Howard Phillips Lovecraft était un homme bizarre, un autodidacte reclus, qui n’a jamais vraiment connu le succès littéraire. De son vivant, ses fragments de roman et ses histoires courtes étaient publiés comme des romans de gare. Et ce n’est qu’après 1945 aux États-Unis, et bien plus tard en Europe, que l’on a redécouvert le travail d’un auteur qui a créé une nouvelle mythologie fantastique et fondamentalement antimoderne. En relisant les récits de cet écrivain nocturne, on retrouve la fascination que peuvent exercer des descriptions de lieux reculés comme les déserts de glace de l’antarctique dont Jules Verne et Edgar Allan Poe avaient déjà fait les décors de récits sombres et désespérants. L’approche rationnelle des héros de ces histoires est mise à l’épreuve d’une topographie qui devient de plus en plus irrationnelle. Et cette peur de l’inexplicable, d’une menace souterraine, dont Lovecraft avait fait fil rouge de ses histoires est un point de départ pour comprendre les mises en scènes de Gast Bouschet et Nadine Hilbert.
Dans leur exposition récente au Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain, les artistes luxembourgeois qui vivent et travaillent à Bruxelles ont utilisé les caves de l’ancien casino bourgeois pour y installer une série de projections vidéo associées sous le titre de Unground. En 2010, l’éruption du volcan islandais Eyjafjallajökull avait non seulement bloqué le trafic aérien international, mais les cendres du volcan avaient également transformé les glaciers islandais en paysage lunaire. Les artistes ont utilisé cet évènement pour y réaliser toute une suite d’images qui ont servi à recomposer une descente aux enfers qui mène de l’urbanité de la place financière de Londres aux sous-sols islandais. L’image d’Épinal d’une Islande comme paradis naturel s’était transformée en paysage post-apocalyptique.
Comme pour Collision Zone, leur contribution à la biennale de Venise en 2009, qui est actuellement visible à la rétrospective des participations luxembourgeoises à la biennale d’art au Mudam, Gast Bouschet et Nadine Hilbert associent des notions de politique et de géologie pour obtenir le sentiment profond de la synchronicité d’un bruit politique actuel et de murmures archaïques bien plus sombres et peut-être plus redoutables. Les interprétations des artistes sont originales : associer le boursicotage contemporain à une espèce de sorcellerie moderne ? Pourquoi pas. Mais la chute du système, la résurgence de forces profondes qui restent incontrôlables, sont autant d’éléments d’un discours artistique qui revendique une politique plus instinctive. Celle de la subversion permanente par des moyens plastiques.
La grande force des installations de Gast Bouschet et Nadine Hilbert réside dans l’orchestration des moyens du son et de l’image avec le message de l’œuvre. Ces ensembles sont construits pour faciliter l’immersion du spectateur dans un environnement qui se déconnecte complètement de l’institution qui l’expose. En visitant Collision Zone au Mudam, on peut complètement oublier l’architecture surfaite du lieu. Au Casino, les caves ont un caractère pittoresque que les artistes ont pu éviter en créant un univers autonome et original qui ne reniait rien de son côté spectaculaire. Et cette force de l’esthétique chez Bouschet&Hilbert n’a rien à envier aux adjectifs exagérés de Lovecraft : elle vous entraîne dans un tourbillon visuel et sonore qui fait d’une simple visite d’exposition une expérience bien plus passionnante.