant que le départ à la retraite n’est pas survenu ; et un dénouement sous forme de rente viagère. Des exemples de ce type de produits peuvent être trouvés au Luxembourg (régime de prévoyance vieillesse de l’article 111bis LIR) et en France (contrat de retraite Madelin destiné aux professionnels indépendant ; plan d’épargne populaire ouvert à tous). Il s’agit de produits à cotisations définies reposant sur la technique de la capitalisation viagère et se dénouant par le versement, à l’âge de la retraite, d’une rente viagère dont le montant est déterminé en fonction des cotisations effectivement versées, des produits financiers et des tables de mortalité utilisées. L’assureur qui émet ces produits est exposé à deux types de risques. Le premier est un risque viager, d’autant plus périlleux à estimer que l’engagement contracté se situe dans une perspective très éloignée et que l’espérance de vie ne cesse de croître. Le second est un risque de placement, rendu non moins redoutable par une conjoncture économique et boursière exécrable. Aussi bien les assureurs ont-ils tendance à se montrer extrêmement (excessivement ?) prudents. Ce qui les conduit à garantir des niveaux de rente viagère jugés décevants en regard du montant des cotisations versées. Il en résulte que nombre de personnes recherchent des revenus de retraite complémentaires dans des formules autres que l’assurance pension. Et par exemple en recourant à la vente immobilière en viager, une institution fort ancienne qui connaît actuellement en France un regain d’intérêt. Bref, tout indique que pour préparer sa retraite il faudra dans l’avenir faire flèche de tous bois et diversifier au maximum ses sources de revenus.