La Luxembourg Art Week s’achève après des journées denses et des milliers de visiteurs pour voir les 77 galeries issues de treize pays. Des compositions abstraites et ascétiques de Wladyslaw Lopuszniak (galerie Arnoux) aux photos homoérotiques revisitant les classiques de l’histoire de l’art comme l’Olympia de Manet (Art Space Vienna), en passant par les fulgurances imprévisibles du groupe CoBra (De Zutter Art Galery) et les collages de Marx Ernst et de ses enfants, sans oublier les NFT dont Artxchains assurait la promotion, chaque stand donnait lieu à une mini-exposition, avec son parti pris esthétique, sa clientèle attitrée, son identité et sa stratégie propres. Mais aussi avec son lot de questions sur le choix des artistes ou la manière de les présenter. Peu d’exposants ont osé un accrochage original. Seul l’espace Octave Cowbell (Metz) est parvenu à se distinguer, transformant son emplacement en une sorte de temple païen. Délimité par des tentures, le lieu, dédié à la nature, abritait les œuvres confectionnées à base de sureau des artistes François Génot et Christelle Enault.
Pour se rendre compte des effets de la foire, rien de mieux qu’un comparatif entre trois galeries qui occupent des positions différentes au sein du marché de l’art. Petit poucet de cette édition 2023, la galerie Reuter Bausch, fondée en décembre 2021, promeut le travail d’artistes émergents, tels que Pit Riewer, Lisa Kohl, Julie Wagener ou encore Arny Schmit, artiste autodidacte auquel le couple de galeristes vient de consacrer une exposition monographique. Pour leur seconde participation à la LAW, Julie et Lou ont fait le choix du renouvellement afin, confient-ils, de « donner sa chance à tout le monde ». Mais aussi pour ne pas faire de jaloux, dans un marché que l’on sait hautement concurrentiel. De nouveaux noms ont fait leur apparition sur les cimaises de la galerie cette année, comme Chantal Maquet, Pascal Vilcollet, ou encore Roland Schauls et Julien Hubsch, parmi d’autres. Un pari visiblement gagnant si l’on en croit les principaux intéressés qui disent avoir bien vendu l’année passée : une trentaine d’œuvres avaient trouvé preneur, à des prix moyens très variés, généralement entre 1 500 et 5 000 euros, avec quelques ventes dépassant la barre des 10 000 euros. Le couple insiste sur la proximité qui existe avec leur clientèle, mixte, plutôt jeune et bien établie professionnellement, qui gagne suffisamment d’argent pour s’offrir certains plaisirs. Pour les œuvres de Roland Schauls, artiste déjà patrimonial, en revanche, plus onéreuses, la clientèle est plus âgée. La galerie peut aussi compter sur les acquisitions des institutions publiques (Musées de la Ville de Luxembourg, ministère de la Culture luxembourgeois, Bibliothèque nationale du Luxembourg). Toutefois, la galerie Reuter Bausch ne participe à aucune foire internationale : « le risque financier est trop important », concède le couple. Ce qui traduit aussi la difficulté d’exporter de jeunes plasticiens luxembourgeois.
Fondée à Paris en 1999, la galerie dirigée par Maria Lund (Paris) suit deux directions : D’une part, la matière, qui conduit à diverses formes d’abstraction et de l’autre la narration, avec des artistes figuratifs. La céramique y est aussi depuis longtemps représentée, comme en témoignent les sculptures du Danois Esben Klemann conviées sur le stand aux côtés des toiles de Marielle Paul et du Berlinois Marlon Wobst, dont on avait pu découvrir les œuvres tendres et délicates l’année dernière. Pour la galeriste, la Luxembourg Art Week est intéressante « pour son pouvoir d’achat, son niveau de vie, et sa position de carrefour en Europe qui draine des collectionneurs néerlandais, suisses, allemands, français », précise-t-elle. Maria Lund apprécie aussi la taille humaine de la manifestation, mêlant des artistes accomplis et des découvertes. Elle souligne l’implication des acteurs du territoire comme le Mudam ainsi que le coût du stand, bien moins élevé que les prix pratiqués à Paris. Ce qui a pour avantage de réduire les risques financiers et de donner plus de liberté dans le choix des artistes. Une douzaine d’œuvres était parties l’année dernière, pour une somme totale avoisinant les 35 000 euros.
Last but not least, la galerie Lelong & Co. est précédée par une longue histoire que sa représentante, Nathalie Berghege, ne manque jamais de relater au besoin. On y trouve des grands formats et des artistes parfaitement accomplis, tels que David Nash, David Hockney, Pierre Alechinsky, mais aussi quelques jeunes pousses prometteuses comme Fabienne Verdier ou Christine Safa (née en 1994), la cadette de la maison. Soit toute une constellation d’artistes réunis cette année autour du thème de la nature, urgence climatique oblige. La présence d’œuvres d’Etel Adnan et de Richard Serra sur ce stand n’est pas anodine : la première a fait récemment l’objet d’une exposition au Mudam et au Centre Pompidou-Metz ; le second a marqué de son empreinte le Grand-Duché avec le monumental Exchange installé en 1996 à l’entrée du Plateau du Kirchberg. Ils sont donc bien identifiés des Luxembourgeois. Les prix atteignent rapidement cinq, voire six chiffres. Et c’est avec une satisfaction certaine que Nathalie Berghege annonce, dès le premier jour d’ouverture au public de la foire, qu’elle a d’ores et déjà dépassé le chiffre d’affaires de l’année dernière, estimé à 200 000 euros environ pour une dizaine d’œuvres vendues. Un niveau d’investissement qui s’adresse, sans surprise, à des collectionneurs avertis, luxembourgeois particulièrement, issus du secteur financier.