« Liebe bricht dein Herz inzwei, kann sein…es geht dir gut dabei. »
Dans un décor de cabaret ou de bar clandestin (ceux qui ont déjà mis les pieds chez Mulles, le verront bien), un homme et une femme subissent l’un de ces accidents qu’on appelle parfois coup de foudre…ou one night stand. Quoi qu’il en soit, rien n’est prévu et tout se passe selon la résignation (dans la jouissance) de l’un comme de l’autre des deux caractères. Pour le pitch de Eine Sommernacht, c’est très simple, banal presque : une femme se rend dans un bar à l’attente d’un rendez-vous amoureux, elle se prend un vent, l’amant marié se décommande. Dans le même bar, Bob passe sont temps en picolant, il attend les clés de la nouvelle voiture à cambrioler. Forcément ils tombent l’un sur l’autre, se draguent et passent du temps ensemble, ce qui va suivre seront 48 heures des plus farfelues et des plus joyeuses dans la vie de ces deux personnages – et celle de leur public.
En avant-scène, une installation d’instruments, deux pianos, un orgue, des flutes, guitare électrique de tas d’instruments fabriqués, analogiques (on se croirait un peu sur un plateau des The Tiger Lilllies) et un miroir qui reflète les deux musiciens (Matthias Trippner et Ralph Hufenus) qui accompagnent Martin Engler, qui, lui, campe un bon vieux Bob (à peine la quarantaine passée) – un vrai petit criminel bien roots de ces nuits à Edinburgh, où rien n’aboutit… et puis Josiane Pfeiffer en Helena, paumée, déjà un peu passée, sentant toutefois la jeunesse de l’intérieur, incroyablement sauvage. Deux comédiens magistraux qui recèlent d’une multitude de trucs pour happer l’attention d’un public eschois conquis. Loin des artifices, ces trucs, ils les portent en eux. Entre chansons décadentes et descriptions subjectives-objectives de scène de sexe, des scènes hilarantes de bondage, on prend littéralement son pied. Oh que non, on n’oubliera pas de si tôt le dialogue entre Bob et son compagnon le plus proche, son sexe, qui lui fait remarquer qu’il est temps, maintenant, d’aimer.
Eine Sommernacht de David Craig (né en 1970) et Gordon Mc Intyre (né en 1969) est une pièce qui fait valser au rythme de tous ces ravissements du destin, ces coups, qui laissent cette place tellement indispensable aux changements toujours possibles. De la poésie crue, une pièce mise en scène par Martin Engler, mais avant tout interprétée par une troupe, une famille de comédiens, des gens qui n’ont plus besoin de plaire, qui inventent leurs personnages d’après leur propre sensibilité, leur expérience, leur imaginaire. On passe un moment extrêmement drôle et triste à la fois, une pièce sappy (sad and happy), tout comme sont les temps, tout comme sont les gens lorsqu’ils acceptent de se déshabiller, de se retrouver eux-mêmes.
Dans un texte, parfaitement traduit vers l’allemand, les idées et les images de la tourmente de chacun des deux destins (et du destin qui s’avère peu à peu commun) fusent sur les joues échauffées du public comme autant des baffes tranchantes et fraîches qui éveillent à une forme d’authenticité. Aller au théâtre pour saisir la réalité – surtout celle des émotions.
Dans une interprétation très brute, directe, sans aucune entrave, on sent une sorte d’identité cosmopolite s’en dégager, l’esprit écossais des auteurs qui rencontre l’esprit germanique des comédiens, mêlés à la pluie dense d’Edinburgh ou de Luxembourg. On peut comparer ce travail à celui d’un Grzegorz Jarzyna autour de l’écriture d’une Dorota Maslowska (jeune auteure polonaise à découvrir) avec la troupe de comédiens de Krzysztof Warlikowski. Oui, il y a là un esprit familial, ces familles qu’on a vraiment choisies par passion – ils ne s’amuseraient pas autant et nous ne le sentirions pas de cette façon.
Sommernacht est un moment exquis, peu importe l’histoire des deux personnages, on capte toute l’absurdité de ce que sont les tranches de vie. On a presque envie d’ajouter autant de distance possible, face à soi-même. Arrêter de calculer, arrêter de prévoir à la lettre, arrêter de vouloir plaire à tout prix.