Mercredi 2 janvier 2013 fut le premier jour lors duquel les transactions en Bekis devinrent possibles. Comment les choses se sont-elles passées ? Pour le savoir, il fallait essayer de payer des achats avec la nouvelle devise et donc de se procurer des Bekis. Selon mes informations, toutes les agences bancaires de Redange (Raiffeisen, BCEE, BIL, BGL BNPP) ainsi que l’Entreprise des postes et télécommunications (EPT) devraient vendre les billets aux effigies imaginées par l’artiste Patricia Lippert.
Je me suis rendu à la BCEE de Redange. Pour pouvoir obtenir des Bekis, il m’a été demandé de présenter ma carte de membre de l’asbl De Kär. Ne l’ayant pas, la possibilité d’adhérer à l’association me fut offerte. Pour ce faire, il m’a fallu remplir un formulaire et régler la cotisation annuelle de dix euros. J’ai alors pu acquérir des Bekis en faisant débiter mon compte auprès de la banque. La cliente au guichet voisin achetait également des Bekis, ce qui fit dire à l’employé de la BCEE que le Beki était déjà un succès. J’ai ensuite demandé où je pourrais écouler mes magnifiques billets tout neufs. La liste des commerces du canton qui acceptent la nouvelle devise me fut alors remise. Quarante et une entreprises y figurent. Alimentation, habillement, restauration, loisirs, construction, énergie, entretien automobile, un large spectre de la consommation d’un ménage est couvert.
En face de la banque, j’avise le Réidener Spënnchen qui figure sur ma liste. J’achète un journal et prends un café. Mes Bekis sont acceptés sans problèmes. Je suis surpris que ce soit aussi simple. Sont présents au comptoir, tout sourire, Camille Gira (Les Verts), le maire de Beckerich, Max Hilbert, le coordinateur du projet Beki et Claude Betzen, le trésorier de l’association De Kär. Je leur demande quand et comment on saura si le Beki est un succès. Camille Gira dit qu’on le saura à la fin de cette année. Il faudra qu’il y ait suffisamment de chiffre d’affaires pour couvrir les frais de fonctionnement. Mais, l’accueil jusqu’ici a dépassé les espérances. Le jours du lancement, De Kär comptait cent quarante membres, soit près de un pour cent de la population du canton. Il a fallu plus de six ans au Chiemgauer, une des grandes devises complémentaires en Allemagne, pour atteindre un tel pourcentage. Quarante entreprises participent, soit le double de l’objectif initial. Un montant de 12 000 euros de publicité figurant sur le verso des coupures de Beki a été collecté. Toutes les banques présentes sur le canton, y inclus l’EPT, participent et leur personnel s’est montré très coopératif. 14 000 coupures soit 100 000 Bekis de valeur faciale ont été distribuées entre les agences. Il a fallu les compter et les recompter, une charge de travail supplémentaire.
Tous les commerces du Pall Center d’Oberpallen acceptent les Bekis. Il s’agit ici d’un grand centre commercial avec de multiples commerces, des dizaines de caissiers. Nous payons notre déjeuner en Bekis sans difficulté et mon épouse réalise ses premières courses en Bekis. Au Métropolitain, un des restaurants du centre, nous rencontrons Christiane Wickler, la directrice du Pall Center. Pourquoi s’être lancée dans cette aventure ? Aujourd’hui, selon Christiane Wickler, tout ce qui fait réfléchir les gens sur la monnaie doit être soutenu. Seuls dix pour cent de la monnaie circule. Le reste est thésaurisé pour spéculer. Avec le Beki, il est sûr qu’on ne jouera pas en bourse. Toutes les équipes du centre commercial ont été mobilisées pour faire de l’introduction de la nouvelle devise un succès. Des concours internes ont été organisés avec des prix pour les premiers à encaisser des Bekis ou pour qui en aura le plus. Les premiers clients à payer avec des Bekis sont récompensés par un cadeau.
Samedi 5 janvier eut lieu l’inauguration officielle en présence de Romain Schneider (LSAP) en ses qualités de ministre du Développement rural et de l’Économie solidaire. Lui aussi effectua des achats à Redange en dépensant les cent Bekis que l’association De Kär lui a offerts. Était aussi présent Henri Mausen, le bourgmestre de Redange. Il n’avait pas soutenu d’emblée le projet, mais s’y est rallié pendant la phase de réalisation.
C’est que la raison d’être d’une devise complémentaire est de favoriser l’économie locale. En effet, le système encourage chacun à se fournir chez les autres membres. Cela implique de les rechercher et d’entrer en relation avec eux. Or, même dans un canton rural, il n’est pas évident que tous les commerces soient bien connus des consommateurs et des autres commerçants. Pour que cela fonctionne bien, les gens doivent pouvoir s’identifier à leur communauté. La zone géographique ne doit donc pas être trop grande. Selon l’économiste britannique d’origine allemande, Ernst Friedrich Schumacher, auteur de Small is beautiful, une zone économique optimale doit pouvoir être traversée à pied en quatre heures ou en bicyclette en une heure. C’est la taille du canton de Redange.
On pouvait observer une certaine jubilation chez ceux qui ont eu à connaître du projet. Il semble que tous soient heureux d’être en passe de jouer un bon tour aux « gros », ceux de la Banque centrale européenne de Francfort et de la Banque centrale du Luxembourg et tous les tenants de la compétitivité et du profit à tout prix. Ceux de Redange leur opposent collaboration et bien commun, démocratie et qualité de la vie. Leur but est de créer des rapports plus solidaires avec leurs voisins. Camille Gira confiera d’ailleurs : « Tous travaillent avec leur cœur ». Imagine-t-on Mario Draghi ou Yves Mersch tenir de tels propos ?