« Le Luxembourg était un pays de cocagne. On y vendait tellement de véhicules neufs, qu’on s’est retrouvé sursaturé en voitures d’occasion. Il fallait donc vendre à bas prix pour que les voitures ne pourrissent pas en stock », estime ce marchand non-affilié à une marque. Le Luxembourg reste un des marchés les plus suréquipés au monde : avec deux voitures sur trois habitants, les garages y occupent en moyenne plus de mètres carrés que les chambres pour enfants.
À ce fétiche s’ajoute une superstition : « On n’achète pas de voiture ayant plus de 100 000 kilomètres au compteur, c’est une barrière psychologique », estime une concessionnaire de voitures haut de gamme (« premium »). Un marché alléchant pour les grands négociants européens pour qui le passage au Luxembourg valait le déplacement. Plus de la moitié des voitures d’occasion partaient ainsi à l’export, faisant du Luxembourg une grande nation de producteurs d’automobiles destinées à l’export.
Si le marché des voitures nouvelles est en récession depuis cinq ans, celui des occasions a explosé depuis la crise. Au point que, fin 2012, les occasions ont supplanté les voitures neuves. En 2013, la tendance s’est confirmée : 53 333 voitures d’occasion ont été immatriculées au Luxembourg l’année dernière, 7 000 de plus que les voitures neuves. « Les gens commencent à faire des achats ,raisonnables’. Ils se demandent pourquoi ils achèteraient une voiture, qui, à la sortie du garage, perd l’équivalent du coût de la TVA », dit un concessionnaire de voitures de gamme moyenne. « Le client commence à réfléchir différemment : Pourquoi investir 30 000 euros dans l’achat d’une voiture neuve, si pour 20 000, on peut avoir une voiture d’occasion vieille de quelques mois, qui n’a presque pas roulé », estime un autre.
Près de la moitié des voitures immatriculées en 2013 sont vendues à moins de 5 000 euros. Un segment du marché qui se joue de particulier à particulier sur des plates-formes Internet et qui passe donc à côté des revendeurs commerciaux. Ce qui n’est pas fait pour plaire aux marchands : « En-dessous de 7 000 euros tu ne trouveras rien de valable. Tu gaspilleras ta journée à parcourir le pays pour te retrouver avec quatre pneus et une batterie », dit ce gérant d’un garage au Nord du pays. Et de conclure : « Internet, c’est la ruine ! » Aux acteurs commerciaux, astreints par l’obligation de donner une garantie d’au moins une année, reste le marché de moyenne ou de haute gamme. (Tandis que les voitures neuves passent le contrôle technique à presque 97 pourcent, une voiture d’occasion sur quatre y échoue).
Or, alors que, depuis cinq ans, de moins en moins de voitures neuves sont achetées, commence à se poser la question de l’approvisionnement en voitures d’occasion. « Les vraies voitures d’occasion qui ont roulé pendant trois à quatre ans et qui ont plus de 6 000 kilomètres au compteur commencent à se faire très rares », concède-t-on. Les concessionnaires ont trouvé la parade : ils ont créé un marché de voitures d’occasion « artificiel », achetant aux usines de « fausses voitures d’occasion » : Des voitures de service, de location ou de direction quasi neuves qui ont roulé à peine 2 000 kilomètres et qui ne permettent que des maigres économies de quelque trente pour cent.
Une concessionnaire d’une marque haut de gamme explique que les voitures d’occasion offriraient la possibilité aux jeunes « d’entrer dans les marque premium » ou pour « la Madame ou les enfants » d’avoir à disposition leur propre voiture. Dans la gamme moyenne, le profil qu’esquissent les vendeurs de leurs clients est plus bigarré : « Le vrai Luxembourgeois reste friand de voitures neuves. S’il tend de plus en plus vers le marché d’occasion, notre clientèle reste majoritairement immigrée : des employés de banques aux ouvriers portugais. »
Le marché de l’occasion fonctionne selon des règles qui lui sont propres. « Moins de chipotage », résume un concessionnaire. Car, en amont, les clients ont pris leurs renseignements. Pour qu’ils fassent le déplacement, les prix affichés auprès des vendeurs se doivent donc d’être compétitifs, les marges de négociations s’en retrouvent sensiblement réduites. Les clients marchandent-ils ? Un vendeur qui estime sa marge de profit à 600 euros la voiture répond : « Ici, dans le Nord, c’est pas comme en ville, où les clients dépensent sans compter. Les paysans et les Portugais sont de bons négociateurs, dit-il. Je n’ai encore jamais vendu une voiture au prix affiché. Le plus souvent, la solution qu’on trouve, c’est que j’ajoute gratis les pneus d’hiver. »
Les concessionnaires se positionnent de plus en plus sur un marché de l’occasion qui prend de l’envergure. Les clients voudraient être rassurés, et préféraient acheter leurs occasions directement chez le concessionnaire, disent-ils. Non sans quelque malignité, les concessionnaires parlent de « ces bricoleurs qui achètent à 2 000 euros une voiture qui a roulé 180 000 kilomètres, pour ensuite y mettre quelques pièces pas chères et la revendre à 3 500 euros. » Entre les petites annonces sur Internet et les grands concessionnaires avec pignon sur rue, les temps s’annoncent durs pour les marchands de voitures d’occasion non-affiliés.