Le projet de directive sur les concessions heurte certains lobbies et politiques, surtout en Allemagne et en Autriche. Dès l’annonce du vote positif en commission parlementaire du marché intérieur et des consommateurs, le 24 janvier dernier, (avec 28 voix pour, dix contre et deux abstentions) sur ce nouveau texte qui a pour vocation d’encadrer les concessions de travaux et celles de services, ces dernières ne faisant jusqu’alors l’objet d’aucun texte communautaire. L’objectif affiché par la Commission européenne, lors de sa proposition publiée le 20 décembre 2011, était d’harmoniser des pratiques disparates au sein de l’UE sur ces contrats spécifiques de long terme par lesquels un pouvoir adjudicateur (État, collectivité locale ou entité investie d’une mission de service public) confie à un opérateur privé, la gestion d’un service public généralement lié aux infrastructures (eau, transport, routes) ou à la fourniture des services d’intérêt économique général (énergie, distribution et traitement d’eau, déchets, etc.). Le principe des concessions est que l’entité privée gestionnaire assume le risque opérationnel et les investissements de long terme qui caractérisent ces services et se rémunère par l’usager.
Certes l’intention de la Commission est de favoriser le recours à ce type de partenariats entre le public et le privé, estimant qu’en période de restrictions budgétaires et dans des domaines qui requièrent une technicité particulière et/ou des investissements conséquents, il est plus avantageux de déléguer la gestion d’un service public à une société privée.
De là à l’accuser de tentative de privatisation, il n’y a qu’un pas que certains franchissent un peu vite. Surtout quand il est question d’un service de l’eau, un bien public inaliénable qui ne doit pas être considéré comme une marchandise quelconque. Cette question sensible fit par ailleurs l’objet d’une des premières initiatives citoyennes européennes (ICE) en avril 2011, « l’eau est un droit humain », qui réclame une initiative législative européenne tenant compte des enjeux spécifiques qu’englobe la question de l’eau, qu’ils soient écologiques, économiques ou sociétaux. Cette initiative citoyenne instaurée par le Traité de Lisbonne permet aux Européens d’exercer une forme de démocratie directe et d’interpeller l’UE sur des sujets divers. Elle a récolté sur son site www.right2water.eu/fr plus de 750 000 signatures sur le million qu’elle doit atteindre d’ici septembre pour être validée.
En Allemagne et en Autriche, plusieurs politiques et associations refusent cette directive sur les concessions qui tend, selon eux, à favoriser la privatisation l’eau. La députée allemande verte Heide Rühle, rapporteure pour son groupe sur ce texte, a tenté de faire rejeter ce texte par le Parlement européen et, au moins d’exclure le secteur de l’eau du champ de la directive. Sans succès.
Or, on ne peut à proprement parler d’une privatisation, puisque l’objet du contrat passé n’est pas une vente mais la réalisation de travaux ou la gestion d’un service et que l’autorité adjudicatrice d’une concession reste propriétaire des installations et continue d’exercer un contrôle sur la société privée à qui elle en a confié temporairement la gestion. L’amalgame a été fait au regard des mesures instaurées par la Troika (UE, FMI et Banque européenne d’investissement) dans certains pays sous régime d’aide financière (Grèce et Portugal entre autres) et qui viseraient à « imposer » la délégation de cette gestion de l’eau au privé en vue de ramener leur déficit public au dessous des trois pour cent du PIB. Un débat exacerbé en Allemagne par la perspective des élections prochaines et par le fait que certaines municipalités ont repris le contrôle de la fourniture de l’eau qui avait été confié un temps au secteur privé, car la qualité n’était pas bonne et les prix avaient augmenté. Comme à Berlin où un référendum en 2011 a décidé de mettre fin au contrat avec l’opérateur privé Veolia pour que le service redevienne municipal. C’est un phénomène constaté ailleurs dans l’ensemble de l’UE. Par exemple, la ville de Paris a, en 2008, décidé de « remunicipaliser » le service de l’eau et mis un terme à la concession avec Veolia et Suez. Le fait même que l’on puisse faire marche arrière témoigne qu’il ne s’agit pas d’une privatisation et que la gestion déléguée à une entité privée est temporaire.
Et le rapporteur du texte au Parlement européen, Philippe Juvin (PPE, France), dénonce « une campagne de dénigrement ». « En Europe, dit-il, quand vous voulez bloquer une réforme, vous agitez l'épouvantail de la privatisation ».
Il défend au contraire son rapport qui affirme clairement le principe politique de l’autonomie totale des autorités publiques pour choisir le cadre juridique pour l’exercice de leurs missions : rester dans une gestion publique ou déléguer certains pans au privé pour un temps. Le recours aux concessions n’est donc pas imposé, mais il est mieux « balisé » et plus transparent, se défend-il.
Les parlementaires européens ont notablement modifié la proposition de directive de la Commission pour aboutir à un cadre plus léger qui assure une marge de manœuvre aux autorités publiques et endigue abus et discriminations pour ces contrats sur lesquels règne souvent une certaine opacité.
Ils ont souhaité revoir la définition des concessions pour bien les différentier des marchés publics. Et préciser davantage les possibilités de modifications du contrat en cours de vie. La notion de valeur du contrat de concession se trouve explicitée en fonction de son chiffre d’affaires. Les eurodéputés ont, pour éviter des rentes de situations de certains groupes privés, limité la durée des concessions : elle ne doit pas être supérieure à la durée d’amortissement de la concession. Ils ont par ailleurs introduit la prise en compte d’objectifs de performance imposés au concessionnaire et la possibilité pour l’autorité publique de choisir son concessionnaire sur base de critères sociaux et environnementaux.