Les années passent, les problèmes semblent rester les mêmes. Le rapport d'activité 1999 du ministère de la Justice, constitué essentiellement de contributions des juridictions judiciaires, abonde de requêtes pour la plupart déjà formulées par les instances concernées lors des rapports précédents. Tout laisse croire que le rapport d'activité du ministère est devenu la seule occasion pour les différents services d'enfin pouvoir s'exprimer publiquement et de mettre en vitrine une évolution des choses toute autre que positive au sein du monde judiciaire luxembourgeois.
En 1997, le député chrétien-social Lucien Weiler avait dressé un état des lieux de la Justice au Luxembourg qu'il concluait ainsi : « Les structures de notre organisation judiciaire répondent parfaitement à la diversité et à la nature des litiges générés par la société moderne. (...) Le système judiciaire tel que nous le connaissons est solide dans ses fondements. Là où le bât blesse, c'est dans le détail, dans la mise en pratique quotidienne de principes généraux qui, à l'expérience, ont montré leur validité. » Or, lorsque cela coince dans le détail, la machine risque vite de s'enrayer.
Les tribunaux se plaignent ainsi de l'explosion du nombre d'affaires à traiter. A priori, c'est au niveau des chambres civiles et correctionnelles respectivement de la justice de paix que l'administré ressent le plus les « lenteurs » de la justice. Les retards accumulés en la matière vont, d'année en année, croissant. Le procureur d'État du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg, Robert Biever, mentionne ainsi un « stock des affaires [en matière pénale] prêtes pour être fixées à l'audience [qui] prend des allures alarmantes, puisqu'il est passé à 2 705 affaires ».
Par rapport aux 2 543 jugements rendus en matière pénale pendant l'exercice 1998/99, le retard serait d'un peu plus d'une année, mais en réalité, il atteint les deux ans à cause des affaires nouvelles qui doivent être évacuées dans les meilleurs délais. Ce qui amène Biever à la conclusion suivante : « Il en résulte qu'il devient pour le moins de plus en plus difficile d'évacuer les affaires dans le délai raisonnable prévu par la Convention européenne des droits de l'Homme. » Non sans mentionner que ce développement a déjà été mentionné dans les rapports précédents et que lui-même avait adressé au ministère un courrier évoquant des issues possibles - apparemment resté lettre morte.
Avant de parvenir en audience, ces affaires doivent être instruites par le cabinet du juge d'instruction et le Parquet. Au cours de l'année judiciaire de septembre 1998 à septembre 1999, le cabinet d'instruction du Tribunal de Luxembourg a été saisi de 1994 nouvelles affaires, une augmentation de quinze pour cent par rapport à l'exercice précédent voire de 35 pour cent par rapport à l'exercice 1996/97. Les six juges d'instruction sont surchargés d'autant plus que, selon les dires du juge d'instruction directeur Jérôme Wallendorf, « en moyenne, les juges d'instruction passent plus d'un quart de leur temps de travail au service des autorités étrangères ». Aux 1994 affaires nationales s'ajoutent en effet 460 (297 pour 1997/98) commissions rogatoires internationales en matière pénale dont la plupart concernent la place financière. Ces demandes d'entraide judiciaire doivent être traitées prioritairement. À cela s'ajoute que le nombre des dossiers traitant d'infractions à caractère financier, en dehors des commissions rogatoires internationales, a triplé en cinq ans. 67 affaires sont ainsi dénombrées, dont une première : fin 1998, la Bourse de Luxembourg a connu son premier délit d'initié.
Les infractions à caractère financier se distinguent par leur complexité et exigent, dès le départ, plus de moyens et de temps de la part des enquêteurs. « [Le cabinet d'instruction] se trouve complètement surchargé et risquera de ne plus s'en remettre s'il n'y est pas remédié à court terme » note Wallendorf en conclusion de son rapport, non sans avoir fait référence auparavant à ses conclusions du rapport d'activité de l'exercice 1997/98 qui « sont plus actuelles que jamais ». L'engagement de un à deux juges d'instruction supplémentaires, de même qu'une informatisation adéquate du service sont d'une nécessité vitale.
Le nombre croissant des faillites est un autre souci de poids des services judiciaires. « Il est illusoire de croire que deux juges commissaires puissent surveiller le déroulement des 439 faillites prononcées cette année judiciaire, auxquelles s'ajoutent les faillites des années précédentes non encore clôturées » fait remarquer Pierre Gehlen, président du Tribunal d'arrondissement de Luxembourg.
Quant au Parquet économique, sous la houlette de Jean-Paul Frising, il fait état sur six pages de l'envergure qu'ont pris les faillites et les difficultés pour la justice de les traiter. Si Frising ne formule pas de revendications au premier sens du terme, il n'en reste pas moins qu'en énumérant minutieusement les procédés et les difficultés rencontrées, surtout pour déceler les faillites frauduleuses, il fait montre d'une certaine impuissance face à l'envergure du problème. Or, les problèmes qu'entraîne la croissance de faillites sont évoqués depuis plusieurs années, de même que des solutions sont discutées sans qu'il n'y ait de suites.
Faisant abstraction d'autres postules ou rappels - le juge de paix directeur d'Esch-sur-Alzette, Jean-Marie Hengen, revient ainsi sur un engagement formel pris en 1995 par le ministre de la Justice Marc Fischbach concernant la formation des attachés de justice resté sans suite « malgré mes rappels répétés » ; la Cour administrative requiert un effort supplémentaire pour étoffer sa bibliothèque, outil vital pour une juridiction ; etc. - c'est la situation du Service central d'assistance sociale (Scas) et de la prison en général qui aboutit à un véritable SOS.
Le délégué du procureur général d'État en charge des établissements pénitentiaires, Claude Nicolay, ne trempe certes pas sa plume dans le vitriol comme le faisait son prédécesseur Pierre Schmit, mais ses remarques ne sont pas moins tranchantes. La prison de Schrassig est toujours surpeuplée, et tant que les nouveaux bâtiments ne peuvent pas être occupés, la situation perdure. Ces nouveaux bâtiments, et surtout les mesures de sécurité supplémentaires demandées par la représentation du personnel, sont en cause de ce retard. Nicolay ne mentionne pas le fait que l'enjeu de ces mesures de sécurité est entre-temps devenu politique, vu qu'il symbolise à merveille le bras de fer que se livrent le personnel de garde et la direction de l'établissement pénitentiaire - entre autres parce que les gardiens refusent de se soumettre aux contrôles d'accès prévus.
Mais, comme le remarque Nicolay, de la mise en service de ces nouveaux bâtiments dépendent nombre d'autres projets devant améliorer la situation à Schrassig que Schmit appelait de son temps une poudrière. Il mentionne ainsi la création d'emplois dans des ateliers adaptés ou encore la séparation entre les différentes catégories de détenus.
Le Scas, quant à lui, réitère ses doléances quant à un manque de moyens évident pour faire face aux nombreuses tâches qui lui incombent : l'encadrement psychosocial des détenus en prison et de leur famille, le contact avec ceux-ci lorsqu'ils sont libérés, en semi-liberté ou en congé pénal, la supervision des travaux d'intérêt général, la protection de la jeunesse, la médiation, l'aide aux victimes...
Le problème des mineurs en prison prend une large part dans ce rapport et est marqué par une approche socio-politique extrêmement critique. « D'après notre loi il y a obligation de venir en aide à des mineurs, c'est-à-dire de leur fournir tous les moyens nécessaires en vue d'une resocialisation efficace. Or, c'est juste le contraire qui se produit. (...) C'est à partir du moment où la société définit le jeune comme étant un criminel qu'il va vraiment en devenir un. (...) La plupart des jeunes se retrouvent en prison parce que pendant leur enfance, ils n'ont pas reçu une éducation appropriée, et ce n'est certainement pas en les mettant dans un coin de la prison en attendant une meilleure solution qu'on leur vient en aide » remarque Camille Schneider, psychologue et préposée de la section.
51 mineurs ont été emprisonnés au cours de l'année judiciaire 1998/99, dont le plus jeune avait douze ans. Pour les « protéger » des prisonniers adultes, ils sont incarcérés au bloc d'isolation normalement réservé aux prisonniers soumis à une peine disciplinaire. Le Luxembourg s'est déjà fait à maintes reprises fait rappeler à l'ordre en ce qui concerne les mineurs en prison, entre autres par le Conseil de l'Europe, sans que le ministre de la Justice ne réagisse.
Le rapport d'activité du ministère de la Justice peut ainsi être comparé à une réédition annuelle revue et corrigée des doléances des différents services qui, fait rarissime, peuvent par ce biais faire part publiquement des difficultés rencontrées dans l'exercice de leurs tâches. L'inaction du ministère et de la classe politique - gouvernement et Parlement - n'en devient que plus flagrante.