L’avenir du futur brevet européen est suspendu à un compromis entre les représentants des gouvernements sur la question de la division centrale. Une nouvelle fois les discussions ont achoppé lors du Conseil des ministres de la Compétitivité du 5 décembre à Bruxelles. Londres, Munich et Paris étaient candidates. La capitale française a été proposée par le Conseil, ce qui a braqué les autres. Et c’est donc la mine déçue que le ministre polonais de l’Économie, Waldemar Pawlak, qui présidait ce conseil, a reconnu devant les journalistes qu’après dix heures de négociations, « le compromis extrêmement pondéré que nous avons présenté n’a pas été entièrement avalisé ». Et de préciser, dépité : « Pourtant, presque tout avait été résolu ». C’était en effet le dernier volet du paquet à discuter. Et la présidence escomptait le clore avant la fin de son mandat, le 31 décembre. Elle avait même tout planifié pour une commémoration officielle au palais royal de Varsovie, le 22 décembre pour la ratification de l’accord intergouvernemental.
La veille, avait été avalisé l’accord conclu le 2 décembre entre la présidence polonaise et le Parlement européen sur les grandes lignes du futur brevet de l’UE, qui fait l’objet d’une coopération renforcée à 25 États membres seulement, du fait de l’opposition de l’Italie et l’Espagne sur la question des langues. Les deux volets relatifs d’une part, à la mise en place par un règlement du Conseil et du Parlement et d’autre part celui organisant régime linguistique du futur brevet, par règlement du Conseil seul, étaient donc en bonne voie vers un accord en première lecture. Les députés chargés des négociations ont obtenu des avancées en termes de traduction pour les PME, les associations à but non lucratif, les personnes individuelles ou les universités et instituts de recherche publics, notamment un mécanisme de compensation prévu pour les frais de traductions des demandes de brevet faites dans une langue autre que les trois langues officielles de l’Office européen des brevets (anglais, français et allemand). Il prévoyait aussi des garanties juridiques plus avantageuses pour renforcer la clause de bonne foi en cas de litiges ainsi que des niveaux réduits de taxes de renouvellement.
Restait donc à finaliser la question de la future juridiction. La proposition sur la table instaure une juridiction unique en vue d’une jurisprudence harmonisée entre ce régime et celui à venir sur le brevet de l’UE. Cette juridiction aura une compétence exclusive pour trancher les affaires de contrefaçon et de validité afférentes aux brevets européens actuels et unitaires futurs. Le futur système juridictionnel se composera d’un tribunal de première instance organisé en une division centrale et en divisions locales (nationales) et régionales (regroupant plusieurs divisions locales), ainsi que d’une Cour d’appel et d’un centre de médiation et d’arbitrage.
La question du siège de la Cour d’appel n’a posé aucun problème, ce sera Luxembourg, seul en lice. Pour le centre de médiation et d’arbitrage, ce sera Lisbonne (Portugal) et Ljubljana (Slovénie). En revanche, la question de la division centrale, qui coiffera le système, est plus sensible. Si sur la disponibilité des infrastructures logistiques et de transports, les trois candidatures se valent, en revanche, chaque capitale est le reflet d’une orientation juridique différente du droit des brevets. Entre deux extrêmes, une approche libérale allemande, celle britannique plus stricte, Paris défendrait une voie médiane.
Pour Fernand de Visscher, avocat belge spécialisé dans les questions de propriété intellectuelle, la localisation de la division centrale n’aura aucun impact, puisque du fait du caractère multinational des chambres de juges, il n’y a pas de raison qu’il y ait une prédominance du droit national du lieu de la division centrale.
Il y a aussi un enjeu financier derrière cette situation géographique de la division centrale : des experts britanniques ont chiffré à près d’un milliard d’euros, les recettes liées à cette situation (locations, bureaux, frais juridiques de traduction, etc.).
Le veto de l’Allemagne et du Royaume Uni a bloqué le processus, puisqu’il faut l’unanimité. De sources proches du dossier, certaines questions n’ont pas encore értté réglées, comme celle du financement de la juridiction, des langues de procédure (la langue locale ou sous conditions, celle du brevet). Sans compter l’épineux sujet des niveaux de taxes de renouvellement et des redistributions aux États membres (surtout les petits).
Derrière l’optimisme du commissaire Michel Barnier (marché intérieur) – « Nous sommes dans les derniers mètres de la dernière ligne droite d’une très longue course », certains experts décèlent certes un climat un peu meilleur mais encore des risques élevés de nouveau blocage. Les conséquences politiques économiques seraient d’autant plus dommageables cette fois, car la crise a fragilisé les entreprises qui réclament ce brevet avec plus d’insistance.